Départs, fermetures, préavis de grève... Mais que se passe-t-il à la Croix-Rouge ?

La Croix-Rouge semble vaciller. C’est que, pour l'institution, la crise frappe toujours deux fois: ses moyens diminuent et ses missions augmentent.

croix rouge en difficulté
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Plusieurs mois de tension, une vague de départs, voire le risque de voir carrément disparaître trois centres de secours 112... “On a récemment eu de nouveaux locaux, remis à neuf, de nouveaux équipements… Rien ne nous montrait qu’on était en difficulté”, raconte un permanent du centre de Libramont, qui fait partie du trio menacé. Un préavis de grève a même été déposé, le premier depuis 2003. Alors que se passe-t-il à la Croix-Rouge de Belgique côté francophone?

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Malgré ces inquiétudes récentes, les syndicats, pourtant derrière ce préavis, trouvent que la fondation d’utilité publique se porte tout de même globalement bien. “Les différents services sont bien organisés et comme toute autre organisation à finalité sociale, sa préoccupation générale est de trouver l’équilibre entre subsides et dons pour assurer ces ­services, commente Valérie François, secrétaire ­permanente CNE. Ses gros avantages sont la taille de sa structure, qui lui permet d’asseoir un certain équilibre, et le fait de pouvoir se reposer sur beaucoup de volontaires.”

Le bénévolat est en effet une des pierres angulaires de la Croix-Rouge. Les recrutement, accompagnement et formation sont un des enjeux ­principaux pour l’organisation, ce qui la rend d’ailleurs “pas facile à gérer” selon Gautier Pirotte, professeur de sociologie à l’ULiège, spécialiste de la coopération internationale et de l’aide humanitaire. “Il y a une complexité énorme entre la place réservée dans son ADN aux bénévoles, qui est inscrite dans ses principes, et le poids de plus en plus important que prennent les permanents dans la structure. C’est parfois source de tensions.” Exemple au centre de Libramont, où les volontaires manquent souvent. “Quand on arrange un horaire, on doit donner priorité aux volontaires puis nous comblons ce qui reste. Sur papier, nous devrions pouvoir compter sur 30 per­sonnes. Mais il n’y en a vraiment que deux qui sont souvent disponibles”, témoigne un permanent, habitué aux heures supplémentaires.

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La Croix-Rouge aimerait séduire plus de per­sonnes prêtes à donner de leur temps et pense qu’il faut peut-être mieux communiquer sur la diversité qu’elle propose. “On a la chance énorme de pouvoir offrir beaucoup de profils de volontariat, comme ­gestionnaire d’entités locales, formateur de premiers secours, organisateur des tournées sans-abri… Il y en a pour tous les âges, mais on doit arriver à faire connaître au grand public avec nos moyens limités, détaille Marie Masset, directrice communication pour la Croix-Rouge de Belgique, section francophone. Malheureusement, on constate une pénurie dans certains secteurs : l’aide alimentaire, le secourisme, les ambulanciers, les formateurs… On ne donne pas autant de formations en gestes qui sauvent qu’on le pourrait, car il y a beaucoup de demandes.

Une structure tentaculaire

Notre Croix-Rouge francophone a effectivement de très nombreuses missions. C’est ce qui la rend aussi précieuse que difficile à gérer. C’est même “une structure extrêmement tentaculaire” pour reprendre les mots de Gautier Pirotte. L’organisme se divise en deux sections. La première ne s’occupe que d’une chose, la collecte de sang. La seconde se charge de l’humanitaire et regroupe toutes les nombreuses autres activités essentielles: Maisons Croix-Rouge locales, vaccination, accueil de demandeurs d’asile, formations en secourisme, aide alimentaire, solidarité internationale, transport médicalisé, centres de secours, vestibou­tiques, location de matériel, aide à la jeunesse…

des bénévoles de la croix rouge venant en aide aux sinistrés

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Trop diversifié? Au contraire, ce serait plutôt un atout. Cela permet à l’organisation de pouvoir réagir aux crises que traverse notre société, comme les inondations de l’été 2021 (malgré les quelques couacs des premiers jours), où la Croix-Rouge a été essentielle. “C’est important de préserver cette capacité d’adaptation aux problèmes. On ne pourra pas tous les prévoir, explique Gautier Pirotte, de l’ULiège. Notre État délègue beaucoup de ses fonctions à la société civile et subsidie les organismes qui répondent à ces besoins. Logique qu’ils étendent leurs activités. Un travail de rationalisation peut sûrement être mené, mais je ne suis pas sûr que ça serait un progrès. Il faut qu’elle garde une certaine souplesse.

