
Procès des attentats de Bruxelles : comment les avocats sont-ils payés ?

Le procès des attentats de Paris qui avaient fait 131 morts et 413 blessés a coûté plus de 60 millions d’euros. Combien coûtera le “nôtre”? À cette question le cabinet du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne nous a répondu de manière étonnante. “Il est dangereux pour le déroulement du procès que le ministre de la Justice tienne des propos à ce sujet, il ne fera pas de commentaire.” Dangereux? Pourquoi, comment? Mystère. On ne demandait pas de réaction du ministre, juste un chiffrage. Le message sibyllin demeurera obscur malgré nos demandes d’explication. Il a fallu passer par l’administration pour contourner le “danger”…Le procès se déroulera à partir du 5 décembre (des communications évoquent prudemment “décembre”) au sein du palais de justice “Justitia”, situé sur le site anciennement occupé par l’Otan à Bruxelles. L’hébergement du procès (aménagements, accueil et surveillance de base, catering et nettoyage) sur le site Justitia coûte 28,7 millions d’euros. Auxquels il faut ajouter une facture prévisionnelle de 1,7 million d’euros d’énergie. En termes de frais de justice spécifiques, 2 millions sont alloués aux interprètes (8 langues), 1,2 million aux 36 membres du jury et 1,6 million aux autres frais (jetons de présence des huissiers, frais de déplacement…). L’enveloppe étant, pour le procès lui-même, de plus de 35 millions. Sans compter la sécurisation policière. On évoque de 200 à 250 personnes. À raison de 10 mois de procès - selon les dernières estimations - et donc 200 journées ouvrables, on peut considérer qu’un budget de 15 millions d’euros est un minimum en la matière. Se dessine un coût global de 50 millions d’euros soit un budget se rapprochant du procès de Paris.
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Avocats payés dans deux ans
“L’aide juridique est accessible en Belgique sur la base de conditions de revenus”, explique Maître Emmanuel Plasschaert, bâtonnier de l’Ordre français du barreau de Bruxelles. À titre indicatif, une personne seule sans personnes à charge, dont les revenus mensuels nets sont inférieurs à 1.426 euros, peut bénéficier d’une aide juridique totalement gratuite. “Ça, c’est la règle de base. Mais il existe un certain nombre de présomptions d’indigence. Et c’est le cas des terroristes présumés. Tous les accusés du procès bénéficient, donc, de l’aide juridique.” Le service de presse spécifiquement organisé pour le procès des attentats du 22 mars par le ministère de la Justice nous indique que pas moins de 29 avocats représenteront les 9 accusés (il était question, à un moment, que le 10e accusé - Oussama Atar, présumé mort - soit représenté, ce n’est finalement pas le cas). Ces 29 avocats sont rétribués “pro deo”.
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Comment? Par un système de points. Une demi-journée en cour d’assises correspond à six points jusqu’à la 12e demi-journée, ensuite trois. Si l’on considère que le procès durera 200 journées, cela nous fait 1.230 points. Plus deux points pour une réunion préparatoire. Ces 1.232 points sont à répartir entre tous les avocats assurant la défense d’un accusé. Un point équivaut à 81,23 euros. La défense pro deo d’un accusé serait donc payée 100,075 euros pour l’entièreté du procès. Soit pour les 9 accusés (et pour 29 avocats): 900.675 euros. Quant aux avocats pro deo des parties civiles, le porte-parole de “Justitia” nous explique que “ce qui semble être prévu, c’est le barème normal pour les avocats”. Or, la défense des parties civiles pro deo est légèrement moins rétribuée que celle d’un accusé. D’après nos calculs, sur les mêmes hypothèses de durée du procès: 1.210 points soit 98.288 euros.

Delphine Paci, avocate de Salah Abdeslam, Virginie Taelnan, avocate de la défense, et Stanislas Eskenazi, avocat de Mohamed Abrini. © BelgaImage
Mais selon quelles modalités seront rétribués les avocats? “Pour les avocats pro deo de la défense, une enveloppe devrait être répartie entre les différents avocats d’un accusé. On parle de 9.000 euros par mois. Mais je ne pourrais vous confirmer cette information”, avance le porte-parole de “Justitia”. Mais une autre source interne à la communication de “Justitia” évoque, elle, un montant de 12.000 euros mensuels. Une rétribution assez proche du barème normal mais qui serait versée régulièrement au cours du procès. Sauf que Maître Xavier Carrette, qui représente Smail Farisi, le “logeur” des deux kamikazes du métro, nous explique que “pour faire simple, à l’heure actuelle, les neuf avocats “dominus litis” (principaux) des neuf accusés et leurs assistants pro deo ne sont pas payés. Ils ne le seront que dans deux ans. Si tout va bien”... Interpellant, à quelques jours du procès. Toutefois, Karine Trimboli, la directrice du Bureau d’aide juridique du barreau de Bruxelles rassure. “La nomenclature s’applique pour tous en ce compris les avocats des accusés. Le barreau de Bruxelles octroiera lui-même des avances mensuelles afin de s’assurer que les avocats puissent bénéficier de revenus réguliers pendant le procès.”
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Parties civiles désavantagées?
Les attentats du 22 mars ont fait 32 victimes et 340 blessés, 960 parties civiles se sont constituées. Celles-ci seront représentées par 139 avocats. Première constatation: si, en moyenne, un accusé est représenté par trois avocats, une partie civile est, elle, représentée par 0,14 avocat. Ce calcul, un peu absurde, traduit un réel déséquilibre. Dont la raison première est financière: l’aide juridique est conditionnée aux revenus. Les accusés sont indigents, leur défense est prise en charge par les deniers publics. La très grande majorité des parties civiles ne l’est pas (seulement deux d’entre elles bénéficient d’un pro deo). Si l’on prend l’hypothèse de la rétribution la plus basse évoquée par la communication du procès (9.000 euros par mois), le fait pour une partie civile d’être représentée pourrait, pour l’ensemble du procès, lui revenir à 90.000 euros.
Le père d’une victime tuée dans l’explosion du métro nous a déclaré avoir choisi de ne pas se constituer partie civile, entre autres pour cette raison financière. On notera que le système judiciaire français est, en la matière, bien plus juste. L’aide juridique pour les affaires relevant du terrorisme n’y est pas conditionnée par des revenus. Elle est automatique tant pour les prévenus que pour les parties civiles… Pour le procès de Bruxelles, non seulement des parties civiles ne se sont pas constituées pour des raisons financières, mais des avocats de parties civiles travaillent “sans filet”, sans savoir s’ils seront rétribués. Life4Brussels, l’ASBL de soutien des victimes des attentats de Bruxelles, a annoncé qu’elle communiquerait sur ce sujet ce 1er décembre… En espérant un rééquilibrage?