
Expériences sur les animaux: la Belgique dérape

C'est un débat tabou, sinon complexe et ultra-polarisé. Faut-il continuer d’élever, de stresser, de blesser et d’euthanasier des centaines de milliers d’animaux chaque année pour augmenter encore notre espérance de vie? Une question éthique, philosophique, anthropologique et écologique qui dresse un mur en béton armé entre scientifiques et défenseurs de la cause animale. Si les premiers défendent ces tests comme un outil indispensable à la recherche, rien n’empêche d’encadrer au mieux cette pratique pour éviter les dérives. D’ailleurs, la Belgique et l’UE s’y emploient. Depuis le début des années 2000, une série d’arrêtés royaux et de directives ont en tout cas permis certaines avancées. Les grands singes, par exemple, ont été bannis des laboratoires. Interdit, aussi, de tester des cosmétiques ou des produits d’entretien sur des animaux. En Belgique, il est également requis d’obtenir une autorisation préalable de la Région et de détailler la nature des expériences dans un document non technique lisible par le grand public.
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Mais les dernières déclarations disponibles sur le site de Bruxelles Environnement semblent indiquer que tout le monde ne parle pas le même langage. Prenons l’exemple de ce projet d’étude sur une “nouvelle thérapie potentielle pour la septicémie” qui va réaliser des expériences sur 35 moutons domestiques durant une période de 1 à 5 ans. Les effets négatifs sur les animaux? Le labo répond: “Virtuellement aucun, attendu que ce modèle est létal et que l’animal sera profondément sédaté durant l’entièreté de l’expérience jusqu’à son euthanasie”.
Aucun survivant
La Belgique est l’un des pays européens qui pratique le plus de tests sur les animaux. Selon les derniers relevés officiels, c’est-à-dire fournis par les expérimentateurs, 437.000 bêtes ont été utilisées dans les laboratoires belges en 2020. Soit, notamment, 250.000 souris, mais aussi 70.000 lapins, 5.000 cochons, 1.900 chiens, 250 chats et 200 chevaux. Et 100 % de ces animaux testés sont finalement euthanasiés. “Une vétérinaire de l’inspection du bien-être animal nous avait proposé d’introduire une demande pour récupérer les animaux viables, nous explique Solange T’Kint de l’ASBL SEA (Suppression des expériences sur l’animal) qui vient de signer une carte blanche à ce sujet dans La Libre. Nous l’avons introduite mais n’avons jamais eu de réponse.” Cette tribune fustige notamment le blocage des réformes par les universités.
En 2020, un projet d’arrêté avait ainsi été soumis par Céline Tellier, ministre wallonne du Bien-être animal, pour mieux encadrer ces expériences et encourager le recours à des alternatives, comme la culture de cellules humaines ou la modélisation informatique. Mais le milieu académique a freiné des quatre fers selon l’association, qui dénonce une violation de la directive européenne 2010/63. Laquelle précise que les États membres doivent privilégier les méthodes d’expérimentation n’impliquant pas l’utilisation d’animaux vivants. Et ce ne serait pas la seule législation bafouée par nos autorités. “Suite à cet échec, la ministre a tenté de rassurer les associations en mettant en avant la création cette année d’un comité wallon pour la protection des animaux d’expérience. Le Code wallon du bien-être animal est très clair à ce sujet: ce comité doit fonctionner de manière impartiale et indépendante, et ses membres sont exempts de conflits d’intérêts.” Mais un nouvel arrêté wallon pris cette année plombe tout espoir d’indépendance. Sur les 18 membres effectifs de ce comité, 14 appartiennent en effet à des labos ou au secteur académique. Seuls deux membres proposés par le Conseil wallon du bien-être animal et deux autres représentants des pouvoirs publics qui ne disposent que d’une voie consultative complètent ce dispositif.

