
Prolongation du nucléaire: pourquoi il ne faut pas s'en réjouir trop vite

La Belgique s’éclairera donc au nucléaire jusqu’en 2035. Depuis l’accord entre Engie et le gouvernement fédéral, le débat sur l’avenir de l’atome a repris de plus belle. La crise a aussi sa part de responsabilité puisqu’elle a tordu le cou à ce tabou, y compris dans les partis qui s’opposaient au nucléaire par idéologie comme Écolo. Elle a démontré l’importance de l’indépendance énergétique de notre pays pour mieux contrôler la variation des prix sur les marchés. Or, pour sortir du nucléaire, la Belgique, via le mécanisme de capacité (CRM), envisageait de remplacer l’atome par… du gaz. Il n’est pas question de s’en passer. Les deux centrales au gaz, en construction à Flémalle par Engie, et à Seraing par Luminus, restent dans les cartons. Mais le gouvernement ne souhaite plus utiliser cette source d’approvisionnement pour couvrir plus de la moitié de notre consommation. “La Belgique reprend son destin énergétique dans ses propres mains”, a résumé le Premier ministre Alexander De Croo.
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C’est peut-être un peu trop vite dit. La prolongation du nucléaire pour dix années supplémentaires ne réduit pas à zéro les risques de connaître régulièrement des coupures d’électricité après 2025. L’hiver 2025-2026, en particulier, représente un moment charnière. Cette année-là, tous les réacteurs seront à l’arrêt, y compris les deux prolongés, car ils feront l’objet d’une maintenance essentielle pour éviter des incidents. La Belgique ne pourra dès lors compter que sur ses unités renouvelables (éolien, solaire, etc.) et ses centrales au gaz. Dans un scenario transmis au gouvernement fédéral, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité Elia estime qu’il manquerait entre 900 et 1.200 mégawatts de production, soit un dixième de la consommation totale en Belgique.
Pour combler ce manque, certains représentants politiques dont le ministre MR David Clarinval suggère de prolonger les trois autres centrales dont la fermeture est prévue en 2025 (Doel 1 & 2 et Tihange 1). “Ce serait des prolongations, mais plus courtes”, a-t-il précisé. Des études d’incidence doivent encore être menées par Engie, mais ce serait possible si la Belgique était capable d’économiser du combustible nucléaire d’ici là. En outre, des pistes de nouvelles centrales au gaz sont envisageables pour compléter le mix énergétique. Une autre option est de compter sur nos partenaires, notamment français, pour nous vendre de l’électricité. Cela avait été le cas durant l’hiver 2018-2019 lorsque la Belgique avait débuté la saison froide sans réacteurs pour cause de maintenance. Sauf que la France aussi peut connaître des délestages lorsque ses centrales ne sont pas opérationnelles, comme cette année.
De plus, pour les hivers suivants, lorsque Doel 4 et Tihange 3 seront disponibles, l’équation ne sera pas résolue pour autant. Dix ans, en matière énergétique, c’est peau de chagrin. La stratégie belge doit se construire à long terme, sur 30 ou 40 ans. Or jusqu’à preuve du contraire, l’horizon politique belge en la matière reste flou.

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Des factures plus chères?
Au cours de la semaine écoulée, le focus a été placé sur le coût de la prolongation. La note devrait s’élever à 1 milliard d’euros environ, à moitié payée par Engie et à moitié par l’État. Ce dernier devra trouver l’argent à un endroit ou un autre… Deux pistes ont été évoquées. La première serait basée sur un “contrat de différence”. En résumé, si l’électricité produite est vendue à un prix de gros inférieur au “prix convenu”, l’État belge interviendrait pour combler le manque. Si l’électricité produite est vendue à un tarif supérieur, l’excédent reviendrait à l’État. La seconde piste est celle de la “base d’actifs régulés”. Le régulateur du réseau devrait alors fixer la “marge bénéficiaire admissible” et la garantir via une nouvelle taxe sur la facture des consommateurs.
Déchets nucléaires: le chantier du siècle
La gestion des déchets des 5 réacteurs nucléaires d’ici 2025, et des 2 derniers d’ici 2035, représente un enjeu majeur. Or la Belgique n’a pas décidé définitivement. La piste privilégiée, et l’unique réellement considérée par l’Organisme national des déchets radioactifs (ONDRAF) est l’enfouissement géologique. Cela consiste à les entreposer dans la terre qui fait office de barrière naturelle contre la radioactivité. Toutefois, l’enfouissement ne serait pas applicable pour des raisons d’autorisation avant… 2045. Il existe trois classes de déchets: les moins dangereux “à vie courte” (une centaine d’années) et faiblement radioactifs, ceux à “longue durée de vie” (plusieurs centaines de millions d’années) faiblement ou moyennement radioactifs et les déchets à la fois à longue durée de vie et hautement radioactifs.
Demain, de nouvelles usines?
Alors que la prolongation de Doel 4 et Tihange 3 vient d’être actée, personne n’ose pour l’heure proposer la construction de nouvelles centrales nucléaires en Belgique pour garantir notre indépendance énergétique. Certains pays ont pourtant passé ce cap, dont la France qui en a prévu 6 dans le cadre de son objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Sur son site Internet, le Forum nucléaire belge, organe de référence composé de membres industriels, et source d’information pour le monde politique, vante pourtant les bienfaits des “futures centrales” de génération III+ et IV dont la sûreté est renforcée. Pour en construire chez nous, il faudrait toutefois que le monde politique ait la capacité de décider à long terme...
L’anecdote
La Commission des provisions nucléaires, qui calculera la facture du démantèlement des réacteurs, sera présidée par un ancien… d’Engie, Kevin Welch. Le signe de l’influence d’Engie sur les politiques énergétiques de la Belgique.