
Que se cache-t-il derrière la désertion des élus communaux ?

En mai, un maire en France a été victime d’un incendie criminel parce qu’il accueillait des migrants. Il a arrêté net la politique. Le premier cri d’alarme a été tiré par les maires en France. Mais en Belgique, les bourgmestres ont le cœur gros aussi. Le bourgmestre de Mouscron Alfred Gadenne a été assassiné. Un cocktail Molotov a été lancé au domicile du bourgmestre de Liège Willy Demeyer. L’identité du bourgmestre de Tournai Paul-Olivier Delannois a été usurpée pour louer des appartements... Aujourd’hui, 86 % des bourgmestres estiment qu’ils étaient plus épanouis avant le Covid. “On subit une plus grande violence depuis la pandémie, constate Jean-Michel Javaux, bourgmestre d’Amay qui ne se représentera pas. Un gars est venu taper un pot de fleurs dans une vitre de notre maison au milieu de la nuit parce qu’il voulait un logement. C’était le jour de la Saint-Nicolas. Ça ne s’oublie pas.”
La lecture de votre article continue ci-dessous
Engagez-vous, qu’ils disaient...
“Avant, on recevait une lettre pour réclamer. Puis c’est passé au mail. Maintenant, tu es tagué dans un post Facebook. Mon échevine s’est fait traiter de grosse pute parce qu’elle s’occupait des gens du voyage”, rapporte encore le bourgmestre écolo qui lance un cri d’alarme. “Nous demandons que les élus locaux soient protégés parce que c’est l’échelon qui réconciliera les citoyens avec la politique. Les gens généralisent autour du “tous pourris”. Il est temps de dire que les élus ne sont pas tous les mêmes. Une grande partie d’entre eux se font élire pour améliorer les choses et pas pour faire carrière. C’est mon troisième mandat. C’est fini. Je ne deviendrai pas esclave de la fonction.” 40 % des élus aujourd’hui sont comme Jean-Michel Javaux: ils ne se représenteront sans doute plus. C’est énorme et inquiétant. “De moins en moins de gens veulent s’engager et recevoir des coups.”
À lire aussi : Les politiques toujours plus présents sur les réseaux sociaux : voici les partis les plus dépensiers
L’Union des Villes et Communes de Wallonie a mené son enquête auprès de plus de 483 mandataires locaux (bourgmestres, échevins, présidents de CPAS). Un nombre croissant de municipalistes tombent dans l’épuisement physique et moral au point, dans certains cas, de remettre en question l’engagement politique au service de la démocratie locale. Ils ne sont plus que 65 % à encore s’épanouir dans cette fonction. En cause: une charge psychosociale trop élevée. La moitié des mandataires ont déjà songé à arrêter leur mandat avant le terme.

Willy Demeyer, bourgmestre de Liège visé par un cocktail Molotov. © BelgaImage
À toute heure du jour ou de la nuit
Cinq mandataires locaux sur dix signalent une dégradation de la relation entre citoyens et élus depuis quatre ans. Ils l’attribuent d’abord à la pression des réseaux sociaux. Il y a aussi les citoyens qui placent leur intérêt personnel avant tout et qui sont de plus en plus exigeants à l’égard de l’action politique. Dans certains cas, cela débouche sur des conflits plus ou moins violents, explique l’UVCW avec à la clé, des injures, des menaces verbales et physiques, des fake news, du cyberharcèlement, surtout à l’encontre des bourgmestres. Les mandataires locaux épinglent aussi des difficultés dans leurs rapports avec les autorités supérieures. De ces autorités, ils attendent une meilleure information, un soutien financier, du respect et de la considération. Ils espèrent aussi recevoir plus d’autonomie.
