Voici la consommation d'énergie hallucinante des panneaux publicitaires : qu'attend-on pour les éteindre ?

Les panneaux digitaux pullulent dans nos villes, affichant une consommation stratosphérique. Découvrez la face cachée de ces dispositifs et des étonnants contrats conclus avec les pouvoirs publics.

Voici la consommation d'énergie hallucinante des panneaux publicitaires : qu'attend-on pour les éteindre ?
© BelgaImage

Crise énergétique oblige, la Wallonie coupe l’éclairage public sur ses autoroutes. Du moins en grande partie. Une économie chiffrée à plusieurs centaines de milliers d’euros. Tandis que les efforts se multiplient du côté des commerces et que l’on attend toujours l’extinction des feux dans les bâtiments fédéraux. Ensuite? Ne faudrait-il pas aussi mettre sur off les panneaux publicitaires digitaux qui pullulent dans nos villes, sur les trottoirs, abribus et toits d’immeubles? Même si cette consommation est à charge des exploitants, n’est-ce pas un énorme gaspillage énergétique? Pour répondre à cette question, il faudrait d’abord connaître la consommation de ces dispositifs lumineux. Face au silence des pouvoirs publics, on a contacté une demi-douzaine de fabricants et installateurs d’écrans publicitaires. Vous êtes bien assis? Sans surprise, on apprend d’abord que leur consommation dépend de leur emplacement, de la technologie d’affichage et de leur intensité lumineuse. “Mais les nouveaux écrans installés à l’extérieur fonctionnent quasiment tous avec la même technologie led et affichent donc une consommation sensiblement identique, nous explique l’un de ces fabricants.  Il faut compter environ 400 watts/heure par mètre carré.

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Le mobilier urbain pour l’information

Un mètre carré, c’est un peu moins que les plus petits écrans de 75 pouces que l’on retrouve sur les trottoirs. Une face étant dédiée à de la publicité, l’autre à des communications de la ville ou de la Région. Dans le jargon, on appelle ces dispositifs des MUPI (“mobilier urbain pour l’information”) ou plus communément “planimètres” ou encore “sucettes”. Des sucettes très, très gourmandes. Allumés 24 heures/24 et 365 jours par an, ces petits écrans consommeraient donc environ 3.500 kWh annuellement. JCDecaux, le numéro un mondial de la communication extérieure, n’est habituellement pas très bavard sur cette consommation. En 2017, la société avait même mis en demeure l’association française Résistance à l’agression publicitaire (R.A.P.) de retirer de leur site des informations - dont la consommation de ces écrans - relatives à leur offre de MUPI pour la Ville de Paris. La multinationale de la pub a pourtant accepté de répondre à nos questions. “Nos écrans ne sont pas allumés constamment, rectifie Jérôme Blanchevoye de JCDecaux. On les éteignait déjà de 1 h à 5 h du matin avant la crise énergétique et on étend aujourd’hui cette coupure de minuit à 6 h.” Que consomment ces panneaux lumineux? Aussi bizarre que cela puisse paraître, les autorités que nous avons contactées n’en savent absolument rien. “Nos écrans de 75 pouces consomment environ 2.600 kWh par an”, nous affirme JCDecaux. Chacune de ces petites sucettes dépense donc quasiment autant d’énergie à l’année qu’un ménage belge (3.000 kWh).

panneaux publicitaires consommateurs d'énergie

© DR

Des panneaux? Où ça?

Combien de panneaux publicitaires sont installés dans nos villes? Nous avons contacté plusieurs autorités wallonnes ou bruxelloises mais personne ne connaît leur nombre! “La réalisation d’un cadastre des panneaux led au niveau régional fait l’objet de demandes régulières en commission mais demeure sans réponse”, déplore Julien Uyttendaele, député socialiste au parlement de la Région de Bruxelles-Capitale. Nous trouverons alors des éléments de réponse dans les archives des communiqués de presse de JCDecaux. Dans un texte daté de mai 2021 annonçant le nouveau contrat exclusif de 15 ans conclu avec la Ville de Bruxelles, la firme parle de 335 nouveaux abribus et 215 MUPI “en complément des 900 mobiliers digitaux déjà présents à l’échelle nationale dans les centres commerciaux, les magasins Carrefour, à Brussels Airport, à Bruxelles et à Liège ainsi que dans le métro de Bruxelles.

