
Le bouddhisme bientôt reconnu en Belgique: qu'est-ce que cela change et quelles questions cela pose-t-il?

Ce vendredi 17 mars, le gouvernement va se pencher sur un avant-projet de loi très attendu par les bouddhistes belges. Présenté par le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open Vld), il a pour but de reconnaître officiellement leur "culte" en tant que tel. S'il est approuvé par la Vivaldi, le texte serait envoyé au Conseil d'État puis au Parlement. La loi, qui a de bonnes chances de passer, pourrait être définitivement validée "avant les vacances parlementaires”, estime auprès de La Libre Carlo Luyckx, président de l’UBB (Union bouddhique belge). Le bouddhisme s'ajouterait alors à la liste des six courants religieux déjà soutenus par l'État (le christianisme catholique, orthodoxe, anglican et protestant-évangélique, le culte israélite et islamique), avec la particularité qu'il aurait le titre de "philosophie non confessionnelle", tout comme la laïcité organisée. Plus concrètement, toute une série de conséquences découlerait de cette reconnaissance, avec des retombées potentiellement très visibles.
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Des financements et des conseillers bouddhistes plus présents
Outre le fait de donner une légitimité au bouddhisme, l'adoption du projet de loi débloquerait tout d'abord un budget pour soutenir l'UBB (sur lequel le gouvernement aurait toutefois un droit de regard). Une aide bienvenue pour l'organisation qui ne peut aujourd'hui compter que sur les dons de ses 185.000 fidèles, selon le chiffre donné par le ministère de la Justice. Cela l'aiderait ainsi à se développer. Elle pourrait entre autres se doter d'une petite vingtaine de conseillers et d'implantations installées dans chaque province (Bruxelles incluse), chacune étant financée en partie par l'État.
En-dehors de ces considérations structurelles, cette reconnaissance officielle ouvrirait la porte à l'arrivée de conseillers bouddhistes dans plusieurs domaines: hôpitaux, armée, prisons ou encore émissions spécifiques. L'enseignement officiel pourrait potentiellement devoir créer des cours de bouddhisme mais cette question reste sujette à controverse. La Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) pourrait en effet de remplacer les cours de religion et de morale par un supplément d'éducation à la philosophie et citoyenneté d'ici septembre 2024. Il faudra par conséquent voir ce que la FWB ferait selon ce que décide le Conseil d'État à ce sujet.
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Un système controversé de reconnaissance des cultes
Cette potentielle reconnaissance du bouddhisme promet également de relancer un vieux débat: le lien entre l'État et les cultes est-il dépassé? À l'origine, ce système était le fruit d'un compromis entre les libéraux et les catholiques de 1831, lorsque la Constitution belge a été écrite. Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Pour l'avocat et constitutionnaliste de l'ULB Marc Uyttendaele, celui-ci est "obsolète" et ce "tout à la fois par l’évolution du droit et du modèle démocratique et par l’évolution sociologique de la population", sans oublier la fédération de l'État (le temporel relevant des entités fédérées alors que la reconnaissances des cultes reste du domaine du fédéral). Le professeur de droit rappelle que le système a été pensé par rapport au culte catholique dominant et que cela se concilie mal avec des cultes sans structure verticale.
"Plus fondamentalement, ce système heurte frontalement le principe d’égalité et paradoxalement la liberté de religion qu’il entend décliner", juge-t-il. "Comment justifier, en effet, que les adeptes d’un culte minoritaire, arithmétiquement moins important, présents plus récemment sur le territoire national ou insuffisamment structurés échappent ainsi aux faveurs que l’État consent aux cultes les plus puissants ?". Pour lui, c'est "la loi du plus fort qui règne en maître, anachronisme d’un système hérité d’un rapport de force figé il y a 180 ans".
Le Forum Hindou de Belgique a ainsi demandé sa reconnaissance en 2013 sans l'obtenir depuis. Seul lot de consolation: un financement fédéral limité permettant sa structuration en vue d'obtenir éventuellement un jour ce Graal.
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Le dilemme belge
"L’on peut comprendre évidemment que les autorités publiques freinent des quatre fers à l’idée de respecter le principe d’égalité tant les conséquences pratiques et budgétaires en seraient multiples et préoccupantes", rappelle toutefois Marc Uyttendaele. En effet, dans l'absolu, on pourrait imaginer que l'État se décide à financer tous les cultes possibles et imaginables, ce qui aurait de grandes conséquences au niveau sociétal et budgétaire, avec d'énormes problèmes pratico-pratiques (dans l'enseignement, la diffusion des rituels à la télévision, etc.). "Il y a là, de surcroît, un réel danger démocratique", fait-il remarquer en citant les foyers intégristes qui peuplent certaines religions.
En avril 2022, les Témoins de Jéhovah, accusés en France de pratiques "caractéristiques des dérives sectaires", ont par ailleurs saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) sur ce problème de la reconnaissance des cultes par l'État belge. Celle-ci a édicté qu'au vu de l'importance du ministère de la Justice dans le processus, celui-ci «ne repose pas sur des garanties minimales d’équité, ni ne garantit une appréciation objective de leur demande».
Depuis, rien de nouveau sous le soleil. L'historienne de l'ULB Caroline Sägesser notait l'année dernière que la CEDH avait confirmé que "le système belge de financement des cultes est discriminatoire", un "constat posé de longue date, notamment par deux commissions établies par le ministre de la Justice en 2005 et en 2009". "Leurs recommandations — un avant-projet de texte de loi organisant la procédure de reconnaissance et définissant des critères avait même été préparé — sont pourtant restées lettre morte jusqu’à aujourd’hui".
En avril 2022, la Cour européenne des droits de l’homme, saisie par les Témoins de Jéhovah, pointait le caractère arbitraire et flou de la procédure de reconnaissance, « subordonnée à la seule initiative du ministre de la Justice » et dépendant ensuite « de la volonté purement discrétionnaire du législateur ». Les juges de Strasbourg ont conclu que le régime comprend « intrinsèquement un risque d’arbitraire » et que le processus « ne repose pas sur des garanties minimales d’équité, ni ne garantit une appréciation objective de leur demande ». Contacté sur une éventuelle réforme du système belge de reconnaissance, le cabinet du ministre de la Justice se refuse à tout commentaire.