Surpopulation carcérale et application des petites peines : «Les détenus ne sont pas de la viande que l'on stocke!»

Les courtes peines vont devoir être purgée. Une situation que les prisons redoutent alors que la surpopulation carcérale est déjà critique.

Prison
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À Mons, le Boulevard Winston Churchill s'allonge droit comme un «i». Son pavé est battu. Trépigné. Les cents pas. Puis les deux-cents pas, dans ce sens unique, dans cette voie qui devrait être celle de la rédemption. Trois mères de famille tuent le temps. « Mon mari doit sortir. D'ici une heure ou deux, on espère », confie l'une d'elles. Aux portes de la prison de la cité du Doudou passe dans l'air moite de cette fin d'été une brise d'effervescence.  Toutes ont vu passer leur mari ou leur fils derrière les barreaux. Toutes se hâtent de les retrouver. « Le mien, il est sorti de Mons il y a peu. Ils étaient trois dans une cellule. Lui avait un matelas qu'il posait sur le sol, se souvient Caroline. Tous les jours il m'écrivait des lettres pour me dire qu'il n'en pouvait plus des conditions de détention. Le détenu avec qui il était lui proposait même son lit, pour faire une tournante. Mais ce n'est pas comme cela que ça doit aller.»

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En Belgique, être en prison, c'est l'apprentissage de la promiscuité. L'apprentissage du collé-serré. Vivre avec les humeurs des compagnons de chambrée. Vivre avec leurs odeurs. 11.000 détenus pour 9.600 places, l'arithmétique est implacable : la surpopulation carcérale est une réalité.

Une application qui pose question

Et cela ne va pas s'arranger dans les prochains mois. Dès ce premier septembre, les courtes peines de deux à trois ans devront être purgées. Pour les délits mineurs, le bracelet électronique qui était devenu la règle deviendra l'exception. « Sur le plan du droit et des principes, l'entrée en vigueur de cette nouvelle loi ne peut évidemment pas être remise en question. Mais il est clair qu'au sein des prisons, cela risque de devenir très compliqué », confie Jean-François Funck, président du Tribunal d'application des peines de Bruxelles.

Aucun chiffre officiel sur le nombre de personnes concernées n'a été communiqué. Au sein du cabinet du ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, on préfère rester discret et ne pas s'avancer. Mais il serait question d'une augmentation potentielle de près de 3.000 nouveaux détenus.

« Concrètement, il y a beaucoup plus de personnes condamnées à de petites peines qu'à des peines lourdes. Et si avant le bracelet électronique était accordé presque automatiquement, aujourd'hui, il va falloir introduire une demande spécifique. Un dossier devra être monté. Et la procédure durera au minimum deux mois pour avoir une réponse. En attendant, la personne condamnée sera en détention. Le véritable point d'interrogation est de savoir comment les prisons vont pouvoir absorber cette augmentation... Les directeurs n'ont aucun moyen pour refuser un détenu. Ils devront s'adapter», s'avance le magistrat.

Les droits des détenus bafoués ?

En attendant, les responsables des établissements pénitentiaires enragent. « La surpopulation est une catastrophe que l'on ne cesse de dénoncer. Mais je vais finir par croire que ce n'en est plus une, s'exaspère Vincent Srponck, directeur de la prison de Mons et président de l'association francophone des directeurs de prison. C'est une solution que l'on emploie pour remplir toujours plus les prisons. Et c'est totalement assumé. Nous avons été entendus par le monde politique. Nous n'avons visiblement pas été écoutés. Il faudra en assumer les conséquences.»

Le directeur assène : « Les premières conséquences, elles seront d'abord pour les détenus. Être à deux dans une cellule, c'est être à deux dans un endroit prévu pour une personne. Il faut faire ses besoins devant quelqu'un que l'on ne connaît pas. Devant une personne dont on a parfois peur. Puis être en prison, c'est la maladie mentale un peu partout. Tout cela rend les conditions de détention particulièrement difficiles. Et c'est sur le personnel que cela se répercute. Nous n'avons déjà pas assez d'agents aujourd'hui pour gérer les 400 détenus que nous avons pour nos 300 places.»

Une fois ces constats tirés, Vincent Spronck redoute les prochains mois : « La situation pourrait se tendre dans de plus en plus de cellules. Quand les deux détenus ne s'entendent pas, ça peut se traduire en violence. Vous êtes dans neuf mètres carrés. Comment voulez-vous qu'à un moment on ne se mette pas dessus ? Et ce n'est pas la faute des détenus. C'est parce qu'on n'est pas capables de les incarcérer dans un environnement convenable. Mais les détenus, ce n'est pas de la viande que l'on stocke. Le personnel, ce n'est pas de la chair à canon qu'on met pour aller au combat ! »

Sur le pas de la prison, toujours ces femmes. Toujours ces cents pas. Mais de la colère aussi à l'idée de voir cette loi donner ses premiers effets. « Qu'ils payent pour ce qu'ils ont fait, il n'y a rien à dire. Mais envoyer en prison des personnes condamnées pour de petits délits, les envoyer avec les meurtriers et les pédophiles... Ça je ne comprends pas. Le bracelet électronique était une  meilleure solution. »

Une meilleure solution, toujours envisageable, mais après un détour à l'ombre de deux mois au moins.

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