
32h en immersion dans la prison du futur de Haren : «J'avais la trouille qu'on m'oublie»

A terme, le village pénitentiaire de Haren accueillera 1190 détenus répartis sur plusieurs entités ou « maison ». Ce complexe appelé par beaucoup comme la prison du futur ou prison 3.0 a pour but de remplacer les prisons plus que vétustes et surpeuplées de Saint-Gilles, Forest et Berkendael. En effet, les conditions de détentions dans ces centres sont de plus en plus compliquées. Pas d’eau chaude ou presque, prolifération de rats et de punaises, surpopulation et autres, la liste des griefs est longue.
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Dans ce cadre, le complexe pénitencier de Haren fait partie du Masterplan : Détention et internement dans des conditions humaines. Ici, on fait le pari d’une conception totalement différente de la vie en prison. Plus ouverte, plus autonome et avec plus de vie commune. Très loin de la prison en étoile, le choix pour Haren s’est porté sur la construction d'un village pénitentiaire composé de plus petits bâtiments et d’unités d’environ 30 personnes chacune. Cet agencement a pour but d’améliorer la qualité de vie, tant des détenus que du personnel pénitentiaire.
Et l’un des premiers lieux est fin prêt. Il a été le théâtre d’un test grandeur nature auquel plus de 50 magistrats ont pris part le week-end dernier. Ils ont pu vivre, pendant 32 heures le quotidien d’un détenu dans cette prison 3.0 que beaucoup ont jugé de prime abord trop luxueuse. Ils en livrent un témoignage poignant.
6 pas, très exactement
C’est la distance qui sépare la porte de la cellule à la fenêtre, 6 petits pas. 6 pas, c’est la taille de l’univers des détenus. Si à Haren, ils peuvent passer jusqu’à 8h30 en dehors de leur cellule par jour, on s’y sent vite à l’étroit. Dans cette cellule, il y a un petit frigo, une table et une chaise. Au niveau des équipements: un réveil radio, un écran TV et une télécommande, avec les quatre chaines de bases (RTBF, VRT, Euronews et Eurosport). Le micro-onde devrait arriver d’ici peu. Sans oublier un coin douche où l’eau chaude est disponible deux fois 5 minutes par jour, un luxe comparé à Saint-Gilles ainsi qu'une toilette.
Dans les pages de la Libre, on découvre les premières impressions: "J'avais la trouille qu'on m'oublie. J'ai poussé sur le bouton pour appeler le surveillant", s'exclame une magistrate. "Je me suis assise sur le lit, avec ma valise par terre, comme une idiote, en attendant la suite", raconte une autre. "Le sentiment d'oppression, je ne l'ai pas ressenti en entrant dans la prison, mais dans l'unité, en voyant ces portes fermées sur trois étages. Je me suis demandé si j'allais vraiment entrer… Pour les détenus à qui on l'impose, ça doit être un cap vraiment difficile à passer."
Et tous le signalent, le manque d’intimité est peut-être le plus difficile à gérer. « À chaque instant, un agent peut soulever le guichet et entrer dans la cellule, sans préavis. Qu’on soit sous la douche, en train de s’habiller ou en pyjama sur son lit. On ne peut pas dire : "une minute s’il vous plaît" ou "attendez un moment". Même seul en cellule, l’intimité, en prison, ça n’existe pas. »
Une expérience grandeur nature lourde de sens
Cependant, les magistrats ne sont pas dupes, ils savent que cette expérience à une fin. Dans la Libre, l’avocat général à la Cour de Cassation et ancien juge d’instruction, Damien Vandermeersch s’est confié : « Je sais quand je sors. Je ne me suis pas posé la question : est-ce que ma femme va me quitter pendant ma détention ? Je ne me suis pas non plus demandé si on allait dire à mes enfants que papa est en prison ou qu'il est en voyage. Et je sais que lundi je reprends le travail : je n'aurai pas perdu mon boulot. Mais cet exercice nous permet d'avoir une impression physique personnelle de la prison. Et ce n'est pas rien !"
Damien Vandermeersch travaille actuellement sur cette question de la détention en Belgique et participe à la réforme du Code pénal. Fort de cette (courte mais intense) expérience, il s’est exprimé auprès de nos confrères de la RTBF qui ont aussi pris part à la simulation « Cette immersion va me donner des arguments en plus pour dire que la solution est en dehors des prisons. Je n’ai pas eu l’impression d’avoir les outils pour être réinséré. J’ai attendu que le temps passe. Le temps en prison est un temps perdu. Il faut continuer à le dire et plaider pour que ce soit l’ultime recours, quand tout le reste ne convient pas. »