Mobilisation pour Divine N'Sunda, menacée d'expulsion : "Cela m’a permis de mieux comprendre la politique migratoire"

La possible expulsion d’une accueillante scolaire a provoqué colère et incompréhension dans la paisible commune de Chastre. Car la question de la migration est vue tout autrement quand elle concerne un visage connu et apprécié.

mobilisation contre l'expulsion de Divine N'Sunda
Divine N’Sunda est accueillante à la Petite École de Gentinnes, dont le personnel s’est mobilisé. © BelgaImage

Son monde, Divine N’Sunda a commencé à le bâtir en novembre 2012, quand elle arrive en Belgique en provenance de Kinshasa. Après un an à la Croix-Rouge, elle s’installe dans le Brabant wallon et devient accueillante à la Petite École de Gentinnes, entité de la commune de Chastre. Mais ce monde s’est écroulé le 30 janvier. Quand elle quitte l’école cette après- midi-là, elle ne sait pas encore qu’elle ne passera pas la soirée chez elle. Et encore moins les jours qui suivent. Elle est arrêtée par des policiers, placée en détention au commissariat, puis envoyée le lendemain dans le centre fermé de Holsbeek. Ne la voyant pas tenir son poste près de la grille pour accueillir les enfants, ses collègues de l’école s’inquiètent. Personne ne les a prévenus. Il leur faudra trois jours pour savoir ce qui lui est arrivé.

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Depuis près de deux mois, elle n’a pas pu respirer un autre air que celui de Holsbeek. Mais elle n’est pas seule, le corps professoral de la Petite École et les parents s’étant directement mobilisés. Deux rassemblements, qui ont rameuté 300 puis 700 personnes, ont prouvé l’attachement que Divine N’Sunda a suscité chez ceux qu’elle a croisés ces dix dernières années. Sur le groupe Facebook dédié à son soutien s’enchaînent les témoignages de parents d’élèves, collègues et amis. Ils insistent sur son “intégration réussie” au sein de la vie sociale de la commune.

Indispensable à l’école

Pour toutes et tous, sa potentielle expulsion est donc un choc. La marque violente d’une réalité qu’on a l’habitude de voir à la télé. “Quand tu entends parler de ces choses-là à la télé, tu peux zapper, reconnaît Alice, maman de Jean, trois ans, habituée à croiser quotidiennement Divine. On s’y est habitué. Mais quand j’ai entendu que Divine risquait d’être expulsée, j’ai repensé à tous les contacts que j’avais eus avec elle. Ce sujet avait un visage, c’était l’occasion de se bouger le cul.” Comme les nombreux parents présents lors des rassemblements, elle a tenu à intégrer son fils dans la démarche. Il a fallu expliquer. “Il ne pigeait pas pourquoi on faisait un truc pour Divine, alors qu’elle n’était pas là. Je lui ai dit qu’elle était bloquée à cause d’un problème au niveau de ses papiers. Et il a compris qu’il fallait l’aider. Comment? En marchant. Cette discussion avec lui m’a vraiment interpellée.”

Si on arrive, via un cas individuel, à parler de la question de la politique migratoire, à faire évoluer les mentalités, c’est une bonne chose.

Lors du second rassemblement, le 5 mars, un homme muni d’un gilet jaune comptait un à un les participants. C’est Nicolas Bodart, parent d’un élève de la Petite École et membre du comité de soutien. “C’est la première fois que je m’investis autant, et il est vrai que le fait que ce soit proche de soi décuple l’envie de s’engager. Si on arrive, via un cas individuel, à parler de la question de la politique migratoire, à faire évoluer les mentalités, c’est une bonne chose pour les milliers de personnes qui sont dans la situation.” Car le cas de Divine N’Sunda a probablement politisé des personnes peu confrontées à la réalité d’une vie sans les bons papiers. “Je pense effectivement que beaucoup de personnes n’y étaient pas attentives. Mais la difficulté, c’est parfois comment les gens réagissent. Certains disent: “Elle est bien intégrée, au contraire d’autres qu’on devrait renvoyer”. Ce n’est pas ma vision des choses. Divine a pu s’intégrer mais d’autres n’en ont pas l’occasion. C’est important de débattre avec les gens. Me battre pour Divine m’a permis de mieux comprendre la politique migratoire.

