
Automobile : l’avenir est-il aux carburants synthétiques ? On fait le point en quatre questions

Ceux qui suivent la F1 ont davantage de chance d’en avoir entendu parler… Et si à la place de verser de l’essence issue du pétrole dans le réservoir des bolides du circuit, ceux-ci étaient propulsés par un carburant synthétique, censé être moins polluant? “Vers un combustible durable en Formule 1 en 2026”, titraient, en substances, les magazines spécialisés fin juillet. L’idée n’est pas nouvelle. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne nazie, à court de pétrole, avait fabriqué ce type de carburant à grande échelle. Soixante ans plus tard, la raison a changé, mais le principe reste le même: faire rouler nos voitures et naviguer nos cargos avec de l’hydrogène combiné à du carbone. Sauf que cette fois, pour que ce soit viable écologiquement, l’hydrogène doit être fabriqué à partir d’énergie renouvelable et le CO2 prélevé dans l’air. Le processus est aussi compliqué qu’il y paraît, mais pas de panique, on vous explique.
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1. Comment ça fonctionne?
Spécialisé en énergie et notamment en carburants synthétiques, le professeur Francesco Contino, enseigne à l’École polytechnique de l’UCLouvain. Il compare notre combustible actuel à une pierre brute qu’on vient sculpter petit à petit. En revanche, les carburants de synthèse, “sont un peu comme des Legos qu’on assemble, et dont la brique de base est l’hydrogène”. Gaz très léger, l’hydrogène se voir ajouter un autre élément comme le carbone pour augmenter sa densité et faciliter son stockage. Pour que le carburant de synthèse soit considéré comme propre, il faut donc d’une part que l’hydrogène soit produit via de l’électricité renouvelable et que, d’autre part, le carbone soit capturé sur des sites où il est concentré (des cimenteries par exemple) ou dans l’air. Bien que le carbone soit l’atome privilégié pour ce type de carburant, il existe d’autres recettes… Des recherches se penchent par exemple sur un e-carburant fabriqué à base d’hydrogène et d’azote, précise Francesco Contino.
2. Pourquoi est-ce intéressant?
“Si on cherche une alternative facile et pas chère aux carburants fossiles, ce n’est pas celle-ci… mais il n’y en a probablement pas de toute façon”, prévient directement Francesco Contino. Les carburants synthétiques sont complexes à produire et coûteux en énergie. Selon une étude indépendante commandée par l’organisation européenne Transport & Environment, il faudrait augmenter de 26 % la production d’électricité renouvelable en Europe pour alimenter seulement 10 % des nouvelles voitures en carburants de synthèse. Résultat, on ne doit pas s’attendre à trouver un carburant synthétique peu cher à la pompe. Pour ajouter à la liste des points noirs, l’UE a voté la fin de la vente de voiture neuve à moteurs à combustion pour 2035.
Malgré tout ça, et faute de mieux, plusieurs équipementiers automobiles, à commencer par Volkswagen, s’y intéressent sérieusement. Selon l’analyste e-mobility de Transport & Environment, Yoann Gimbert, “les carburants de synthèse sont présentés par l’industrie du pétrole et les équipementiers automobiles comme un moyen de prolonger le moteur à combustion au-delà des objectifs d’émissions zéro” justement. Question de business, donc, mais pas que.
Pour Francesco Contino, en réalité, il y a peu de chance de voir arriver ce type de carburant à grande échelle dans nos stations-service. Tout comme Yoann Gimbert, il estime que ce combustible servira surtout pour les avions et les navires. Là, les carburants de synthèse ont de vrais atouts par rapport à l’option batterie électrique. “Certains transports ont besoin d’une grande densité d’énergie qui ne pourra jamais fonctionner avec des batteries. Un avion par exemple, s’il devait être électrique, ressemblerait à un énorme engin rempli de batteries et transportant seulement quelques passagers”. En plus de ça, les carburants de synthèse peuvent être stockés sur de très longues périodes.
3. Est-ce vraiment moins polluant?
Comme décrit plus haut, un carburant synthétique est considéré comme propre s’il est produit à partir d’hydrogène vert et de carbone capté dans l’air. Son utilisation, elle, est loin de l’être, martèle cependant Transport & Environment. “Des tests d’émissions ont montré que les voitures alimentées par des carburants synthétiques émettent autant d’oxydes d’azote (NOx) toxiques que les moteurs à carburant fossile. Cela signifie que l’utilisation de carburants synthétiques dans les voitures continuera à polluer nos villes, alors que les véhicules électriques ont le potentiel de réduire la pollution de l’air que nous respirons.”
4. Où en est son développement?
Une chose est sûre, nous ne roulerons pas tous demain aux carburants synthétiques. Ni même dans dix ans d’ailleurs. Aujourd’hui, observe Francesco Contino, la production de carburant synthétique “n’en est pas encore à une fraction de fraction de pourcent de ce qui est produit dans la filière fossile”. Si l’objectif est de respecter les nouvelles normes de CO2 des voitures en utilisant du carburant synthétique, cela nécessiterait une augmentation massive de la production, explique Transport & Environment. “Il faudrait 3,3 milliards de litres d’e-carburants pour la seule année 2030, chiffre Yoann Gimbert. Cela me semble irréaliste étant donné que seule une poignée d’usines ont été annoncées en Europe à ce jour.” Pour Francesco Contino “Il faut arrêter de penser que la solution viendra de la technologie. On ne va pas tous changer de fuel d’ici 2035, on devrait plutôt s’habituer à faire autrement.”
Un paquet d’acteurs s’y intéressent pourtant activement, du cabinet de la ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten, à Cockrill par exemple, qui travaille à la production d’hydrogène. Les recherches se font encore discrètes, et à raison selon le professeur de l’UCLouvain. “N’y pensez pas trop pour le moment comme une alternative, car dans un premier temps les carburants synthétiques serviront surtout pour l’industrie”… Et pour la F1?