575 milliards d’euros de dette publique : l'Etat doit-il stopper son endettement ?

Pour un expert, la dette reste soutenable, car l’État possède du patrimoine. Pour l’autre, il est temps de rembourser et de mieux redistribuer l’argent public.

dette publique
La dette nationale s’élève à 575 milliards d’euros, soit 110 % du PIB. © Adobe Stock

À Bruxelles, les limites de l’endettement sont atteintes.” La déclaration émane du ministre bruxellois des Finances Sven Gatz. La dette consolidée de la Région-Capitale s’élèvera à 13,2 milliards d’ici la fin de la législature. Le projet de la ligne 3 du métro nécessaire pour décloisonner certains quartiers, limiter l’usage de la voiture et fluidifier la mobilité est coûteux. À cause de l’inflation, il pèse particulièrement dans la balance. Le métro nord représente un investissement de 2,65 milliards d’euros, au lieu des 2,251 milliards estimés en 2021. Même si la note est salée, au niveau du gouvernement, le projet ne serait pas pour l’heure remis en cause. Il faut dire que de très nombreux citoyens le réclament.

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La Région bruxelloise n’est pas la seule à enregistrer un tel record. La dette wallonne tourne autour des 30 milliards d’euros. Selon les prévisions, elle pourrait se rapprocher des 50 milliards d’ici 2030. Le déficit flamand pourrait quant à lui dépasser les 40 milliards dès l’an prochain. Au niveau fédéral, la situation n’est pas meilleure. La dette nationale s’élève à 575 milliards d’euros, soit pratiquement 110 % du PIB. Sans réforme, elle pourrait atteindre 180 % du PIB d’ici 2050. La Belgique serait alors virtuellement en faillite.

Ces milliards à rembourser n’ont évidemment rien de rassurant. Ils le sont encore moins lorsque l’on sait que par habitant, la dette publique belge (47.331 €/habitant) est plus importante que la moyenne européenne (28.460 €). Ce trou a été creusé à cause de la pandémie, puis par la crise énergétique, et les aides associées aux crises. Le contexte des taux bas profitait jusqu’ici aux pouvoirs publics dans leur capacité à emprunter de l’argent bon marché. Aujourd’hui les taux remontent, mais les défis en matière de mobilité, d’environnement, de santé, d’énergie, etc. ne faiblissent pas, et requièrent de nouveaux investissements. Alors ces dettes publiques, stop ou encore?

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“Non, si l’économie fonctionne bien”

Selon Roman Gelin, chercheur au Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative (Gresea)

“À côté de l’endettement, l’État et les régions possèdent des actifs, des bâtiments, des infrastructures. Il est erroné de les considérer comme des débiteurs nets. De plus, aujourd’hui en Europe, de nombreux pays ont une dette autour des 100 % du PIB. Cela fait des décennies que celle des États-Unis et du Japon dépasse largement les 100 % du PIB. Ces États n’ont jamais été menacés de faillite. Ce chiffre ne peut être analysé sans considérer la production économique de la zone endettée. Outre le patrimoine, les citoyens y travaillent, des industries se développent, des services sont octroyés. Si l’économie fonctionne bien, s’endetter revient à transiter, à améliorer la société, à relever les défis environnementaux, de mobilité, sociaux, économiques, de santé, etc. Tôt ou tard, de la richesse émanera de ces investissements.

Cela ne signifie pas que la dette n’est pas un enjeu. Elle devient problématique lorsque l’État ou la région n’a plus la capacité de se faire prêter de l’argent par la suite, soit par les banques centrales, soit via des obligations d’État. Finalement, tant que les investisseurs institutionnels, les banques, etc. ont la preuve que l’État ou la région est capable de rembourser, l’endettement n’est pas si problématique. Des agences de notation les informent à ce sujet et, jusqu’à preuve du contraire, aucune ne constate que la Belgique n’est en défaut de paiement. On n’est pas du tout au niveau de la Grèce après la crise de 2008 ou d’autres pays qui ont connu des défauts de paiement par le passé comme l’Argentine.

Vu ces risques, l’endettement et le déficit ne sont pas pour autant des questions à prendre à la légère, mais sans tomber de façon caricaturale dans le discours de certains politiques de droite qui vise à réduire la portée de l’État a tendance à simplifier le débat comme suit: on est trop endettés, donc on doit mener des politiques d’austérité, réduire les dépenses publiques et faire en sorte que l’État intervienne de moins en moins au niveau social et économique. Il y a souvent derrière cette logique une arrière-pensée politique et une idéologie.”

“Oui, réduire le déficit est une nécessité absolue”

Selon Bernard Keppenne, Chief Economist à la CBC Bank & Insurance.

“Lorsqu’un État ne rembourse jamais ses dettes, c’est-à-dire qu’il emprunte davantage pour rembourser des emprunts existants, il y a une espèce de roulement permanent de l’endettement. C’est ce qu’il se passe en Belgique depuis des années. Cela peut avoir du sens s’il sert à couvrir des investissements qui vont être producteurs de croissance, d’innovation, de recherche. La première inquiétude est que certains crédits servent désormais simplement à rembourser des intérêts et n’ont plus aucun effet positif au niveau de l’économie. La seconde inquiétude est qu’un État ne peut pas indéfiniment emprunter au risque de perdre la confiance de l’émetteur, sa capacité à contracter de nouveaux emprunts ou tout du moins de subir une augmentation importante des coûts de son endettement, qui ne sert qu’à rembourser des intérêts. Ce phénomène de marché peut à terme entraîner un envol du déficit. Or, si les flux financiers sont octroyés à des tarifs exorbitants ou ne le sont plus du tout, un État doit demander l’aide du Fonds monétaire international qui lui impose des réformes “chocs”.

La Belgique n’en est pas là, mais il y a des règles de bon sens qu’un État ou une région doit appliquer. On doit maintenant commencer sérieusement à ralentir les emprunts, à ralentir l’endettement, si on ne veut pas à terme se retrouver dans la situation de la Grèce après 2008. Réduire le déficit est une nécessité absolue.

Ensuite, l’État ou chaque région doit s’interroger sur la bonne affectation des fonds, de la répartition des dépenses dans notre lasagne institutionnelle. Qui ou quels secteurs ont besoin d’investissement? La santé? L’éducation? L’environnement? Outre le fait de devoir moins s’endetter, il faut absolument mieux gérer l’argent public et mieux le dépenser. Dans le contexte actuel, il est difficile de développer les énergies renouvelables de façon sérieuse, ou d’assurer la transition digitale des administrations publiques.”

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