Comment les restaurants peuvent-ils lutter contre le fléau du «no show»?

À cause des réservations non respectées, les restaurants se désolent des pertes occasionnées mais le débat est vif pour savoir comment réagir.

Table de restaurant non utilisée
Une table non utilisée dans un restaurant @BelgaImage

Avez-vous déjà fait un «no show»? Si vous ne vous n'êtes pas présenté dans un restaurant ou chez le coiffeur alors que vous y aviez une réservation, et ce sans prévenir, la réponse est oui. Une «défection» qui représente la bête noire dans le secteur, avec des pertes parfois colossales. En juin dernier, une tribune a été publiée en France dans les médias Konbini et Le Fooding pour dénoncer ce phénomène. 100 chefs et restaurateurs l'ont signée, dont certains prestigieux et célèbres comme Glenn Viel, le nouveau venu du jury de Top Chef. Ce fléau est même mondial, touchant des pays aussi éloignés que l'Australie. Évidemment, la Belgique n'est pas épargnée et l'horeca tente de trouver la bonne formule pour se défendre. Mais bien souvent, prendre des mesures engendre d'autres problèmes.

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Des pertes parfois colossales

À l'heure actuelle, il n'existe qu'une seule possibilité pour prendre conscience de l'ampleur du manque à gagner: citer des exemples. Car le SPF Économie se dit dans l'incapacité d'établir des statistiques officielles, vu qu'il n'y a pas de définition claire et donc pas de signalements formalisés. La RTBF cite ainsi le cas de Charles Jeandrain, un chef étoilé. Toutes les semaines, il compte chez lui 1-2 «no show», ce qui fait 20% de son chiffre d'affaires perdu. Un pourcentage qui varie selon les adresses. À Paris, Tom Meyer, chef du restaurant gastronomique Granite, donne à RTL le chiffre de 10%, ce qui représente 30 couverts absents sur un total de 300. «Ces tables que l'on va perdre sur un midi ou sur un soir, ça nous fait peut-être un salarié de moins en fin d'année», déplore-t-il. Jordan Boreux, patron du restaurant L'épisode à Herbeumont, converti sa propre perte en euros. Résultat: 37.000 € par an, comme il l'explique à Sudpresse.

Le phénomène n'est pas nouveau. La presse belge en parle depuis plusieurs années, et en l'absence de données, difficile de dire exactement s'il y a une aggravation récente et si celle-ci est importante. La Fédération Horeca Hainaut explique à la DH ne pas être en mesure de le dire, même si elle a l'impression que cela arrive «par vagues». La Fédération Horeca Wallonie affirme quand même pour sa part à La Libre qu'il y aurait un «phénomène nouveau»: la multi-réservation. Autrement dit, certaines personnes réservent à plusieurs endroits et décident au dernier moment où elles vont, sans forcément prévenir des désistements par ailleurs.

Blacklister ou vérifier au cas par cas?

De plus en plus, la nécessité de réagir se fait sentir, et chacun penche vers une solution ou l'autre. Certains établissent ainsi une sorte de «liste noire» reprenant les noms de ceux qui ont déjà posé un lapin par le passé. Mais évidemment, cela demande une charge organisationnelle en plus. Pour le chef Éric Lekeu, dans le métier depuis 45 ans, vérifier tous les numéros d'une liste lors de chaque réservation au téléphone: «ce n'est pas possible», dit-il à la RTBF. D'autres adoptent néanmoins cette astuce, par exemple en investissant dans un système informatique permettant de traiter cette base de données. C'est ce qu'a fait une gérante de restaurant à Gembloux interviewée par RTL Info et qui explique que son application garde en mémoire chaque client. «S'ils réservent une autre fois, on verra qu'ils n'étaient pas venus. Et à partir de trois fois, on les met dans une liste noire et ils ne peuvent plus faire de réservations chez nous», détaille-t-elle. Une technologie qui a un coût: 100€ par mois. Encore un manque à gagner mais jugé minime comparé à la perte causée par les «no show».