C’est le cas de la bourgmestre de Thuin, Marie-Ève Van Laethem qui se dit pourtant être une bourgmestre heureuse. “Les bourgmestres ont de moins en moins la main sur les décisions, et les citoyens nous en veulent pour ça parce qu’ils ne le comprennent pas. Par exemple, le règlement de la Région wallonne m’oblige à densifier le territoire, mais ce n’est pas ce que veulent les citoyens comme qualité de vie. Ils me reprochent donc les projets immobiliers que je suis obligée d’accepter. Il y a une marche de 50 centimètres à la gare qui empêche des personnes de pouvoir prendre le train. Je demande depuis dix ans à Infrabel d’arranger ça mais ce n’est pas leur priorité, soupire la bourgmestre. Certains disent même que je m’en mets plein les poches. Par le passé le bourgmestre était respecté. Aujourd’hui il est suspect. Il faut tout justifier et c’est épuisant. Et puis, il faut être disponible 24 heures sur 24. Mon numéro est public. On m’appelle à toute heure du jour et de la nuit. Comme on est le seul politique avec qui ils peuvent discuter en direct, des gens m’engueulent pour des prises de position de Magnette ou de Bouchez.” Elle s’accroche à son rêve de construire une commune meilleure en organisant toutes les deux semaines des rencontres avec les citoyens et en fuyant les réseaux sociaux. Mais elle doit bien le constater, la relève sera difficile à trouver. Il y a de moins en moins de personnes qui veulent se lancer en po}litique.
Olivier Maingain, bourgmestre de Woluwe-Saint-Lambert depuis 2006, confirme que recruter des élus communaux devient plus difficile au vu de la faible rémunération pour l’investissement à prévoir. Et pour lui aussi ces dernières années ont été rudes. “Les services communaux ont ployé sous le poids des urgences successives. Nous sommes le service de première ligne des citoyens qui s’adressent spontanément à nous. Et nous avons été totalement livrés à nous-mêmes sans soutien du niveau fédéral. On l’a subi avec l’hébergement des Ukrainiens, notamment. Je m’étais dit qu’en n’étant plus que bourgmestre, j’allais gagner du temps. Il n’en a rien été. On gère des cas individuels au jour le jour...”
Faire bouger sa ville ou son village, là où la politique est au plus près des gens, la plus concrète et directe et la plus importante pour la bonne forme de la démocratie... C’est de moins en moins une partie de plaisir. L’enquête de Vincent Aerts sur la démission de l’ensemble des élus communaux dans le cadre de son master en sciences politiques à l’ULiège en dresse l’amer constat. Un élu sur sept n’est plus en fonction après ses trois premières années de mandat, portant le nombre de défections à 1.000 sur 7.000 mandats. Dont 700 démissions pures et simples. 300 élus se sont, eux, désistés d’entrée de jeu. Plusieurs raisons l’expliquent. Tout d’abord, le manque de temps. Un conseiller touche à peine 200 euros par mois et doit donc exercer un autre job à temps plein, ce qui peut se révéler une trop lourde charge. Un changement familial, l’arrivée d’un enfant ou la maladie d’un parent, peut mener l’élu à jeter le gant. Dans les petites entités, les bourgmestres et échevins, certes mieux rémunérés, sont tout de même parfois obligés de cumuler leur mandat avec un mi-temps.
Conflit perpétuel
Vincent Aerts a aussi constaté qu’une énorme violence dans les rapports entre élus régnait trop souvent à un échelon où tout le monde se connaît et se croise. “Il y a beaucoup d’attaques verbales et d’intimidations. Il y a des cas où le bourgmestre utilise son pouvoir sur la police pour mener des visites domiciliaires chez des adversaires. Beaucoup d’élus en ont marre de cette ambiance perpétuellement conflictuelle. Sur les réseaux sociaux aussi, des élus colportent des rumeurs sur d’autres qu’ils détestent.” La commune de La Hulpe vient d’ailleurs d’adopter une charte de bonne conduite sur les réseaux sociaux, preuve que ces tensions sont problématiques. Les élus locaux ont le sentiment que leur découragement s’amplifie. “Ce qui est également frappant quand on les interroge, c’est qu’ils se sentent souvent face à un mur. Ils ont le sentiment d’arriver dans un système où rien ne changera parce que les anciens décident de tout et font bloc. Souvent, le conseil communal est le moment où s’enregistrent des décisions prises par avance, rendant les débats inexistants.” Fait notable, les femmes démissionnent plus souvent que les hommes. “L’accès à la politique est inégalitaire. Il n’y a pas par exemple d’aménagement par rapport aux réunions du soir, on est face à une mentalité qui juge les jeunes mères. Le fait qu’autant d’élus démissionnent est inquiétant, particulièrement si c’est causé par des désillusions sur l’exercice de la politique à l’échelon local ou par des dynamiques interpersonnelles délétères.”