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Manque de ressources

Mais avec un tel panel de services, la population imagine parfois la Croix-Rouge comme une sorte d’aide universelle. “C’est vrai que nous sommes actifs dans beaucoup de secteurs, mais nous avons des missions bien définies, précise Marie Masset pour la Croix-Rouge. Il est important de les clarifier auprès des autorités publiques, locales, régionales et fédérales, mais aussi de la population. Certains s’attendaient à ce qu’on reconstruise leur maison...” Forcément, agir dans de nombreux secteurs demande un certain budget. La Croix-Rouge a deux grandes sources de financement, hormis quelques boutiques de seconde main: les subsides publics, pour les matières déléguées par le fédéral, comme l’aide médicale urgente ou l’accueil des demandeurs d’asile, et les dons du public, pour le reste. Malgré cela, les fonds ­manquent toujours. “L’aide urgente est globalement sous-financée. Le ministre de la Santé vient d’annoncer un refinancement. On verra comment l’aide évolue, commente la directrice de la communication. Pour le reste, surtout en ce moment, avec l’augmentation des demandes d’aide, nous n’avons clairement pas assez de ressources financières. Nous allons être amenés à lancer des campagnes de dons.

Un manque d’argent qui se ressent forcément sur le terrain, où certaines infrastructures locales sont vieillissantes, ce qui pose problème en ces temps de crise énergétique. “Les coûts sont en train d’exploser. On va avoir besoin de plus de subsides, de dons supplémentaires, ou d’actions internes sur les dépenses. On ne sait pas combien de temps va durer la crise, avance Valérie François, pour la CNE. Mais ça ira. La Croix-Rouge a toujours rebondi face aux crises, elle ne fera pas faillite demain.”

Démissions et burn out

Très utile, voire indispensable, selon les champs d’action, la Croix-Rouge doit ainsi faire face à pas mal de difficultés pour assurer tous ses services. Dont très récemment ce préavis de grève, chose rare dans l’humanitaire, et la potentielle perte de trois centres 112 à Libramont, Amay et La ­Calamine. “La direction des secours a fait part aux autorités publiques des difficultés de certains centres. Le déficit devient trop important, et sans refinancement, on devra les fermer, réagit Marie Masset. Ce courrier n’avait pas pour but d’être public. Mais on ne veut évidemment se séparer de personne. Ce n’était qu’un plaidoyer à destination des autorités.

Libramont et Amay resteront encore ouverts au moins un an. Pour La Calamine, on ne sait pas encore. Mais initialement, la grève devait faire passer un autre message : les démissions de ­membres de la direction, dont certaines très ­rapprochées dans le temps, inquiètent le personnel, qui y voit de potentiels burn out. “Entre-temps, on a appris la fermeture des centres. Donc priorité à l’urgence, c’est de ça dont nous avons parlé, raconte la syndicaliste. Mais toujours aucune information sur ces départs ou sur le futur directeur, venu du secteur de l’énergie. On se pose forcément des questions sur les critères d’embauche de ce monsieur et sa vision stratégique pour l’avenir de l’organisation. Ce manque de réponses ne présage rien de bon pour l’avenir.

Tous ces départs et décisions ont été communiqués en temps et en heure aux salariés et aux volontaires. Ces changements, comme tous les changements, génèrent des inquiétudes, rassure la Croix-Rouge. Cela est probablement dû à cet enchaînement de nouvelles dans ce contexte d’après-crise. De manière générale, les relations entre partenaires sociaux sont toujours très bonnes.” Une petite tension dont l’organisation, qui a plus de 150 ans, devrait se remettre vite puisqu’aux dires de tous, elle a su avancer avec son temps. “Et elle est encore amenée à évoluer en permanence. L’aide doit évoluer en fonction des besoins. Aujourd’hui, on travaille à être plus agiles, car les demandes sont en croissance. Notre challenge est d’avoir assez de bénévoles et de financement pour y répondre.

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