«Leur frustration retombe sur nous»: pourquoi le taux de suicide est si élevé chez les vétérinaires

Gros coup de blues parmi ceux qui soignent nos animaux : les vétérinaires seraient trois à quatre fois plus concernés par le suicide que le reste de la population.

«Leur frustration retombe sur nous»: pourquoi le risque de suicide est si élevé chez les vétérinaires
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«Une hémorragie de cerveaux catastrophique» : en juillet dernier, l’Union professionnelle vétérinaire (UPV) tirait la sonnette d’alarme. Le constat ? «Plus d’un vétérinaire sur quatre quitte la profession ou la Belgique dans les trois ans qui suivent son installation», expliquait un membre de l’UPV. Le sondage (auprès d’un quart environ des praticiens wallons) montrait aussi que seulement un tiers des vétérinaires avait confiance en l'avenir. 70% travaillaient plus de 40 heures par semaine et 30% plus de 50 heures par semaine. De quoi voir monter les risques de burn-out… et de suicide.

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Selon une étude menée en France, le taux de suicide au sein du métier serait en effet trois à quatre fois plus élevé que pour la population générale, et deux fois plus que pour les professionnels exerçant dans la santé humaine.

«En Belgique, aucune étude n’a été menée pour objectiver le phénomène», balise Wivine Joly, psychologue au sein de l’ASBL Un pass dans l’impasse. Et pourtant phénomène, il y a bien. En témoigne les fréquents appels de vétérinaires en détresse à la ligne d’assistance téléphonique gratuite de l’association (voir en bas de l’article).

«J’ai dû enterrer plusieurs copains de promo»

La réalité du suicide au sein de la profession, Sophie Tennstedt peut aussi en attester. «Je connais beaucoup de collègues, que ce soit des jeunes ou des plus âgés, qui étaient à bout et qui ont su arrêter de travailler à temps, souffle cette vétérinaire de Pont-à-Celles (Hainaut). Ce n’est pas le cas de tous. J’ai dû enterrer plusieurs copains de promo. Cela fait vingt ans que je travaille. En vingt promos, on doit bien être à vingt suicides. C’est traumatisant pour nous tous, surtout qu’au sein de la profession, on est très soudé, on est comme une grande famille».

La charge de travail n’est sans doute pas étrangère à ce douloureux constat. Entre les consultations au cabinet ou en déplacement, les gardes en week-end et la nuit, pas étonnant en effet que la barre des 38 heures/semaine soit allègrement dépassée. «Le public ne se rend pas toujours compte de nos conditions de travail. On est très souvent réveillé la nuit, et le lundi matin, qu’on ait dormi ou pas, on doit être sur le pont pour les consultations, les chirurgies… Ce week-end, j’étais de garde. J’ai fait 14 consultations, plus 3 interventions de nuit», liste Sophie Tennstedt.

Violent «bashing sur les réseaux»

En retour, le minimum serait de recevoir un peu de reconnaissance de la part des propriétaires. «Un bonjour, au revoir, merci, c’est la base. Pourtant chez certains, c'est apparemment optionnel. Heureusement, la majorité de la clientèle est compréhensive, respectueuse. Mais il y a certains propriétaires qui sont de plus en plus exigeants, et de moins en moins empathiques. Et c’est ce petit pourcentage qui participe à l’épuisement de toute la profession».

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Une profession qui n’en peut plus du «bashing sur les réseaux sociaux». «Des clients étalent leur mécontentement sur le Net, c’est parfois très violent. La semaine passée, j’étais en contact avec une jeune collègue qui était dévastée après un différend avec un propriétaire. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’on fait tout notre possible pour aider au mieux. Mais ça reste de la médecine, du vivant, pas de la mécanique. Parfois, on voit arriver un animal qui, manifestement, a été négligé pendant des années, le propriétaire n’a fait aucun soin préventif. Puis on nous demande de faire l’impossible pour sauver l’animal…. Et quand on n’y arrive pas, tout le stress du propriétaire, toute sa déception et sa frustration retombe sur nous».

Côtoyer la mort... et la donner

Pour ceux qui ont tout misé dans leur amour des bêtes et qui consacrent leurs journées (et souvent leurs nuits) à les soigner, le découragement peut alors rapidement monter, surtout lorsqu’ils se font entendre dire qu’ils sont là pour l’argent. «Pompe à fric, c’est l’insulte qui revient le plus souvent. Les gens n’imaginent pas tous nos coûts de fonctionnement. Nous sommes assujettis à la TVA, il faut amortir le matériel, le coût de nos structures… Des études ont montré que parmi toutes les professions libérales, vétérinaire était celle qui était la moins bien rémunérée en Europe», assure Sophie Tennstedt.

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D’autres facteurs peuvent aussi expliquer le haut taux de suicide parmi ces praticiens. Un peu comme les agriculteurs qui ont la corde dans la grange ou le fusil de chasse à proximité, les vétérinaires, du fait qu’ils euthanasient des êtres vivants, ont les compétences et le matériel pour mettre fin à leurs jours. Côtoyer la mort (et parfois l’administrer aux bêtes) peut aussi s’avérer éprouvant à la longue. Surtout si vous devez en euthanasier 2.500 en un jour ….

Aux grosses cadences, au manque de reconnaissance et au fait de côtoyer la mort, s'ajoute le manque de bras pour expliquer le coup de blues au sein de la profession. La pénurie de nouvelles recrues vient en effet un peu plus alourdir la charge de travail de ceux qui restent, en un cercle vicieux qu’il devient urgent de casser.

«J’ai vu plein de jeunes collègues arriver dans le métier s’en aller après un ou deux ans, dégoutés. De mon côté, j’ai la chance de travailler en partie dans une clinique, d’être super bien entourée professionnellement et d’avoir une famille qui m’épaule et me soutient totalement. J’ai décidé que pour moi, le burn-out, ça sera non !», sourit Sophie Tennstedt.

 

Besoin de parler?

L’ASBL «Un pass dans l’Impasse» propose pour tous les indépendants et entrepreneurs francophones une ligne d’écoute gratuite et anonyme au 0800/300.25 , ainsi quatre séances de soutien psychologique gratuites par téléphone ou par visioconférence. L’association a également lancé un bouton «alertez-nous» sur son site, pour proposer aux citoyens que le souhaitent de devenir une «sentinelle» pour détecter les personnes en détresse et déclencher une alerte auprès d’elle.

Par ailleurs, le Centre de prévention au suicide est joignable en Belgique via une ligne gratuite et anonyme: le 0800 32 123. Un rendez-vous avec un psychologue spécialisé est également possible via le 0476 53 00 84 et un site est également à la disposition du public (https://www.preventionsuicide.be/).

À lire aussi : "Tu es bénévole sur la ligne d’écoute du CPS ? Mais comment fais-tu ?"

 

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