
Ce 15 août, Anvers célèbre... la fête des mères! D'où vient cette particularité?

Ce 15 août, tous les Belges bénéficient d'un jour de congé en l'honneur de l'Assomption, c'est-à-dire de la montée au Ciel de la Vierge Marie. Mais à Anvers, la fête prend une toute autre dimension. Car aujourd'hui, la cité du diamant célèbre également la "Moederdag", c'est-à-dire... la fête des mères. Une particularité qui peut surprendre, puisque le reste du pays préfère la date du deuxième dimanche de mai pour célébrer cet événement. Les Anversois seraient-ils chauvins au point de ne pas vouloir se calquer sur le reste de la Belgique? En réalité, pas vraiment. Car s'ils tiennent à leur 15 août, c'est parce qu'ils ont commencé à fêter la "Moederdag" bien avant les autres villes belges, dès le tout début du XXe siècle.
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Frans Van Kuyck, l'homme par qui tout a commencé
Les toutes premières initiatives pour rendre hommage aux mères remontent au tournant des XIXe et XXe siècles, aux États-Unis. C'était le cas avec le mouvement lancé par la juge Julia Ward Howe de Philadelphie en 1870, puis par Anna Marie Jarvis en Virginie occidentale en 1907-1908. Mais à l'époque, l'idée ne traverse guère les frontières du monde anglo-saxon.
Cela changera le 11 janvier 1913, à l'occasion d'un banquet organisé à l'Hôtel de Londres à Anvers. Parmi les invités, on trouve l'échevin des Beaux-Arts de la ville, le peintre de tendance libérale Frans Van Kuyck. Profitant du fait que de nombreuses personnalités étaient présentes, il expose une idée qui semble alors un peu exotique: établir une journée le 15 août dédiée à la mère. Ses contours sont flous, si ce n'est le fait qu'il devait s'agir d'une grande fête publique, avec la présence de la reine Élisabeth pour soutenir les orphelins.
Dans les jours suivants, la presse locale adhère tout de suite, puis l'enthousiasme s'essouffle. En mai 1913, quelques journaux relancent l'idée, ceux-ci rêvant de faire comme les Américains qui viennent d'adopter le port d'un œillet blanc en l'honneur des mères. L'un d'eux, le quotidien francophone Le Matin, interroge alors Van Kuyck à ce propos et il s'avère que depuis janvier, celui-ci n'a pas abandonné son plan, même s'il hésite manifestement sur la forme exacte que doivent prendre les festivités.
Liberale schepen Frans Van Kuyck lanceerde in 1913 Dag der Moeders #moederdag #Antwerpen pic.twitter.com/km8NBsVC3y
— Liberas (@liberasvzw) August 12, 2016
Opération: rappeler aux femmes leur "rôle de mère"
Le 15 juillet 1913, l'échevin expose son projet définitif lors d'une conférence de presse à l'Harmonie Royale. Vu avec du recul, il apparaît que son but s'inscrit dans l'idéologie patriarcale de l'époque, avec un rôle très précis donné aux femmes: celui d'être une bonne mère. Comme le déclare Frans Van Kuyck, il s'agit de "délimiter clairement la place éminente que la mère doit occuper dans la société, quelle que soit la position qu'elle y occupe". "Faisons comprendre aux enfants quel tribut de reconnaissance et d'amour ils lui doivent, soulignons et honorons le rôle qu'elle a à jouer envers la famille et envers la patrie", disait-il.
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Fidèle à son idée de base, il garde la date du 15 août. Bien sûr, celle-ci correspond à l'Assomption, mais ce choix est également lié à des considérations purement pratiques. "Le 15 août, il y avait une foire importante à Anvers, une période où beaucoup de monde retournait de toute façon au domicile parental. Puis le 15 août tombait aussi un jour férié, donc les enfants auraient assez de temps pour préparer la fête", note un mémoire publié par l'université de Gand, qui ajoute qu'il n'est "pas clair si Van Kuyck s'est inspiré ou non des États-Unis".
