Bart De Wever "On a fini par faire enrager les gens"

Bart De Wever  On a fini par faire enrager les gens
Bart de Wever – Woke

À Anvers, Bart De Wever nous ouvre les portes de son somptueux hôtel de ville. Sur son bureau, trône la bible qu’il a rédigée sur l’histoire de la ville. Le patron des nationalistes flamands se concentre avant de dérouler son plaidoyer contre le wokisme, Woke, petit essai qui se lit d’une traite. Il est toujours dans le top 10 des ventes en Flandre. Il est sorti en français.

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Vous dites que si, côté flamand, le débat sur le wokisme a été voilé, en Wallonie, on a carrément mis une burka dessus…
BART DE WEVER - Dans Le Figaro, il y une mine d’informations sur le sujet et un vif débat. Des philosophes français s’expriment comme Pascal Bruckner ou Jean-François Braunstein qui m’ont inspiré. En Wallonie, on ne fait que s’interroger sur le fait que ce terme existe ou pas, et on conclut que c’est inventé par des horribles personnes conservatrices comme moi. Or, c’est complexe. Le wokisme prétend vouloir réveiller les gens face aux doléances des groupes de victimes. C’est le prolongement des mouvements d’émancipation d’il y a 200 ans. C’est parfait. Mais pour moi, le wokisme est une école qui vise à diviser la société entre coupables et victimes, créant une nouvelle sorte d’apartheid. Trump n’aurait jamais existé sans le woke, qui a tellement enragé les gens qu’ils sont prêts à voter pour un tel personnage. C’est ça qui me dérange.

Vous dénoncez la relecture woke systématique de l’Histoire. Ça vous énerve…
En 1968, Michel Foucault a dit que Dieu et la nation n’existaient pas, que c’étaient des mensonges inventés par des groupes qui ont le pouvoir et qui ne servent qu’à l’exclusion des groupes minoritaires. C’est devenu la façon de penser dominante de la gauche, mais aussi de médias de qualité, menant à une forme de pensée unique. Cela a créé un vide. Il n’y a plus de ciment pour la société. Et ce vide a été comblé par le wokisme qui estime que le modernisme et les Lumières étaient en erreur et que la civilisation occidentale est responsable de tout ce qui est mauvais en ce monde. Pour eux, probablement que la fin de la civilisation occidentale est le début de la solution de chaque problème. Le wokisme, c’est une guerre d’autodestruction avec un coupable: l’homme aux sept “cases”: mâle, blanc, cultivé, avec des parents cultivés, vivant dans un beau quartier, parlant la langue nationale et hétérosexuel. Quand on a tout ça, on croit avoir du succès parce qu’on a bien travaillé, mais ce serait en fait un privilège.

Vous niez ces privilèges?
Pas du tout. Je suis pour le progrès et l’émancipation. Mais pour moi, égaliser est un verbe d’action. Et la condition pour avoir de l’égalité dans la société, c’est la liberté. Même si ça prend parfois des générations comme pour les femmes, les ouvriers, les homosexuels. Le woke a renversé les choses en s’érigeant en réparation de toutes les injustices, un mouvement de vengeance contre une société du racisme structurel et systémique. Les groupes minoritaires l’ont absorbé et beaucoup de mouvements d’émancipation sont devenus très amers. Quand le Maroc a gagné au foot contre la Belgique, certains, pourtant nés ici, ont fêté cette victoire comme une victoire sur le pouvoir colonial. Aux États-Unis, chaque Afro-Américain a un ancêtre esclave. Ce n’est pas la même situation que celle des immigrés qui sont venus travailler chez nous dans les années soixante. C’est ça, le woke. Cela ne va pas mener à une émancipation. Cela va susciter une colère énorme comme le Brexit ou nourrir l’extrême droite. Cela va aggraver la rupture entre le peuple et l’élite intellectuelle. Chaque individu devient la mesure de soi-même. Il n’existe plus d’identité, qui serait quelque chose de criminel, d’inventé, de raciste, de colonialiste, de sexiste. Tout le temps, on insulte les gens comme ça.