Le souci, c'est que les personnes peu scrupuleuses s'adaptent et donnent parfois de fausses identités et des numéros de téléphone inexistants pour éviter ce système. Quelques restos ont ainsi adopté une autre technique de contre-attaque: rappeler chaque numéro de téléphone pour vérifier toutes les réservations. Bien souvent, après deux tentatives de contact ou à partir de telle heure sans réponse reçue, la réservation est annulée. Mais pour cela, il faut affecter un membre du personnel à cette tâche qui peut s'avérer titanesque lorsque les tables sont nombreuses. Vous connaissez maintenant la chanson: un coût supplémentaire pour le restaurant.

L'acompte: une garantie qui ne fait pas l'unanimité

Une autre solution souvent brandie, c'est de créer un acompte. Si la réservation est annulée au-delà de 24 heures par exemple, aucune somme ne sera retirée. Dans le cas contraire, la note peut être salée. Certaines adresses posent ce genre de condition à partir de tel nombre de couverts, d'autres dans n'importe quel cas. À Bruxelles, l'Osteria Romana demande par exemple 100€ lors de chaque réservation en ligne, qu'importe que l'on soit deux ou cinq personnes. Une mesure dissuasive, simple et peu contraignante a priori. Le SPF Économie confirme d'ailleurs que cette pratique est parfaitement légale, en renvoyant notamment vers l'article 1134 du Code civil. Tout comme les hôtels, les restaurants peuvent imposer cette contrainte en guise de garantie du respect du contrat, du moins tant que cela est clairement annoncé.

Pour autant, l'acompte ne fait pas consensus dans le secteur. C'est par exemple impensable pour Charles Jeandrain vu le contexte économique. Idem pour Ludovic Vanackere, chef à l’Atelier de Bossimé. «Je pense que c'est un peu exagéré dans la conjoncture actuelle de demander en plus un acompte. C'est aussi un double problème par rapport à la comptabilité qu'il faut suivre, donc c'est une solution qui n'est pas tout à fait adéquate», estime-t-il. La menace de l'acompte fait aussi peur à cause d'une incertitude latente sur les conditions exactes. Par exemple, est-ce que personne tombant malade au dernier moment pourrait récupérer son argent? La question se pose d'autant plus aujourd'hui avec la crise du Covid. Que se passerait-il si un test Covid s'avère positif juste avant d'aller au resto? Il est parfois difficile de trouver cette information. Renaud Waeterloos, patron de plusieurs adresses, a testé l'obligation d'un acompte de 50€ dans son enseigne «Il Gastronomico» mais n'a pu que constater ces craintes des clients. «La réticence est telle que 70% des gens renoncent à réserver. Nous avons donc arrêté», confie-t-il à La Libre. Il espère que la réputation de son restaurant ira en grandissant et que cela lui permettrait de redemander une empreinte de carte de crédit, l'envie de venir des clients l'emportant sur cette peur de l'acompte.

Pas de réservation mais une file d'attente en ligne

Mais évidemment, tous les restaurants ne peuvent pas compter sur leur seule renommée. Faut-il seulement envoyer des SMS et des mails automatiques, en espérant que les éventuels «no show» ne seraient que des oublis ainsi éviter? Dans le quartier bruxellois du Sablon, le restaurant Crème a pris le taureau par les cornes. Ici, il n'y a pas de réservation, point à la ligne. Il faut dire que les clients sont déjà tellement nombreux à vouloir s'y rendre que bien souvent, les tables se remplissent facilement quoi qu'il arrive. Une solution encore une fois pas applicable partout mais qui, en plus, créer d'autres soucis. En l'occurrence, cela a amené à la formation de files de clients, notamment le week-end, et donc à l'assignement d'un membre du personnel à la gestion de ce flux. Tout cela sans compter la frustration des clients, condamnés à attendre sur place ou à proximité immédiate. Pas l'idéal donc.

Le restaurant a néanmoins trouvé une solution pour régler en partie le problème: l'application Skeepit. Comme l'explique la RTBF, elle permet de transposer cette file en ligne. Pas besoin de patienter physiquement devant l'enseigne, il suffit d'une inscription (par code QR ou directement sur l'application) pour la rejoindre. Une fois qu'une table est libre, ils doivent néanmoins se dépêcher pour venir. Le temps imparti n'est que de 10 minutes. Le prix à payer pour éviter un maximum de désagréments, autant pour les restaurateurs que pour les clients.

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