
Distributeurs de billets : un accord qui fragilise un peu plus l’accès au cash ?
L’œuf, ou la poule ? Alors que l’utilisation de l’argent liquide serait en nette baisse, le maintien de dépenses liées au stockage et à la manipulation du cash (entretien des distributeurs, transferts de fonds, etc.) se justifierait de moins en moins. Voilà, en gros, le calcul du secteur bancaire. On pourrait toutefois retourner le raisonnement : c’est la raréfaction des agences et des distributeurs automatiques (ATM) aux quatre coins de la Belgique, qui pousserait les clients à délaisser les billets …
Qu’elles qu’en soient les causes, le phénomène est en tout cas objectivé : pour le sud du pays, une étude de l'Institut wallon de l'évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps) analysait la répartition géographique des distributeurs automatiques. Rien que pour l’année 2021, l’Iweps constatait une «dégradation par rapport à l'année 2020, avec une perte de 221 ATM et de 88 implantations».
Une «dégradation» appelée à «s'accélérer dans les années à venir et rendre l'accès aux distributeurs plus difficile en augmentant notamment les déplacements des usagers», prévoyait l’institut wallon, se basant sur des projections liées au projet Batopin.
Ce consortium est né de la décision des quatre premières banques belges (BNP Paribas Fortis, KBC, Belfius et ING Belgique de mutualiser la gestion des ATM, afin de de continuer «à garantir un accès satisfaisant aux citoyens à leur argent via le canal de leur choix».
Stopper l'hémorragie
Fin mars, Batopin, ainsi que Jofico (une structure représentant les institutions de taille moyenne comme Crelan/Axa) et la fédération belge du secteur financier (Febelfin) ont conclu avec le gouvernement fédéral un accord non contraignant visant à garantir un meilleur accès à l’argent liquide.
Les signataires, dont Pierre-Yves Dermagne, ministre de l’Economie (PS), Vincent Van Peteghem, ministre des Finances (CD&V) et Alexia Bertrand (Open VLD) se sont félicités des engagements pris, et ont estimé que «l’hémorragie avait été stoppée». L’accord stipulait notamment qu’un automate devra au minimum être présent par commune, d’ici à fin 2025. 24 retraits gratuits devront aussi être garantis à n’importe quelle machine du pays.
🡢 À lire aussi : Bientôt des distributeurs de billets dans les magasins pour lutter contre leur disparition?
Mais selon Le Soir, qui a pu consulter le texte en détail, l’accessibilité au cash risque encore de se dégrader. Et fortement. Le quotidien a fait les comptes : selon l’accord, fin 2025, il y aura 2.369 implantations ou «point cash», pour un total de 4.061 ATM sur le territoire. Soit une diminution de 1.296 sites et de 1.872 distributeurs par rapport à la situation de fin 2021, selon Le Soir.
Aucune vérification ni sanction
«Cet accord ne remplit en rien la liste des exigences portées par nos organisations» ont réagi dans un communiqué commun Testachats, Financité et Okra (association des personnes âgées). Pour ces organisations, le texte «ne garantit en rien la distance maximale à parcourir pour avoir accès à un distributeur de billets».
Bien que l’accord évoque des taux de couverture améliorés pour les populations (moins de 2 km par la route en zone urbaine, à moins de 3 kilomètres en zone dite intermédiaire, et à moins de 5 kilomètres en zone rurale), les associations regrettent un «manque d’engagement clair des taux de couverture à respecter».
«Cet accord, qui n’a aucun caractère contraignant et ne prévoit ni vérification sur le terrain ni sanction, ne garantit pas l’accès à un distributeur», pointait Delphine Schefin, représentante de Okra.
🡢 À lire aussi : Disparation des distributeurs de billets : comment retirer du cash est devenu un luxe
Du côté de Test Achats, on se méfie par ailleurs de certaines clauses de l’accord. «Notre analyse montre que le nombre de retraits gratuits prévus risque de mener à une détérioration pour les consommateurs, expliquait dans Le Soir Julie Frère, porte-parole. Aujourd’hui presque toutes les banques ont au moins un compte pour lequel la situation est plus favorable que celle prévue par l’accord».
Même au sein de la majorité, l’accord ferait grincer des dents. «On présente ce texte comme une victoire mais nous estimons que cela ressemble plus à l’organisation d’une pénurie avec validation par l’Etat, jugeait ainsi dans Le Soir Nicolas Parent, député Ecolo-Groen. Nous demanderons que ce point soit à l’ordre des travaux de la commission Economie cette semaine. Des auditions des parties sont indispensables. Il faudra reposer la question de l’opportunité législative. Pierre-Yves Dermagne a d’ailleurs dit avoir lancé un marché public pour travailler à ce cadre légal au cas où l’accord échouerait».
🡢 À lire aussi : Vers la fin du cash? Une catastrophe pour les sans-abri