Ce que vous reprochez, ce sont aussi les excès… Vous parlez de Churchill. Sa statue a été retirée par Obama et Biden parce qu’il était raciste…
C’est la culture de l’effacement, une attaque contre ce que nous étions. Historien, je suis très sensible à ça. C’est pour saper tous les fondements de notre identité pour finalement attaquer ce que nous sommes aujourd’hui. C’est normal qu’on soit plus critique aujourd’hui que par le passé, qu’on pose d’autres questions. Les statues de Léopold II, par exemple.

Il faut les enlever?
Non, il faut expliquer ce qui s’est passé, pourquoi on a statufié ce roi et dire qu’aujourd’hui on ne le referait jamais plus. Léopold II était conscient de ses crimes. Il a brûlé toutes ses archives. En revanche, l’esclavage, ce ne sont pas que les Blancs contre les non-Blancs. On a eu un esclavage africain, un trafic a été opéré par les Arabes et que jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, la plupart des esclaves étaient blancs. Mais c’est comme si nous étions les seuls à devoir regarder dans le miroir, les seuls à avoir des pages sombres. L’Histoire qu’on nous raconte, c’est que le monde était parfait jusqu’à ce qu’un bateau avec un Blanc arrive et alors l’enfer a commencé. C’est une vision infantile qui nous rend très vulnérables. L’Homme occidental devrait expier et ne rien dire.

"On nous raconte que le monde était parfait jusqu’à ce qu’un bateau avec un Blanc arrive. Et alors l’enfer a commencé…"

Mais n’est pas justice d’admettre qu’on a été dominants et d’accepter d’être peut-être dominés?
Ça, c’est de la folie. Si on parle de l’esclavage, ce n’est pas exclusivement occidental. Par contre, l’abolition de l’esclavage est exclusivement occidentale, c’est un cadeau des Lumières. Chaque civilisation a fait des erreurs. L’Europe n’aurait pas dû être impérialiste, mais dire qu’on doit baisser la tête de honte pendant 3.000 ans, c’est un non-sens.

Vous ne pouvez pas nier l’intersectionnalité: le fait de cumuler les éléments discriminants…
Je ne le nie pas, l’homme aux sept cases existe et est privilégié. Comme bourgmestre, j’essaie d’offrir plus de chances à ceux qui ne les ont pas pour organiser l’égalité. J’ai une campagne de recrutement au sein de la police chez les jeunes Anversois dont une majorité de non-Européens. Mais c’est autre chose que de dire: ah vous êtes noire et lesbienne, vous êtes la victime ultime d’une société raciste. Et vous n’avez aucune responsabilité dans la société.

Selon vous, les femmes sont biologiquement programmées pour avoir moins d’ambitions...
Non. Ce n’est pas dans le livre. Je dis que les wokistes estiment que la biologie ne joue aucun rôle dans le genre. Ce n’est que la conscience qui compte. C’est bizarre, car pour tous les mammifères, on accepte le poids de la biologie. Mais pour l’homo sapiens, non, c’est seulement la culture. La prochaine étape sera que le genre n’existe même pas, c’est un spectre, et c’est donc un choix entre des dizaines de possibilités. Pour moi, la biologie est pertinente et il y a une différence entre hommes et femmes. Et cela explique beaucoup de choix de la plupart des hommes et la plupart des femmes dans notre société. Je ne dis pas qu’une femme ne peut pas avoir une ambition masculine et devenir leader. Le genre ne dicte pas tout. Mais dire que le genre ne dicte rien, c’est faux.

Est-ce que Zuhal Demir pourrait vous succéder?
(Silence.) Ça c’est une question inattendue et dangereuse. Si je dis que c’est possible, on dira que ce sera le cas. Je ne sais même pas si c’est son ambition. Mais si vous me demandez si elle en est capable, elle l’est. C’est important comme parti conservateur, qui parle beaucoup d’identité, d’avoir dans ses rangs des représentants au premier rang qui sont la preuve que c’est possible pour tout le monde. Moi, je suis un homme à six cases parce que mes parents n’étaient pas cultivés. Mais Zuhal est d’origine kurde. Son père était un mineur. Elle ne coche aucune case.

L’émancipation oui. Le wokisme non?
Je suis flamand. Je suis enfant d’un mouvement d’émancipation culturelle. Tout ce que je suis, c’est grâce à la société. Mais avec le wokisme, on arrivera au contraire de l’émancipation. On arrivera à la polarisation.

Woke, Bart De Wever, Kennes, 140 p.

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