Dimitri Crickillon est, lui, le directeur de la Petite École, où travaille Divine N’Sunda. En décembre 2022, quand elle reçoit un ordre de quitter le territoire et qu’une demande de régularisation lui est refusée, il pense la sortir des ennuis en lui faisant signer un CDI. Ce que fait l’accueillante à l’école, personne d’autre ne le fait. Présente dès 7h30, elle sert aussi les repas du midi et assure la garderie après les cours. Ce contrat n’est donc pas un cadeau, mais une réelle nécessité pour l’école. “Cette situation est aux antipodes des missions qui nous sont confiées. Notre école situe son projet autour de valeurs d’ouverture, de citoyenneté. Quel sens a encore l’école par rapport à sa mission éducative, qui pour nous est de former les jeunes à être les citoyens de demain, alors que du jour au lendemain on enferme une personne de notre équipe qui n’a commis aucun délit si ce n’est d’être Africaine?

Pression de l’opinion

Lors du rassemblement du 5 mars, devant le Mémorial Kongolo de Chastre où se trouve l’appartement de Divine N’Sunda, les habitants de la commune ont pu croiser leur bourgmestre. Thierry Champagne l’a assuré plusieurs fois, le conseil communal se joint à la mobilisation de soutien. Mais il a une analyse plus pragmatique de la situation. “C’est difficile. Je suis d’accord sur le fait que le système actuel dysfonctionne dans le sens où si elle a le droit de rester, elle reste, et si elle n’a pas le droit, elle ne reste pas. Mais après dix ans, inévitablement, on s’est reconstruit, on a des projets, on crée des liens. Ce délai est beaucoup trop long. Je m’inquiète pour elle et on se dit qu’elle a, quelque part, perdu dix ans de sa vie. Ça doit aller beaucoup plus vite, que ce soit un oui ou un non.

Divine N'Sunda

Divine N'Sunda.

Il est intéressant de déceler cette tension entre politique globale et enjeu individuel dans les propos de Thierry Champagne, bourgmestre MR. Le parti libéral est effectivement celui qui, côté francophone, a la vision la plus dure en matière de politique migratoire. Sincèrement inquiet et préoccupé par le sort de Divine N’Sunda, il le reconnaît, “de wet is de wet”. “J’essaye de ne pas me mêler de ce qui se passe à la Région wallonne ou au fédéral. Je suis bourgmestre, et je me mobilise parce qu’elle est intégrée au village. Mais je suis assez d’accord avec la vision du parti. Si elle veut bien aider les gens qu’elle reçoit, la Belgique n’a pas la capacité d’aider tout le monde. Le MR accepte le fait que la Belgique joue son rôle d’accueil pour les réfugiés politiques, principalement. Et cette ligne ne m’empêche pas de dire qu’après dix ans, du travail à Chastre, et une intégration comme elle l’a connue, je trouverais dommage que Divine retourne au Congo. C’est une matière extrêmement complexe, que je ne maîtrise pas du tout. Mais une chose est sûre, laisser l’espoir durant dix ans n’est humainement pas une bonne chose. Si je suis interrogé un jour par mon parti, je dirai cela.

Même s’il est compliqué à mesurer, les mobilisations citoyennes peuvent avoir un réel impact. Il y a quelques années, la commune de Rixensart s’était mobilisée pour aider une famille venue d’Arménie qui vivait en Belgique depuis douze ans et qui risquait l’expulsion. Les trois enfants n’avaient connu que notre pays, ou quasiment, et là aussi, le soutien était parti de l’école pour devenir viral.

Finalement, la famille avait obtenu une régularisation. “On ne peut pas dire que cela participe au dossier au niveau judiciaire, nous souffle une avocate spécialisée en droit des étrangers. Mais l’Office des étrangers peut tenir compte de toutes les circonstances de l’affaire. Et la mobilisation peut être une forme d’expression du profil de la personne, qui lui avait peut-être échappé. D’expérience, on a vu que parfois, il cédait à la pression de l’opinion.” Un message clair pour les soutiens de Divine N’Sunda.

Un vol annulé

Concrètement, Divine N’Sunda risque à tout moment l’expulsion. Fin février, elle a été “invitée” à prendre un vol en direction de Kinshasa, ce qu’elle a refusé comme l’autorise la loi, mais une seule fois. Un second vol était donc prévu le 7 mars, mais il a été annulé. On ignore pourquoi. Vu les négociations en cours autour de la crise de l’accueil et les accords qui en sont sortis, peut-être a-t-on voulu éviter de mettre de l’huile sur le feu. Ces accords sont basés sur le renforcement des capacités d’accueil mais surtout sur une grande réforme de la politique migratoire. À terme, le gouvernement veut éviter que quiconque ayant construit sa vie en Belgique durant de longues années soit renvoyé du jour au lendemain. Cette grande réforme a néanmoins été critiquée par les associations de terrain. “C’est regrettable de voir des termes comme “lutte contre les abus” être utilisés à toutes les sauces, alors que pour le moment, les abus sont surtout le fait des autorités qui ne respectent pas le droit à l’accueil”, a signalé à La Libre Sotieta Ngo, directrice du Ciré.

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