En tout cas, à partir de là, l'échevin fait tout son possible pour que la fête soit un succès et une brochure est imprimée. Quelques-uns critiquent le choix de la date, soit parce ce que cela risquerait d'éclipser les fêtes de l'Assomption, soit parce que "l'amour qu'on ressent pour sa mère est trop noble et trop grand pour qu'il se concrétise, un jour déterminé, par des petits pains", déclare un article de l'Écho Commercial. Par contre, les commerçants adhèrent tout de suite. Les bijoutiers créent des accessoires spéciaux, les boulangers des gâteaux en forme de cœur et les imprimeries des cartes avec ce même motif. En deux mois, ce qui s'appelait à l'époque en français le "Jour des Mères" suscite l'enthousiasme au sein de la population qui attend la date avec impatience.
Un succès immédiat, malgré l'arrivée de la guerre
Le jour-J, c'est la folie. "Ce fut, dès le matin, une interminable ‘procession’ de bambins et de bambines, accompagnés le plus souvent de leurs papas", explique la presse ce jour-là. "Mais où ce fut épique, ce fut au marché aux fleurs de la place Verte. Jamais, croyons-nous, on ne vit pareil acharnement autour des échoppes tôt ‘dévalisées’, rapidement regarnies et presque aussitôt débarrassées à nouveau de tout ce qu’elle portaient", notamment du côté des fleuristes. "La fête de la mère, inventée par M. Van Kuyck, semble avoir rencontré, dès sa première apparition, la faveur du peuple. Nous nous refusons à croire que d'innombrables bouquets étaient destinés aux seules heureuses portant le nom de Marie", écrit le journal Le Métropole.
Prettige #moederdag aan al die fantastische #mama's! Foto: Moederdagkaart uit 1913 © stadsarchief Antwerpen. pic.twitter.com/XKZW1PEO8v
— Stad Antwerpen (@Stad_Antwerpen) August 15, 2015
L'année suivante, la presse prédit à nouveau un succès pour le 15 août, mais le déclenchement de la guerre pile à ce moment-là relègue les festivités aux oubliettes. En 1919, les journaux anversois tentent malgré tout de faire revivre l'événement. La fête se révèle moins fédératrice, avec des interprétations différentes selon les partis politiques. Le journal catholique Gazet van Antwerpen craint par exemple encore une fois que le "Jour des Mères" ne supplante le jour de l'Assomption. D'autres se demandent pourquoi il faudrait célébrer les mères et pas les pères. Mais l'engouement populaire est tel que les critiques se font de plus en plus modérées. Le "Moederdag" anversois est définitivement entré dans les mœurs au début des années 1920.
Quand la fête des mères "nationale" a failli éclipser la "Moederdag" anversoise
À l'époque, le bruit s'était déjà répandu dans le pays que la cité du diamant avait créé une fête des mères, mais les célébrations ne dépassent pas vraiment les limites de la ville. En 1927, Huy demande aux autorités anversoises "de bien vouloir nous faire connaître en quoi consiste exactement cette manifestation", mais il s'agit là d'une exception.
Si la fête des mères sera généralisée dans tout le pays, ce sera plus sous l'influence des États-Unis, en commençant par le Hainaut. Paul Pastur, l'homme fort de la province, y pense dès 1923 et en 1926, la commune d'Hestre organise un "Jour des Mères". En 1927, le reste du Hainaut commencera à suivre sous l'impulsion de Paul Pastur. Mais c'est à Bruxelles que le mouvement prend une autre dimension la même année, avec la création d'un comité spécial au sein duquel on trouve l'échevin Émile Jacqmain. Ce dernier fera peser tout son poids pour qu'un "Jour des Mères" soit créé non pas le 15 août mais le deuxième dimanche de mai.
Immédiatement, la fête est un succès dans la capitale, notamment grâce à la participation de nombreuses écoles (certaines célébrant les mères pendant une semaine entière). À partir de Bruxelles, les comités se multiplient et la date est largement adoptée. Dès 1928, l'Union des Fleuristes de Belgique fera tout pour contribuer à la propagation de ces festivités, dans un but clairement mercantile. Une circulaire de 1931 confirme le choix du deuxième dimanche de mai et le secteur de l'éducation continue d'être mis à contribution pour que l'opération réussisse.
À la fin des années 1930, des comités pour la fête des mères sont présents dans tout le pays... même à Anvers. Il existe alors deux fêtes des mères dans cette ville. Mais "les journaux s'étaient opposés dès le départ au choix du deuxième dimanche de mai", note le mémoire de l'Université de Gand. "Il semble que grâce à l'action du comité de la fête des mères à Anvers, le deuxième dimanche de mai ait gagné du terrain, mais que le 15 août est resté de loin le plus populaire".