Pourquoi Airbnb aggrave la crise du logement : "Localement ça peut poser de vrais problèmes"

Les vacances approchent… Avec des prix moins chers qu’à l’hôtel, la plateforme séduit. Mais son impact sur le marché du logement commence à faire grincer des dents.

5.000 logements bruxellois sont retirés du marché locatif au profit d’Airbnb. © Isopix

“Airbnb, on n’en veut plus”, “Stop aux Airbnb”… Ces tags énervés apparaissent sur les murs de nombreuses villes d’Europe et du monde. Paris, Marseille, Madrid, Montréal, ­Berlin… Et bien sûr Bruxelles. Imaginée à l’origine comme un moyen d’offrir aux touristes un hébergement moins cher en permettant à l’habitant de monnayer une chambre vide, la pratique est vite devenue une combine, puis un véritable business de sociétés spécialisées. Pour les habitants historiques des villes touchées, l’impact sur les prix des loyers ne fait aucun doute. “Surtout dans le centre-ville et dans le quartier européen, des bâtiments entiers ont vu des locataires de longue date être mis dehors pour proposer leurs appartements sur Airbnb, affirme d’emblée Ans Persoons, échevine de l’Urbanisme à la Ville de Bruxelles. Ce sont des professionnels qui exploitent ce filon. Ça n’a vraiment plus rien à voir avec la fonction initiale d’Airbnb.” La Ville est donc intervenue il y a quelques années, pour protéger les logements dans ses quartiers et garder des prix abordables.

Une étude menée par Pierre-Paul Verhaeghe, professeur à la VUB, dénombrait en 2019 près de 11.500 logements proposés sur Airbnb sur le territoire de la Région bruxelloise. Environ 45 % par des acteurs professionnels offrant au moins trois maisons ou appartements, soit des investisseurs ou particuliers qui mettent à disposition deux logements sur Airbnb (ou un seul, mais plus de 120 jours sur une année). Autrement dit, seulement un peu plus de la moitié des hébergeurs utiliseraient Airbnb comme il a été pensé à l’origine. “Donc, 5.000 logements de la Région bruxelloise sont proposés aux touristes et aux voyageurs d’affaires par des professionnels et des investisseurs sur Airbnb, soit autant de logements qui ne sont pas loués par des résidents bruxellois, expliquait-il dans La Libre en 2021. Il est très probable que cela ait des conséquences désastreuses pour le marché du logement, déjà serré à Bruxelles.”

Hugo Périlleux est géographe et chercheur à l’ULB. Il publiera très bientôt sa thèse intitulée Extraction de la rente dans le secteur de la location de logement. À la question de l’impact d’Airbnb sur le marché du logement dans les villes, il tempère: “On connaît très mal le marché du logement, donc c’est difficile de pouvoir faire des liens de causalité”. Mais ses chiffres sont éloquents. Il les a obtenus en observant le taux d’occupation de chaque bien. “Je suis parti de l’hypothèse que si un bien était beaucoup utilisé de manière touristique, il ne pouvait plus être mis en location sur le marché résidentiel. Et je suis arrivé à un chiffre de 2.500 à 4.000 biens tellement utilisés qu’on peut dire qu’ils ne sont plus sur le marché résidentiel. Cela fait environ 0,5 à 1 % du nombre de logements à Bruxelles. À l’échelle de la Région, ce n’est pas le problème principal. Mais localement ça peut poser de vrais problèmes.” Notamment dans le Pentagone, le quartier européen, à Ixelles, à Saint-Gilles…

L’arme de la taxation

Pour tenter de contrer la pression immobilière induite par les meublés touristiques, la Ville de Bruxelles a créé une équipe au sein de son département Infraction urbanistique. “Pour qu’un Airbnb soit légal à Bruxelles, il faut que le propriétaire soit domicilié sur place, et qu’il loue une partie de son bien maximum 120 jours par an. C’est très rarement le cas. Avec notre équipe, on se focalise sur les illégaux. En soi, on n’a pas de problème avec la philosophie de base, plutôt avec la professionnalisation d’Airbnb. Parce que cela crée aussi des nuisances pour les vrais locataires. Ça a un effet sur les commerces dans les alentours, les déchets sont sortis n’importe comment. Ici on est avec des boîtes à clés, il n’y a aucun contact humain.”

Logements à Bruxelles

Seuls une moitié des hébergeurs utiliseraient Airbnb comme il a été pensé à l’origine. ©BelgaImage

L’équipe fonctionne notamment via les plaintes des voisins ou via des indices repérés en se baladant dans les rues. “En deux ans, avec la politique de mise en demeure et de P.-V., on a réussi à remettre 436 unités Airbnb sur le marché de location classique.” Autre levier pour la Ville, la mise en place de taxes. “On taxe les biens abandonnés ou inoccupés. Quand on remarque un immeuble de logements où personne n’est domicilié, c’est souvent parce qu’il n’y a que des Airbnb.” La mesure étant régulièrement attaquée en justice, Ans Persoons concède qu’elle reste rare. Saint-Gilles aussi a fait le choix de la taxation. Soumise depuis des années à une intense pression immobilière, elle a en outre été une cible privilégiée pour les Airbnb. “Ça a explosé, avant de se calmer après la pandémie, signale Catherine François, échevine du Logement. Maintenant, Airbnb est plutôt remplacé par le coliving.” Le coliving, ce sont ces colocations de luxe destinées à un public aisé, autre pratique exerçant une tension sur le marché du logement. “Pour contenir l’expansion, on a lancé une taxe par an et par immeuble, pour faire contribuer ce type de logement qui doit être limité dans le temps. L’idéal serait d’avoir un règlement qui l’interdise, mais les communes n’ont pas l’autorité. Mais à Saint-Gilles, le Airbnb n’est vraiment pas le seul problème en matière de logement.

Données sensibles

Si la pratique des multihébergeurs, comme expliquée par Pierre-Paul Verhaeghe, ressemble à une activité hôtelière qui ne dit pas son nom, il ne faut pas minimiser le poids des monohébergeurs, selon Hugo Périlleux. “Même si c’est une partie de leur bien, cela pose aussi question. Il peut y avoir des parties qui pourraient devenir un logement. Ce sont quand même des pièces d’habitats en moins, et ils sont nombreux.

Entre Airbnb et les pouvoirs publics, le rapport est parfois déséquilibré. Notamment parce que l’entreprise américaine se garde bien de communiquer toutes ses données. “La donnée la plus sensible, c’est l’activité. Le bien est-il loué ou pas? Airbnb ne le dit pas. Donc on ne sait pas combien de jours le bien est loué. Les pouvoirs publics doivent du coup opérer un peu sans savoir si un bien est beaucoup utilisé ou pas.” Alors que, selon Hugo Périlleux, ces données sont essentielles. “S’il est peu utilisé, il n’y a pas de raison de penser qu’il y a une opposition avec la fonction résidentielle. Mais s’il l’est beaucoup, on peut se dire qu’il n’y a plus moyen de l’occuper comme un logement. Mais actuellement, il n’y a pas moyen de contrôler cette donnée-là.

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