© Photo News
Nuremberg contre les animaux
Cosignataire de la carte blanche, André Menache connaît bien le fonctionnement de ces comités éthiques. Ce vétérinaire a travaillé durant plusieurs années pour le comité déontologique du gouvernement belge (dissous suite à la régionalisation) et pour un comité régional suisse. “Ces organes fonctionnent comme un blanc-seing. Je n’ai d’ailleurs jamais réussi à faire stopper une seule étude car les réglementations n’obligent pas les chercheurs à prouver que leur modèle animal est pertinent pour l’homme. Lorsque je demandais si le rat était un bon modèle prédictif pour étudier le cancer chez l’homme, on me répondait que je dépassais le cadre de ma mission. On ne veut pas de représentants de la société civile avec un esprit critique dans ces comités. Il n’y a aucune transparence alors que nous les subventionnons via nos impôts. En Angleterre et dans les pays scandinaves, la société civile a le droit de se renseigner auprès d’un expert externe pour juger de la pertinence de ces tests. Mais ce n’est pas le cas en Belgique.” Du côté du cabinet de la ministre wallonne du Bien-être animal, on précise que ce comité, contrairement à ceux des autres Régions, respecte l’équilibre entre les expérimentateurs et les autres. Sauf que parmi ces “autres”, il y a six représentants du monde académique dont la réputation n’est pas vraiment celle d’opposants aux expérimentations animales.
Ces associations appellent donc à réformer ces organes mais aussi à revoir certaines lois sur les expériences animales qui datent parfois du Moyen Âge de la recherche scientifique. “Depuis le procès de Nuremberg, poursuit le vétérinaire, une loi de 1946 oblige les entreprises pharmaceutiques à tester d’abord leurs médicaments sur un rongeur, en général un rat, et sur un non-rongeur, un chien ou un singe, avant de passer aux essais cliniques sur l’homme.” La science a pourtant évolué au point d’utiliser des “organes sur puce”, c’est-à-dire des organes humains miniatures reconstitués à partir de cellules cultivées ou de déchets chirurgicaux. “Par rapport au modèle animal, c’est un outil beaucoup plus prédictif. C’est le jour et la nuit. Ces firmes privées connaissent évidemment ces techniques, elles les trouvent très pertinentes et les utilisent, mais elles sont toujours obligées, au final, de gaver un chien ou un singe de médicaments trois fois par jour durant trois mois avant de l’euthanasier pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché de leur dernier médicament. C’est insensé!” Quant à la recherche fondamentale menée par les universités? “Ils peuvent se passer des animaux et utiliser des organes sur puce mais ils ne le font pas assez car il y a beaucoup moins de paperasserie à remplir pour commander des rats, des oiseaux ou des cochons.”
Nage forcée jusqu’à épuisement
Malgré la découverte de méthodes alternatives, l’expérimentation animale ne régresse donc que très lentement. La réforme patine et la Belgique mène encore des expériences bannies ailleurs. “L’ULiège continue d’effectuer des tests de nage forcée jusqu’à épuisement!”, déplore Solange T’Kint. Concrètement? Les expérimentateurs plongent un rongeur dans une cuve d’eau. Après une phase d’agitation d’environ deux minutes, l’animal cesse de nager et se fige, adoptant un comportement de désespoir. On teste alors sur lui des molécules antidépressives… Précisons que quinze entreprises pharmaceutiques - dont GlaxoSmithKline, Bayer, Pfizer ou Johnson & Johnson - et les universités d’Adélaïde (Australie) et du King’s Collège (Londres) ont déjà interdit ces expériences suite aux campagnes de l’association PETA États-Unis visant à démontrer la cruauté et l’inutilité de ces tests.
Au cœur d'un labo
Les centres qui réalisent des tests sur les animaux ne sont pas vraiment enclins à ouvrir leurs portes au public. Pour remédier à ce manque de transparence, le SILABE, laboratoire de l’Université de Strasbourg spécialisé en recherche biomédicale sur des macaques, propose une visite virtuelle de ses installations. Une visite lors de laquelle vous ne verrez pas de primates blessés, avec des cicatrices ou portant des électrodes. On y découvre cependant les conditions dans lesquelles ces singes sont enfermés. Dans des cages encore plus petites que celles des zoos, où un humain ne pourrait même pas se tenir debout. Lorsque ces macaques sont “invités” à participer à des expériences, ils sont attrapés au collet et placés dans des cages en verre qui ne laissent dépasser que leur tête. Une fois par semaine, ils ont droit à une mini-plaine de jeux destinée à “enrichir leur milieu” et à une séance de télé pour regarder des docus animaliers ou des Walt Disney. Pas sûr que cette initiative, a priori louable, ne rassure les détracteurs des expérimentations animales.