
Qui parle encore le wallon en 2023 ?

Qwand èst-ce qui v’s-avez-st-ètindou djåser walon po l’dièrin.ne fèye? (“Quand avez-vous entendu parler wallon pour la dernière fois?”, en wallon de Liège). Il est bien possible que cela fasse un moment. Alors qu’au nord, le flamand est parlé par tout le monde de La Panne à Genk, le wallon, langue régionale la plus répandue au sud de Bruxelles, est progressivement devenu un vestige d’une autre époque. Et la dernière génération de ceux qui l’utilisaient couramment vieillit. De quoi s’inquiéter pour l’avenir du dialecte. Heureusement, plusieurs passionnés et amateurs veillent au grain.
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Dans l’administration, déjà, le Service des langues régionales endogènes de la Fédération Wallonie-Bruxelles est là pour promouvoir le wallon (et le lorrain, le champenois…) et s’assurer de sa pérennité. “Même si une grande part des locuteurs est vieillissante, on constate encore un grand dynamisme, commente Julien Noël, attaché au SLRE. Spectacles en wallon, journaux et revues, littérature, tables de conversation… On manque d’indicateurs concrets et officiels - les résultats d’une grande enquête sont attendus prochainement - mais on voit que si la langue est de moins en moins utilisée comme langue de communication, elle intéresse encore un nombre considérable de personnes comme langue d’expression.”
Quantifier l’utilisation du wallon est difficile car il est devenu une langue utilisée surtout dans le privé. Difficile aujourd’hui, voire impossible, de s’en servir dans des commerces, au restaurant ou pour des démarches administratives. “Le principal endroit d’usage du wallon est la famille, le cercle d’amis. Des usages qui n’ont pas beaucoup de résonances publiques, explique Michel Francard, linguiste et professeur émérite à l’UCLouvain. Les personnes âgées étant les dernières à le posséder comme patrimoine, il n’est pas rare de l’entendre dans les maisons de repos. Mais le wallon a été victime de représentations parfois négatives. C’était une langue d’ouvrier, un langage paysan… L’entreprise de valorisation du français a bien fonctionné et certaines personnes sont gênées de l’employer dans un espace public.”
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Poésie et littérature
À l’écrit, pas d’inquiétude. On peut lire du wallon de différentes façons. Via la presse périodique spécialisée notamment. “La plupart des grandes régions wallonnes ont leur trimestriel ou leur mensuel, qui bénéficient d’aides financières”, détaille-t-on au SLRE. Des publications modestes qui font la part belle aux auteurs qui rédigent en wallon: fiction, poésie, histoire… Des prix littéraires annuels existent également pour mettre en avant ces productions.

Musée de la vie wallonne à Liège. © WTB/De,os Erroyaux
Le wallon peut aussi compter sur la Société de langue et de littérature wallonnes, qui est au wallon, toutes proportions gardées, ce que l’Académie est au français. “Nous sommes tenus de publier Wallonnes, une revue trimestrielle, ainsi que différentes collections de littérature et d’ouvrages plus scientifiques. Nous ne sommes vraiment pas en peine d’auteurs, indique Patrick Delcour, l’actuel président de la SLLW. Parmi nous, beaucoup de philologues, de dialectologues, d’universitaires, mais pas seulement.” Toutes ces publications sont accessibles à la Bibliothèque des dialectes de Wallonie, au sein du Musée de la Vie wallonne à Liège. Des lieux importants pour la pérennité du wallon et des autres langues de la région. “Ces collections sont gigantesques et précieuses, avec beaucoup de littérature, des lexicographies, des dictionnaires… Le fait que cette langue soit très documentée forme une sorte de filet de sécurité, ajoute Julien Noël. Dans 50 ans, si quelqu’un veut étudier le wallon de son village, cela restera possible.”
