
Embargo sur le pétrole russe: quel impact sur les prix à la pompe?

800 millions d’euros… par jour. C’est ce que représentent les achats des Européens en pétrole et gaz russes. Sur base d’estimation de prix (les contrats n’étant pas publics), l’ONG environnementaliste Europe Beyond Coal calcule que les pays de l’UE ont renfloué les caisses à hauteur de plus de 50 milliards d’euros pour l’ensemble des combustibles fossiles russes depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, le 24 février. Dont 20 milliards pour le pétrole, et 30 milliards pour le gaz.
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Une manne de plus en plus difficile à justifier pour les dirigeants européens, qui malgré leur opposition à la guerre lancée par le Kremlin, continuent donc de faire grossir le «trésor de guerre» de Vladimir Poutine. Pour la Commission européenne, cette ambivalence n’est plus tenable. Mercredi, sa présidente, Ursula von der Leyen, a présenté un nouveau paquet de sanction européennes contre la Russie. «Nous proposons désormais une interdiction du pétrole russe. Il s’agira d’une interdiction complète des importations de tout le pétrole russe, transporté par voie maritime ou par oléoduc, brut et raffiné», a-t-elle déclaré.
Cet embargo ne sera évidemment pas effectif immédiatement. Si elle est acceptée par les Etats membres- les 27 devront être unanimes sur la question pour que la proposition passe- la déconnection devrait se faire «progressivement» : dans les six mois pour le pétrole brut, et d’ici à la fin 2022 pour les produits raffinés.
Perfusion russe
«Nous exercerons ainsi une pression maximale sur la Russie, tout en réduisant au minimum les dommages collatéraux pour nous et nos partenaires dans le monde. Parce que, pour pouvoir aider l’Ukraine, il faut que notre propre économie reste forte», a plaidé von der Leyen. L’Europe se prépare donc à se passer de l’or noir venu de Russie. Un saut dans l’inconnu, pour un Vieux continent en partie sous perfusion russe.
L’UE importe en effet près de 30% de son pétrole brut et 15% de ses produits pétroliers raffinés de Russie. En Belgique, la part du pétrole russe dans nos importations est de 29%. Un tel embargo pourrait fortement peser sur l’économie belge : peut-on se passer aisément d’un tiers de nos importations en moins d’un an ?
Pour Jean-Benoît Schrans, porte-parole d’Energia, la fédération représentant le secteur pétrolier en Belgique, «il y a des alternatives [au pétrole russe]». «On peut trouver d’autres sources d’approvisionnement en Europe, en Grande-Bretagne, en Norvège, en Amérique, en Arabie saoudite, dans des pays d’Afrique. (…)Le secteur a quand même une grande flexibilité logistique pour pouvoir affréter des bateaux d’autres régions du monde pour pallier ou compenser la perte du pétrole russe» expliquait-il à la RTBF.
Pénurie en vue?
Mais même en se tournant vers d’autres marchés, couper les vannes russes risque bien de lancer un nouveau tour de manège pour des prix de carburant qui tutoient déjà les sommets depuis de longues semaines. Ce n’est ni plus ni moins que la «loi de l’offre et de la demande», comme le soulignait un représentant syndical français du secteur à FranceInfo.
«On va priver le marché mondial d'une part importante de sa production, cela va créer une pénurie et les prix vont monter», renchérissait auprès de l’Echo Adel El Gammal. Le professeur de géopolitique de l'Énergie à l'ULB redoutait une «montée progressive des prix, le temps que le marché s’adapte. Cela pourrait durer 3 à 4 mois».
De quoi voir les prix à la pompe freiner encore un petit temps avec les 2 euros le litre. Et aller jusqu’à 3 euros ? Sans doute pas, pour Adel El Gammal, pour qui la conjecture économique pourrait aussi «pousser à la baisse» les prix des carburant, la Chine, sous la pression du Covid-19, ayant une nouvelle fois mis une partie de ses lignes de production à l’arrêt.
Le gaz toujours épargné
Outre cet embargo sur le pétrole, le sixième paquet de sanctions proposé par la Commission européenne comporte d’autres mesures, comme l’intégration de nouvelles personnalités à la «liste noire» frappant les dignitaires du régime russe, ou l’interdiction d’accès aux ondes européennes pour trois gros radiodiffuseurs russes.
Des mesures, qui visent à priver l’économie russe «de sa capacité de diversification et de modernisation. Poutine voulait rayer l’Ukraine de la carte. Il est évident qu’il n’y parviendra pas. Au lieu de cela : l’Ukraine s’est levée comme un seul homme. Et c’est son propre pays, la Russie, qu’il est en train de faire sombrer», a jugé Ursula von der Leyen mercredi.
Reste qu’à ce stade, les Européens renâclent toujours à dégainer l’arme ultime : se passer du gaz du Kremlin. Poids lourd de l’UE, l’Allemagne est très dépendante de ce fournisseur. Et le gaz demeure un matière première irremplaçable dans de nombreuses industries. Pas sûr donc que la Russie soit sur la voie de «sombrer».