«Notre dépendance géopolitique à la Chine est totale dans le secteur des batteries électriques"

L’électrification du parc automobile, et de bien d’autres secteurs, va nous rendre désormais dépendants de ces dispositifs de stockage, avec leur lot d’atouts et d’inconvénients, notamment géopolitiques.

Batteries électriques ©BelgaImage
Batteries électriques ©BelgaImage

Nous n’avons plus le choix. Nous devons absolument arrêter d’émettre du CO2 si nous voulons ralentir le réchauffement climatique. Cela signifie ­consommer moins de pétrole et se reposer davantage sur les énergies renouvelables, productrices d’électricité. Pour rendre cette transition effective, l’UE force la main des industries, notamment dans le très polluant secteur de la mobilité: fini les moteurs thermiques dans les voitures neuves en 2035. Mais cela ne concernera pas que les autos. Nous allons vers une électrification plus globale. Progressivement, nous allons donc devenir moins dépendants du fameux or noir et bien plus d’une autre ressource, très différente: la batterie. Il faut bien emmagasiner toute cette électricité quelque part, surtout qu’éoliennes et panneaux solaires ne produisent pas toute l’année.

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Outre l’aspect écolo­gique, cette évolution vers un nouveau modèle a plusieurs atouts. “Le gros avantage, c’est qu’une batterie a un excellent rendement: on récupère une grande partie de ce qu’on y a injecté, commente Francesco Contino, professeur à l’École polytechnique de l’UCLouvain. Ensuite, par rapport à d’autres solutions potentielles, il s’agit d’une technologie qui existe complètement, validée, commercialement disponible et industriellement mature.” Contrairement à l’essence, une batterie peut être réutilisée, puis recyclée. Mais ça, c’est le dernier choix, nous explique ce spécialiste en énergie. “Une batterie qui n’est plus optimale pour une voiture peut l’être pour un autre véhicule plus petit, pour une deuxième vie comme stockage à domicile…

Made in China

Avec cette électrification progressive, nous ne serons donc plus aussi dépendants des pays de l’Opep, ou même du gaz russe. Mais nous ne serons pas pour autant autonomes. Construire une batterie nécessite plusieurs métaux rares, du lithium surtout, comme dans nos smartphones. On en trouve au Chili, en Argentine, en Australie. Selon les types de batteries, on pourra aussi avoir besoin de cobalt (2/3 de la production au Congo), de manganèse (Gabon, Brésil…) ou encore de nickel (Indonésie, Australie, Russie…). Mais la Belgique ou l’UE ne traiteront certainement pas avec ces pays. Toutes ces ressources extraites partout dans le monde partent vers l’Asie pour être raffinées, transformées en sels et électrodes pour les batteries. C’est la première étape inévitable.

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Elle a surtout lieu en Chine. Il y a bien des initia­tives en Europe, mais on commence petit. On va avoir une vraie dépendance face à la Chine, qui détient les verrous. Ce n’est vraiment pas une situation favorable. À côté, le problème du gaz russe, c’est une blague”, commente Éric Pirard, professeur à l’ULiège, spécialiste des ressources minérales. ­Dernièrement, la société belge ABEE a annoncé installer à Seneffe une “méga-usine” destinée à la fabrication et au recyclage de batteries. Une bonne chose selon Francesco Contino, mais cela ne veut pas dire que nous serons indépendants d’autres pays. Pour les matières premières d’abord, mais aussi parce que la Belgique a besoin de plus d’énergies renouvelables qu’elle ne peut en produire…

Des mines en Europe?

Alors ne faudrait-il pas commencer à chercher ces métaux rares dans nos régions s’ils sont amenés à devenir si importants? Ou développer des batteries conçues uniquement avec des métaux européens ou plus facilement disponibles? “On pourrait, répond Éric Pirard, spécialiste de la question. Mais cela demanderait au minimum une dizaine d’années avant la mise en place. Il faudrait une boule de cristal pour savoir quelle batterie sera la plus utilisée.” Quant à miner en Europe, des projets autour du lithium se lancent en France et en Finlande, mais font face à beaucoup de rejet. “Les gens ne veulent pas entendre parler de mines. L’opposition sociétale est très forte.” Un refus très probablement lié aux mauvais souvenirs des mines de nos pays, fermées il n’y a finalement pas si longtemps. “Cela part d’un gros malentendu. La mine de Zola et ses accidents, c’est fini. Avec les avancées technologiques, c’est beaucoup plus sûr. Il y a beaucoup de téléguidage et on se dirige même vers des mines robotisées.

De plus, de la colonisation à la mondialisation, l’Europe de l’Ouest a pris l’habitude d’extraire ces matières ailleurs. Ce qui fait qu’aujourd’hui, nous n’avons aucune idée de ce qui compose le sol sous nos pieds… Ensuite, même si on trouvait un gisement intéressant, il faudrait environ vingt ans pour obtenir une mine exploitable. À court terme, nous serons donc très fortement liés à la Chine, c’est presque inévitable. “Nous ne réagissons que lorsque nous sommes dos au mur, souligne le professeur de l’ULiège. On a tiré la sonnette d’alarme il y a vingt ans, il y a dix ans… Aujourd’hui, notre dépendance géopolitique à la Chine est totale dans ce secteur. Sans parler des panneaux solaires, de certains composants d’éolienne ou de puces électroniques…”

Révision du moteur

Une autre question se pose lorsqu’on parle d’électrification: la faisabilité. L’exemple qui revient le plus est celui du parc automobile. Pourrons-nous avoir autant de véhicules à moteur qu’aujourd’hui en Belgique, mais tous électriques? “Techniquement, c’est faisable. Nos simulations l’indiquent, répond le professeur Contino. Mais est-ce souhai­table?” Difficile de parler de notre future dépendance à la batterie sans parler de sobriété énergé­tique. Surtout que, comme dit précédemment, nous avons besoin de plus d’électricité que nous ne pouvons en produire.

Car il y a un risque. “La demande sera-t-elle aussi forte? Et si on se trompe sur notre capacité à pouvoir y répondre? On s’engage sur une mauvaise voie avec peu de temps pour se retourner.” Dans ce futur électrifié qui nous attend, l’idéal pour les spécialistes de l’énergie serait de bousculer nos habitudes, de passer d’une économie de la propriété à une économie de l’utilisation: voitures partagées et transports en commun plutôt que deux véhicules par ménage. “Lors d’un atelier en marge de la COP, conclut Francesco Contino, une douzaine d’experts universitaires de l’énergie discutaient de ce sujet et le mot qui revenait le plus, c’était sobriété. Et cela veut dire diminuer son confort.”

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