Avant Le Doudou à Mons, Olivier Tournay alias saint Georges se confie : "On a ça dans le sang"

En introduisant des femmes dans le rituel du Doudou, les Montois ont fait entrer le folklore dans le XXIe siècle. Rencontre avec celui qui incarne saint Georges, sauveur de la cité.

Doudou à Mons
© Visitmons/Gregory Mathelot

Héros de la cité - c’est lui qui libère Mons en terrassant le dragon -, saint Georges est le personnage central du combat dit “Lumeçon”. Ce face-à-face se fait dans un jeu de rôle extrêmement codifié et avec la complicité des Montois qui retrouvent là les ­racines de leur identité. Incarné depuis près de 70 ans par des membres de la famille Tournay, saint Georges a vu la ducasse évoluer en termes de réputation et de scénographie. À 52 ans, cavalier émérite, Olivier Tournay incarne le patron de la ville depuis treize ans.

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Le rôle de saint Georges au combat dit “Lumeçon” est dans votre famille depuis 1954. Il a été tenu par votre grand-père Aramis, par votre oncle Jimmy, par votre cousin Frédéric, et maintenant par vous…
Olivier Tournay -
On a ça dans le sang. Jeune, mon grand-père est parti à Bruxelles pour devenir jockey, un métier exigeant pour lequel il faut être mince et en forme. Bon vivant, il a arrêté dès qu’il a commencé à prendre du poids. Il a ensuite travaillé avec mon arrière-grand-père à l’abattoir de Mons, où il a rencontré l’ancien saint Georges qui lui a ­proposé le rôle. À l’époque, personne n’en voulait tant la ducasse avait mauvaise réputation. Les gens - et donc les acteurs - se battaient dans les cafés… Mon grand-père a accepté le rôle à condition que l’on fasse le ménage dans le Lumeçon. Georges ­Raepers et Claude Fretin l’ont rejoint en tant que réalisateurs. Dans les années 80, quand je voyais une bagarre en rue, je devais prévenir mon grand-père ou Raepers qui notaient les noms des acteurs belliqueux et les mettaient face à leurs responsabilités, voire les congédiaient du spectacle.

Vous avez voulu devenir jockey comme votre grand-père?
Oui, mais mes parents ont refusé: il me fallait un diplôme avant. Quand je l’ai décroché à 18 ans, il était trop tard pour devenir jockey. Je n’ai jamais fait de course, mais j’ai toujours monté les pur-sang de mon grand-père. Mon fils Victor a suivi le même chemin. Il va devoir prouver ses capacités pour peut-être un jour devenir saint Georges. Personne n’est promis à ce rôle et le fait d’être un Tournay ne lui donnera pas de priorité. C’est une charge assez physique. Il faut toujours être bien dans sa tête, vigilant et complice avec son cheval.

Dans Faire vivre le folklore, l’anthropologue Aurélien Baroiller explique que le mouvement de foule produit par le combat ne fait aucun blessé car il serait l’illustration d’une discipline et d’une empathie collectives propres à Mons…
Ça me parle beaucoup. Les premiers acteurs du combat sont les spectateurs, terriblement disciplinés car ils veulent que la fête se déroule bien. Le jour où ils s’en foutront et qu’ils plongeront sur le dragon pour lui prendre ses dents ou son crin, tout cela n’aura plus de sens. Le combat est un jeu entre les acteurs et le public. Les hommes de feuilles et les Chins-Chins (autres personnages du combat - NDLR) ne sont rien s’ils ne peuvent pas s’amuser avec les gens.

Les gens qui, d’année en année, n’hésitent pas à inventer de nouveaux gags, traditions et jeux officieux…
Les gags ne se font pas dans le Lumeçon: ils se font le matin et pendant les sorties du dimanche ou du lundi, quand les diables dansent La salsa du démon ou font de la musique avec des barils. Mais la scénographie du rond ne changera pas: tout le monde sait ce qu’il doit faire et le respecte à la lettre.

En 2000, Georges Raepers a intégré des personnages féminins au scénario jusque-là réservé aux hommes. Cybèle incarne la cité originelle en noir et jaune et Poliade est une allégorie de la cité contemporaine aux couleurs de Mons. Quelles ont été les réactions?
Il y a toujours eu des tensions, surtout avec les “vieux de la vieille” qui se demandaient ce que des femmes venaient faire dans un “truc d’hommes”. Je ne suis pas de cet avis, je pense qu’il fallait faire évoluer le Lumeçon. Elles n’ont pas pris la place d’autres acteurs, mais leur propre place. Tout était masculin à la ducasse de Mons. Mais Cybèle et Poliade, qui sont importantes, ont fait évoluer les choses. Et il y aura encore des évolutions dans le Lumeçon…

Imaginez-vous saint Georges en femme?
L’avenir nous le dira, je suis ouvert à tout. Mais les Montois laisseront-ils faire cela? Je pense que ça sera compliqué, d’autant que c’est assez physique de combattre un dragon de 180 kilos pendant 45 minutes.

Pour régler l’épineuse question des personnages controversés du Sauvage et du Magnon, la ville d’Ath avait mis sur pied une commission citoyenne du folklore. Est-il envisageable d’en voir une à Mons un jour?
Je ne crois pas. Un diable reste un diable. Idem pour un Chin-Chin, un homme blanc, un homme de feuilles et saint Georges. La ducasse d’Ath aurait pu rester telle quelle: le Sauvage était là depuis des années et des années, pourquoi devait-on changer? Ce n’est pas du racisme, c’est du folklore, comme Tintin au Congo qui raconte une époque, comme le père Fouettard avec saint Nicolas. Ces histoires, c’est beaucoup de bavardage pour rien: ce sont nos racines.

COMBAT DIT “LUMEÇON”, le 4/6, 12h30. Grand-Place, Mons.

Retrouvez notre dossier spécial Mons : les combats de la cité

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