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Langue de scènes
Outre les écrits, s’il y a bien des endroits où les gens continuent de se réunir pour entendre leur langue régionale, ce sont les salles des fêtes et théâtres locaux, où se jouent régulièrement des pièces en wallon, qui attirent un public familial et intergénérationnel. “Le théâtre est depuis très longtemps une caisse de résonance pour le wallon, parce qu’il met à la fois un public qui ne pratique pas la langue en contact avec elle et permet la transmission, puisque les plus jeunes acteurs des troupes apprennent au minimum quelques répliques”, précise le professeur Michel Francard.
D’après l’Union culturelle wallonne, il y aurait plus de 200 associations, compagnies et troupes amateurs qui jouent des œuvres en langue régionale. “Impossible d’estimer un nombre de spectateurs, mais je peux vous assurer que les salles sont la plupart du temps remplies”, assure Paul Lefin, le président. Importante pour la perpétuation du wallon, l’UCW organise d’ailleurs, depuis 1932, un concours pour tous ces acteurs et metteurs en scène, le Grand Prix Roi Albert Ier, dont la finale 2023 aura lieu fin mai. Outre l’édition d’un magazine autour du bilinguisme et la mise en place de stages d’apprentissage, l’Union est également derrière le Festival de la chanson wallonne. “L’image de chants traditionnels et surannés persiste, mais il existe des artistes comme le trio féminin La Crapaude ou le groupe Loriot, qui rencontrent un beau succès avec des musiques contemporaines”, souligne Julien Noël, du SLRE.
C’est la toute première fois que les générations successives ne se transmettent plus la langue.
La FWB sait de quoi elle parle puisqu’elle organise aussi chaque année depuis 2015 une Fête aux langues de Wallonie: concerts, animations, ateliers, jeux et même conférences sur un même jour pour rassembler tous ceux qui portent un intérêt aux dialectes locaux. L’édition 2023 s’est d’ailleurs tenue ce samedi 13 mai à Malmedy et incluait un séminaire sur le wallon dans les médias.
Par la littérature, la comédie, la musique ou la recherche en langue, il semble certain que le wallon perdurera encore un moment grâce à des passionnés, jeunes et moins jeunes. Mais il se pourrait bien qu’on ne le parle quasi plus. “La situation des langues régionales est vraiment très préoccupante. Leur avenir n’est pas du tout assuré, tient à préciser le professeur Michel Francard. On est presque au point de non-retour. La transmission intergénérationnelle ne fonctionne plus. C’est la toute première fois que les générations successives ne se transmettent plus la langue.”
Wallons-nous?
Et pour le linguiste de l’UCLouvain, si on veut que le dialecte persiste à l’oral également, “il faut prendre des mesures volontaristes”. Il en pointe trois qui permettraient d’effectuer un grand pas dans la bonne direction. D’abord, viser les plus jeunes et créer des formations qui leur soient spécifiquement destinées. “Il faudrait que les enfants découvrent d’autres langues que le français très tôt, à l’école par exemple. Le wallon ne doit pas remplacer l’anglais ou le néerlandais, mais peut être intéressant dans le cadre d’une ouverture aux langues.” Ensuite, encourager à plus de collaborations. “Il y a beaucoup d’initiatives locales, mais elles sont fragmentaires. Le wallon a besoin d’une fédération, d’une convergence des efforts. Il faudrait mettre fin au localisme et faire en sorte que les promoteurs du wallon se réunissent et partagent leurs expériences.”
Une bonne piste: une forme standardisée du wallon qui serait plus facile à transmettre, diffuser et promouvoir que les nombreuses variétés régionales et locales, d’où il tire pourtant sa richesse. Le mouvement du R’fondu wallon y travaille. Mais le concept fait débat et divise. “Au point où nous en sommes, nous ne devrions pas consacrer notre énergie à polémiquer. Il y a urgence et nous ne sommes plus des myriades à promouvoir le wallon”, conclut Michel Francard, qui suggère aussi d’ajouter des néologismes, autre sujet délicat. “Si on veut que le wallon survive dans la société d’aujourd’hui, cela est nécessaire. Empêcher la néologie reviendrait à l’embaumer…”