
Ce que les banques font de votre épargne

En octobre dernier, la Banque nationale chiffrait à près de 300 milliards d’euros le montant total économisé par les particuliers du pays. Environ un quart du patrimoine financier de la population se trouve donc aujourd’hui dans les coffres des établissements bancaires… Du moins en théorie. En pratique, ces billets ne dorment pas réellement sur les comptes d’épargne en attendant de rapporter à leurs propriétaires quelques poussières d’intérêts par an. Les banques s’en servent pour financer des prêts aux acteurs de l’économie réelle ou pour investir sur les marchés financiers. Difficile, ensuite, d’en savoir beaucoup sur la destination de ces milliards.
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“On sait certaines choses, mais on ne sait pas tout, résume le directeur de l’association Financité, Bernard Bayot. On sait, pour chaque banque, le type d’utilisation qu’elle fait des dépôts, c’est-à-dire, par exemple, le montant utilisé pour les crédits. Mais de manière plus fine, ce n’est pas possible de savoir à quel type d’entreprises ou de clients la banque prête de l’argent. Pour le dire de manière caricaturale, on ne sait pas si, avec nos quelques milliers d’euros d’épargne, l’établissement va financer une fabrique d’arme, une plateforme gazière ou une école.” Le professeur en politiques économiques à l’UCLouvain, Clément Fontan, abonde. L’opacité est totale, ou presque. “Les consommateurs n’ont pas de vue précise sur la composition des portefeuilles de crédit et d’investissement de leur banque, mis à part leur zone géographique. Cela s’explique d’abord car ces portefeuilles sont en évolution constante. De plus, si une banque donne l’origine de ses placements, cela peut être négatif pour elle en termes de concurrence.” Résultat, c’est silence radio. Jusqu’au moment où les tribunaux s’en mêlent… et donnent de facto des indications aux consommateurs sur l’utilisation que font les banques de leur argent.
La justice comme indice
En 2014, BNP Paribas a notamment écopé d’une amende record de 8,9 milliards de dollars aux États-Unis pour avoir violé les embargos américains contre le Soudan, Cuba et l’Iran. Aujourd’hui, la banque est toujours poursuivie par les tribunaux français pour sa complicité présumée dans les génocides au Soudan et au Rwanda. Des déboires judiciaires auquel s’ajoute une nouvelle plainte, liée à l’environnement cette fois-ci, déposée mi-février par trois ONG françaises. Les organismes accusent la banque au logo vert de contribuer au changement climatique, en continuant d’investir massivement dans les énergies fossiles. “Il y a donc des indices qui montrent que certains acteurs ont, ou ont eu, des comportements peu éthiques, voire condamnables”, souligne Bernard Bayot.
De son côté, BNP Paribas assure “chercher à réduire son impact négatif”, en excluant notamment les investissements “pour une série de biens et activités, comme l’amiante, les armes controversées, ou encore le tabac”. Pour permettre aux consommateurs, de plus en plus sensibles à ces questions, d’y voir plus clair, l’association FairFin a développé un outil appelé “Scan des banques”. Tous les deux ans, l’organisme décortique les politiques d’investissement des grandes banques belges et des plus petits acteurs, pour déterminer quels sont les meilleurs élèves en termes de changement climatique, de droits humains et d’évasion fiscale. Sans surprise, les plus grandes institutions se partagent le bas du classement. “Le dernier rapport du GIEC montre que les montants de financement vers la transition énergétique sont totalement insuffisants aujourd’hui. Ces montants devraient être de trois à six fois supérieurs à ce qu’ils sont aujourd’hui si on veut atteindre les objectifs des accords de Paris, alerte le directeur de Financité. La question du financement du climat est extrêmement préoccupante. Il faut introduire, dans le jeu, des contraintes ou des incitants, pour qu’investir dans les énergies vertes soit aussi intéressant que d’investir dans le pétrole.”

© Kanar
Ne plus mettre d’argent dans les énergies fossiles? Certaines banques en ont justement fait leur cheval de bataille. L’institution Triodos par exemple, qui caracole en tête du Scan des banques, assure que l’épargne de ses clients est utilisée “pour financer des projets durables tels que les énergies renouvelables, l’éducation, les soins de santé ou la culture”. Reste qu’aujourd’hui, les banques comme Triodos ou BNP Paribas peuvent raconter ce qu’elles veulent dans leurs messages publicitaires, rien ne les oblige à se justifier ensuite. D’ailleurs, pointe Clément Fontan, “Triodos détient des bons du Trésor néerlandais, or le gouvernement finance des projets d’extraction de gaz et de pétrole en mer du Nord. Même si la banque a une vraie volonté de transparence, cela reste difficile pour le consommateur de tout savoir”.
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Vers une meilleure régulation
La situation devrait cependant évoluer dans les prochaines années. “On a créé, au niveau européen, une taxonomie qui vise à faire une distinction entre les activités économiques qui ont un impact social ou environnemental favorable, et celles qui ont un impact défavorable”, explique Bernard Bayot. Déjà partiellement appliquée aux fonds d’investissement, cette taxonomie devrait également l’être pour les banques et les assureurs d’ici deux à trois ans. “La qualité des critères utilisés est cependant pour le moins contestée. La Commission européenne a par exemple intégré le nucléaire et le gaz dans les énergies vertes, ce qui n’est pas au goût de tout le monde.” Si tout n’est pas parfait, le directeur de Financité voit tout de même dans cette nouvelle réglementation une façon de contraindre les institutions à “un peu plus de transparence”. De son côté, Clément Fontan craint que les capacités de contrôle et de supervision ne soient pas suffisantes pour s’assurer de la bonne mise en œuvre de cette taxonomie. “Cela ne s’annonce pas simple. Entre un accord sur le règlement et la mise en œuvre effective par des processus de supervision adéquats, il y a un grand pas à franchir”. En attendant, le consommateur a un rôle à jouer en choisissant une banque qui lui ressemble.