
Pourquoi le 8 mai n'est plus férié (mais pourrait le redevenir) ?
Ce 8 mai, c'est jour férié dans plusieurs pays, notamment en France. D'autres auront congé demain, comme en Russie et dans de nombreux États issus de l'URSS. Dans tous les cas, il s'agit de commémorer la capitulation de l'Allemagne nazie en 1945. En Belgique, ce "jour de la Victoire" a également été célébré. Mais en 1983, l'État a décidé de supprimer cette journée de congé. Quarante ans plus tard, cette décision fait encore parler d'elle. Un collectif dénommé "Coalition 8 mai" demande même un retour en arrière et certains partis seraient prêts à s'engager dans cette direction. Des premiers pas ont déjà été réalisés pour revenir à la situation ante quem, mais le projet tend désormais à stagner.
Un abandon lié au contexte
Globalement, outre l'ex-URSS, le jour de la Victoire est particulièrement populaire dans les pays les plus touchés par l'occupation nazie pendant la guerre. Il est ainsi célébré en France, en République tchèque, en Pologne ou encore aux Pays-Bas (bien que les Néerlandais aient décalé la date au 5 mai). La Belgique a d'abord suivi le mouvement à l'issue du conflit, mais cela a commencé à changer en 1974. Cette année-là, l'État belge a limité le nombre de jours fériés à dix par an et le ministère de l'Éducation nationale a supprimé le 8 mai dans les écoles. Neuf ans plus tard, ce congé est définitivement supprimé au niveau national.
La Cegesoma précise que les commémorations de la fin de la Seconde Guerre mondiale n'ont jamais eu autant d'importance que celles du 11 novembre. Cela a pu jouer un rôle dans l'abandon de cette date. "Si la suppression du 8 mai comme jour de congé a certes suscité quelques protestations de la part des associations patriotiques, force est de constater que cela n’a pas fait grand bruit", constate le centre d'études. Selon Catherine Lanneau, professeure d’histoire à l’université de Liège, l'abandon de ce jour férié chez nous a également pu être influencée par le fait qu'"au fil du temps, on a privilégié la logique de construction et de réconciliation européenne, ce qui a peut-être mis un bémol sur les commémorations du 8 mai".
Quand la France a tiré un trait sur le 8 mai
L'historienne liégoise explique enfin à la RTBF qu'un pays comme la France avait un incitant supplémentaire à garder ce congé: le 8 mai 1945 marque le moment où l'Hexagone a retrouvé symboliquement son "aura de grande puissance". Certes, mais cela ne jouerait probablement qu'un rôle marginal. En atteste le fait que le 8 mai a d'abord été supprimé... en France! En 1959, De Gaulle, fraîchement arrivé au pouvoir après avoir instauré la Ve République, fait disparaître purement et simplement ce jour férié. Il faut attendre 1981 pour que les Français puissent à nouveau en bénéficier, juste après que François Mitterrand soit devenu président.
La Cegesoma rappelle que pour le général, "il s’agissait de réduire le nombre de jours fériés", ce que confirme au Parisien l'historien André Kaspi. Il s'agirait d'un point commun entre la suppression du 8 mai en Belgique et en France. Mais "dans les faits, c’était aussi un geste politique : le grand moment était bien plus la libération de Paris que la victoire alliée de mai 1945 et l’heure était à la réconciliation franco-allemande", pointe également la Cegesoma.
Bientôt un 8 mai à nouveau férié en Belgique?
Reste que l'exemple français montre qu'un retour en arrière est possible. En 1981, le rapporteur de la loi à l'Assemblée nationale, le socialiste Alain Hautecœur, voyait dans ce rétablissement un outil à "valeur pédagogique" face à la résurgence de l'extrême-droite. C'est ce même argument qui revient aujourd'hui en Belgique dans la bouche de ceux qui veulent faire de même. C'est le cas de plusieurs syndicats, organisations et historiens (FGTB, CSC, Ligue des Droits Humains, etc.) réunis au sein de la "Coalition 8 mai", qui note qu'"aujourd'hui, l’extrême droite revient, d’abord en chaussons, ensuite avec ses bottes". "Faisons à nouveau du 8 mai un jour férié, pour nous souvenir et pour rester en alerte", clament-ils.
Cet appel a eu un certain écho au sein de l'arène politique puisque les lignes commencent à bouger. En mai 2022, le PTB a fait une proposition de loi pour satisfaire cette demande. Toujours en 2022, le PS et Vooruit ont fait de même, bien qu'il soit ici question de célébrer le 8 mai seulement une fois tous les cinq ans. "Cela nous semble nécessaire pour entretenir le souvenir des victimes et pour redire ‘plus jamais ça’", fait savoir le texte remis à la Chambre.
Pour l'heure, le Parlement n'a pas été plus loin, ce projet ne figurant pas dans l'accord gouvernemental. La Vivaldi laisse toutefois libre les entités fédérées de légiférer en la matière. Cela a permis à la région bruxelloise de rétablir un jour de congé payé le 8 mai, qui correspond aussi à la fête de l'Iris. Côté wallon, il y a des hésitations. Faut-il créer un jour férié le 8 mai, ou plutôt le 27 septembre, c'est-à-dire lors de la fête de la Fédération Wallonie-Bruxelles? Pour l'heure, les autorités n'ont pas tranché, surtout dans un contexte d'inflation qui n'aide pas à faire passer au patronat l'idée de la création d'un jour férié.
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Un enjeu mémoriel
Pour l'écrivain Tom Lanoye, un des auteurs néerlandophones les plus lus et primés, il y a pourtant urgence à refaire du 8 mai une "fête de la démocratie", vu la poussée de l'extrême-droite. "Ce n’est pas seulement la Flandre, c’est l’Europe", dit-il à la RTBF. "Quand on regarde l’Italie, la Pologne, l’extrême droite est en train de s’organiser. Quand on regarde ce que fait Orbán… Pour ma part, en tant qu’homosexuel, aussi… Ce n’est pas normal de penser que les libertés qu’on a, on les a pour toujours. Nous devons faire la fête de la démocratie et dire aux jeunes pourquoi c’est si important".
La Cegesoma fait pour sa part un appel plus centré sur le devoir de mémoire. "Férié ou pas, lançons une bouée à la mer", dit-elle. "Imaginons un 8 mai qui irriguerait le sens profond de la démocratie, qui réfléchirait à notre rapport avec le passé et (p)oserait de vraies questions et un regard critique sur ces années de guerre, pas seulement dans les publications scientifiques mais aussi dans les débats de société : ne pas se couvrir du passé comme un porte-drapeau mais plutôt comme une ouverture ; un projet d’histoire publique pour, par et avec l’ensemble de la société civile".