Pourquoi les mendiants dérangent de plus en plus

Plusieurs grandes villes ont décidé d’encadrer à nouveau la mendicité. Réaction fondée, conséquence de la crise ou hausse de l’intolérance? Un peu des trois.

les mendiants dérangent de plus en plus les politiques
En octobre 2021, on recensait 1.146 sans-abri à Bruxelles. © BelgaImage

Manger un bout sur une terrasse sans être dérangé devient un défi. Descendre ou remonter les axes commerciaux sans être interpellé est devenu un défi. Quitter la gare sans passer par un péage humain est un défi.” Ce sont les mots choisis par Maxime Prévot pour parler de la mendicité à Namur, problématique qui gênerait ses administrés. Dans un communiqué, le bourgmestre a fait part de son ras-le-bol manifeste face à trop de sollicitations en dehors du cadre fixé par la commune. “Aujourd’hui, trop, c’est trop. Les citoyens réclament, à juste titre, leur part de tranquillité et de sécurité lorsqu’ils traversent la ville”, a-t-il notamment écrit, avant d’annoncer “une présence accrue (de la police) dans les lieux majoritairement impactés par cette mendicité agressive inacceptable.

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Ce n’est pas un cas isolé. Ces derniers mois, le sujet de la mendicité a été remis sur la table par le monde politique de plusieurs grandes villes. À Bruxelles, ce sont les mineurs qui poseraient souci. En mars, il était interdit aux adultes de mendier accompagnés d’enfants de moins de 16 ans. Une mesure qui visait à lutter contre les réseaux organisés. Suite à une plainte de la Ligue des droits humains, la Région a suspendu cette interdiction, qui a finalement été revotée par le conseil communal bruxellois mi-août. À Charleroi, les conseillers Lætitia Dehan (MR) et Jean-Noël Gillard (DéFI) avaient mis en avant le “laxisme” de la ville face au non-respect des règles en vigueur sur la mendicité. Fin août, on apprenait qu’une actualisation de ce règlement était en cours d’étude. À en croire que la mendicité dérange, que la population ne peut plus la voir, que le monde politique se doit donc d’agir en conséquence, d’encadrer plus strictement cette pratique…

Difficile d’imaginer que les plus démunis sont tous devenus agressifs et insistants. Mais ces réactions des citoyens et de leurs élus ne semblent pas tomber du ciel pour autant. Tout d’abord, ces dernières années, la mendicité a fortement augmenté. Il n’existe pas de statistiques pour confirmer ces propos, mais les différentes ASBL et autres acteurs de terrains interrogés s’accordent tous là-dessus. Par exemple, à Namur, le Réseau urbain social namurois (RUSN), dont la Ville est partie prenante, l’affirme. La Fondation Roi Baudoin a effectué un dénombrement des sans-abri dans la capitale wallonne, en rue et ailleurs en octobre 2021. Ils étaient 1.146. “On note une vraie évolution”, commente Emeline Legrain, coordinatrice adjointe, en charge de la cellule Zéro Sans-Abrisme. “La situation devient si difficile que des personnes qui ne mendiaient pas le font actuellement pour répondre à leurs besoins.”

Son de cloche similaire à Charleroi. “Après deux années très lourdes à cause du Covid et la crise en cours, qui touche aussi les citoyens les plus en marge de notre société, le nombre de personnes en grande précarité s’est forcément élargi, sans oublier les ruptures dans les parcours de soins, qui ont provoqué une décompensation psychique chez beaucoup de monde”, explique Sophie Crapez, directrice de l’ASBL d’aide aux sans-abri Comme Chez Nous, ancrée sur le territoire carolo depuis 25 ans maintenant.

Où es-tu monde d’avant?

Pour ce qui est d’une augmentation de l’agressivité, de l’insistance ou des débordements, le secteur associatif ne veut pas remettre en cause la perception des ceux qui s’en plaignent, mais essaye de comprendre le phénomène. “Cette crise touche tout le monde. Toute la population se bat pour maintenir du pouvoir d’achat, une situation qui attise les tensions. D’un côté, il y a peut-être plus d’insistance de ceux qui mendient pour demander de quoi survivre. Et peut-être parfois un peu de frustration face aux personnes qui continuent de pouvoir consommer. Cela n’excuse pas les quelques débordements, mais ils ne correspondent pas à une généralité, détaille Olivier Hissette, coordinateur adjoint du RUSN. De l’autre côté, il est aussi certainement plus difficile à accepter pour certains citoyens d’être interpellés en cette période. Pourtant, les sans-abri et/ou les mancheurs sont des membres de la société comme les autres.