JCDecaux capitalise donc près de 1.500 panneaux digitaux. Auxquels il faut ajouter tous ceux de ses concurrents, dont Clear Channel. Et nombre de ces écrans sont plus grands que ceux des sucettes. “Nous avons aussi 15 écrans de 8 m2 sur le territoire belge. Ils consomment chacun en moyenne 5.800 Kwh par an.” La palme revenant à l’écran géant situé sur le Centre Monnaie, entre le Boulevard Anspach et la Place de la Monnaie. Ce dispositif qui fait la fierté de l’exploitant Clear Channel affiche des mensurations records: 15.6 mètres de long sur 8.40 mètres de large. Soit 131 mètres carrés! En appliquant les mêmes ratios, cet écran, à lui seul, consommerait autant à l’année que 150 familles! Hallucinant. Qu’attend-on alors pour les éteindre? Encore faudrait-il ne pas avoir les pieds et les mains liés par les contrats conclus avec ces géants de la pub. Des contrats pour le moins étonnants. Vous pensiez que JCDecaux, par exemple, se contentait de payer des redevances à la Ville pour ses emplacements et d’afficher ensuite ses publicités?

Mobilité douce durement négociée

En réalité, les autorités déroulent le tapis rouge à ces compagnies, en les exemptant de nombreuses taxes et redevances, à condition que ces firmes fassent une partie du boulot à leur place. Concrètement? Le première convention conclue en 1984 entre JCDecaux et la Ville de Bruxelles stipulait que “le contrat ne prévoit aucun paiement de JCDecaux à la Ville de Bruxelles à titre de loyers, droits d’occupation ou redevance pour ses panneaux mais JCDecaux doit procurer à la Ville un certain nombre d’avantages en nature: mise à disposition gratuite de corbeilles à papier, de sanitaires publics, de plans de la ville…” Dans les contrats suivants, JCDecaux s’engage à réserver une partie du temps de ses écrans (environ 20 % selon la firme) à des communications institutionnelles, culturelles ou d’ordre public, à fournir aux villes des abribus ou encore le service de vélos partagés Villo! On a donc confié des missions de mobilité douce à une multinationale de la pub en échange d’écrans très énergivores…

Nous redistribuons 46 % de nos recettes aux Régions, communes et sociétés de transport en commun, rétorque JCDecaux. Cela représente plusieurs dizaines de millions d’euros par an.” Reste que certains contrats publics semblent surtout profiter au géant de la pub. Si le dernier accord de 15 ans conclu entre Bruxelles et cette société n’a toujours pas été communiqué par la ministre de la Mobilité Elke Van den Brandt en raison du “caractère confidentiel de divers aspects budgétaires”, on apprend en Commission mobilité du 28 janvier 2020, que “JCDecaux a obtenu l’exemption de la redevance pour panneaux publicitaires sur toutes les voiries régionales et dans une série de communes”. En parcourant une décision de la Commission européenne, saisie par Clear Channel qui estime que son concurrent a bénéficié d’aides illégales, on découvre également que la Région bruxelloise a accordé à JCDecaux “une exonération de redevance pour occupation du domaine public sur les dispositifs publicitaires de 8 mètres carrés”.

Bingo, c’est toi qui paies

Quel est le montant des redevances régionales et communales dont se privent les pouvoirs publics dans le cadre de ce deal Villo!? Selon le député bruxellois Christophe De Beukelaer (Les Engagés), le coût d’exploitation de ces vélos partagés se chiffrait en 2009 à 7 millions d’euros alors que les recettes publicitaires auraient été évaluées par une étude KPMG à 15 millions d’euros. Bingo? Un deal d’autant plus problématique que le service Villo!, pionnier à ses débuts, fait aujourd’hui pâle figure face aux services proposés par des compagnies privées non soutenues par les pouvoirs publics. Vélos lourds, non électriques, que l’on doit nécessairement prendre et ramener dans des parkings dédiés. Selon le député, chaque Villo ne serait même pas utilisé une fois par jour! Afin de moderniser la flotte, un amendement a donc été ajouté au contrat: en échange du remplacement de 1.800 vélos existants par des vélos à assistance électrique, JCDecaux peut remplacer 200 panneaux d’affichage papier de 2 mètres carrés par des dispositifs digitalisés… Un nouveau deal pour le moins contre- intuitif. Lors de notre passage la semaine dernière place de Brouckère, l’écran géant de Clear Channel était éteint. De quoi donner des idées aux milliers d’autres qui squattent nos villes?

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