
Une journée avec l'influenceuse Gaëlle VP, de l'autre côté de l'écran

La sonnette de la porte d’entrée interrompt la conversation. “Ça doit être la poste”. Gaëlle van Pottelsberghe revient, colis à la main. La jeune femme déballe quotidiennement un bon paquet de paquets. Après avoir déposé son fils Diego à la crèche, l’autre moment rituel de la journée. “Je reçois les produits des marques avec lesquelles je collabore pour faire du contenu.” Ce matin, il y a quelques surprises dans le lot. “Il arrive que des entreprises m’envoient des produits sans que ce soit prévu. La semaine passée, j’ai reçu un shampoing d’une marque qui m’avait entendue dire que j’avais les cheveux secs. L’attention m’a fait plaisir, mais ça ne veut pas forcément dire que je vais mettre le produit en avant.” Connue sous le nom de Gaelle VP sur les réseaux, elle a lancé son compte Instagram “un peu par hasard” en 2015. Aujourd’hui, et depuis cinq ans déjà, le contenu qu’elle poste sur la plateforme lui rapporte suffisamment d’argent pour qu’elle en vive. “Je ne m’attendais pas à un tel engouement. J’ai commencé en publiant des photos de mon mariage et de voyage. Ça a fait rêver les gens et une communauté s’est très vite formée.”
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Certaines abonnées m’annoncent leur grossesse en primeur, avant même de le dire à leur famille.
À 30 ans, Gaëlle est suivie par plus de 145.000 personnes sur Instagram. Du matin au soir, elle partage des vidéos de son jardin, des photos de son fils, des fringues qu’elle aime, l’humeur du moment ou un bon plan sortie. Celles qui regardent sa vie par écrans interposés sont surtout des jeunes mamans, entre 25 et 35 ans. “Pour certaines d’entre elles, je me rends compte que je suis un peu comme leur confidente, leur meilleure amie. Parfois elles m’annoncent leurs fiançailles ou leur grossesse en primeur, avant même de l’avoir dit à leur famille”, sourit la jeune femme. Une relation qui continue de la flatter autant que de la surprendre. “Cela m’arrive que des gens me reconnaissent dans la rue et ils savent ce que j’ai mangé la veille, le prénom de mon fils… Moi, je ne connais rien d’eux. C’est perturbant, même si c’est moi qui l’ai cherché.”
Pique-nique et dîner-surprise
Le lien avec sa communauté, il faut dire que Gaelle VP y passe du temps. Une bonne heure et demie par jour, chiffre-t-elle à la louche, le temps de répondre aux quelque 200 messages qu’elle reçoit quotidiennement. “Je réponds généralement le soir, ou quand je suis aux toilettes pour ne pas que ça empiète trop sur mon temps libre, blague-t-elle. Plus sérieusement, ça fait partie de mon boulot.” Sans ces followers, la jeune femme ne pourrait pas vivre de son contenu. Ce sont eux qui attirent les marques, qui y voient une aubaine pour la publicité de leurs produits. Parmi les publications de Gaelle VP, une partie est sponsorisée par des entreprises qui comptent sur son pouvoir d’influence. La trentenaire travaille avec environ 80 clients par an, de la marque de vêtements à l’ameublement. “Pour donner un ordre d’idées du montant qu’on peut demander par post, mon ancien agent disait que la somme doit correspondre à un centième du nombre de followers. Dans mon cas, cela correspond environ à 1.400 euros par publication”, assure la jeune femme, tout en restant floue sur les montants réels. Selon la directrice de l’agence Efluenz, Yasmin Vantuykom, un post peut rapporter entre 200 euros et 10.000 euros, en fonction de l’impact présumé de l’influenceur.

© DR
Un petit pactole, qui doit être relativisé, pointe Gaëlle van Pottelsberghe. “Réaliser une vidéo par exemple, cela me demande parfois jusqu’à une douzaine d’heures. Au-delà du contact avec le client, il y a la partie création, puis le tournage, l’édition et enfin tout l’administratif à gérer par la suite avec le client.” La préparation du contenu sponsorisé est d’ailleurs ce qui occupe la plus grosse partie de ses journées, quand elle n’est pas invitée à des événements. Ce midi, une fois Diego récupéré à la crèche, les deux fileront à un pique-nique organisé par une marque de lunettes de soleil. Au programme: lunch rémunéré, essayage de la nouvelle collection et réseautage. “On ne sait jamais ce qui nous attend, c’est chaque fois différent”, sourit-elle. En échange, la jeune femme publiera des photos de son fils, lunettes sur le nez, et du buffet coloré, avec indication du nom de la marque et dans un coin le hashtag “collaboration”. Histoire de rappeler que tout cela reste de la publicité. “Je fais le maximum pour être transparente à ce sujet.” La semaine prochaine, c’est au tour d’une grande marque de prêt-à-porter de l’inviter à dîner. “Je connais juste l’adresse et le dress code, mais le reste c’est surprise. La communauté adore suivre ce genre d’événement parce que ça fait un peu téléréalité!”
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Cinq ans sans déconnexion
Comme pour la téléréalité d’ailleurs, dans ce boulot, la limite entre la vie privée et celle partagée avec les internautes est floue. Exposition de sa vie de couple, de son bébé, de ses soucis immobiliers… “Durant les premières années, j’avais tendance à en dire trop. Désormais, je réfléchis beaucoup plus si ce que je vais publier va avoir un impact sur ma vie privée et celle de ma famille, et si cela a un intérêt pour ma communauté. Par exemple, je ne parle plus de l’éducation de mon enfant. Les gens ont toujours quelque chose à redire à ce sujet...” Reste que ses followers s’immiscent parfois dans la vie de Gaëlle van Pottelsberghe bien plus qu’elle ne le voudrait. “J’ai dû annoncer publiquement la maladie de mon mari parce que les gens ne le voyaient plus sur mes publications et pensaient que nous étions divorcés. Je n’ai pas de comptes à rendre… mais finalement quand même un peu.”
Cette exposition quotidienne ne prend pas de vacances. La trentenaire n’a pas déconnecté du réseau depuis son voyage de noces, il y a cinq ans. “Au mieux, je me prends des pauses de quelques heures, quand je vais faire du sport par exemple. C’est dur de se mettre off des journées entières, j’ai besoin d’interagir avec ma communauté et les marques. Même lorsque j’ai accouché, j’ai recommencé à faire du contenu trois jours après ma sortie de la maternité.” Comme chaque métier, dit-elle, le sien a ses avantages et ses inconvénients. “Tous les matins je me rends compte de la chance que j’ai de faire un job qui fait rêver. Et chaque année, je me demande si ça va continuer.”