les mendiants dérangent de plus en plus les politiques et les citoyens

Beaucoup de citoyens ne comprennent pas comment on peut en arriver à mendier, malgré la Sécu, malgré les CPAS. © BelgaImage

Pour Sophie Crapez, cette sortie d’une crise sanitaire vers le début d’une crise économique est une piste d’explication. “Aujourd’hui, beaucoup voudraient retrouver le monde d’avant. Alors que sans-abri et personnes en situation de précarité reprennent possession de l’espace public, la situation s’est complexifiée, les besoins augmentent, consommer est plus difficile qu’avant. Et donc, la cohabitation est plus compliquée, indique la directrice carolo. On a à la fois une demande plus importante et moins d’ouverture face à cette masse de demandes. Ce n’est pas toujours simple à gérer en tant que citoyen lambda. Certains n’ont plus les mêmes moyens qu’avant pour faire face à ce choc social. Puis le clivage extrême du monde politique est aussi le reflet d’un clivage dans la population, source de tensions dans le vivre-ensemble.” La crise est-elle forcément synonyme de rejet de la mendicité? “Probablement pour une partie de la population, qui a du mal à s’en sortir et se sent confrontée à ses propres difficultés, répond Christine Mahy, secrétaire du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté. Mais les crises sont aussi des périodes de hausse de la solidarité, les gens intensifient leurs aides, plus d’actions collectives sont organisées.

Police partout, mendiants autre part

Ce ras-le-bol de la mendicité, les premiers concernés ne comprennent pas d’où ça vient. Amaury Magonette, infirmier au Relais Santé à Namur, est habitué des maraudes. Il discute très régulièrement avec ceux qui font la manche dans la capitale wallonne. “Je n’ai pas l’impression qu’il y a plus de mendicité.” Et les mancheurs déclarent ne pas avoir perçu une montée d’agressivité parmi ceux qui mendient. “Du coup, ils ne comprennent pas la communication de la Ville et sont assez fâchés d’être associés à de la violence, poursuit l’infirmier. Ils se sentent beaucoup plus observés, sont plus contrôlés et disent que la police est bien plus présente en ville. De notre côté, on voit bien qu’il y a eu une perte de confiance envers les travailleurs sociaux liés à la Ville. Et pas envers ceux issus d’ABSL externes.”

Si agressivité et harcèlement il y avait, il faudrait faire quelque chose. Tout le monde est d’accord. Mais attention à ne pas briser les liens entre la rue et l’accompagnement social. “Plus les contrôles policiers sont fréquents, et sans raison valable, plus les sans-abri et mancheurs quittent le centre. Ils ne sont donc plus accessibles pour les travailleurs, qui perdent contact avec ce public et ne peuvent continuer leurs démarches”, précise Emeline Legrain.

Mendier, un choix de vie?

Une des raisons qui peut également expliquer cet agacement, cette envie de règlements plus stricts de la part de la population, et il n’est pas nouveau, est une méconnaissance des réalités du sans-abrisme. “Ce sont deux réalités qui se côtoient sans se connaître. Certains nous disent qu’on ne fait rien parce que notre travail n’est pas toujours visible, d’autres voient l’alcoolisme ou l’addiction à la drogue comme des choix de vie alors que ce sont des maladies”, détaille Olivier Hissette. “Des citoyens carolos de tous âges me racontaient lors d’une conférence ne pas comprendre comment il était possible de se retrouver dans une telle situation compte tenu des filets, du CPAS, de la Sécurité sociale… Il faut continuer d’ouvrir les yeux aux gens sur ces réalités, mais aussi sur cette crise du logement qui dure”, ajoute Sophie Crapez.

Pour lutter contre la mendicité et le sans-abrisme, des mesures structurelles doivent être prises par le fédéral et les Régions. Car les acteurs de terrain interrogés sont tous satisfaits de la volonté des communes d’agir et de trouver des solutions à leur niveau. “Le local fait tout ce qu’il peut alors qu’ils ont des tas d’autres problèmes à gérer, mais plus haut, on peut faire plus et on doit faire mieux, conclut Christine Mahy. Tout en jonglant avec les deux systèmes, on peut privilégier les accompagnements et les solutions concrètes aux sanctions.”

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