
Le chocolat que vous achetez peut-il être respectueux des producteurs et de l'environnement?

Ces dernières semaines, les œufs en chocolat ont fleuri sur les étalages des supermarchés comme les fleurs à la période de Pâques. Une orgie chocolatée puisque selon les chiffres donnés par la DH, chaque famille belge consomme en moyenne environ 1,5 kilo déposé par les cloches, soit à peu près autant que lors de la Saint-Nicolas. Ce plaisir sucré nous hypnotise tellement qu'on en oublierait presque que dans le monde du cacao, tout n'est pas rose. Entre déforestation, travail forcé d'enfants et salaires de misère pour les producteurs, certaines sociétés chocolatières ne sont pas vraiment vertueuses. Des initiatives existent pour renverser la tendance, notamment en Belgique, avec parfois des résultats notables. Le secteur doit toutefois encore faire beaucoup d'efforts avant d'atteindre ses objectifs. En attendant, le public est amené à être particulièrement vigilant à ce qu'il achète afin de limiter les éventuelles retombées négatives de cette consommation.
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Les péchés capitaux du chocolat
Le premier problème quand on parle de production de chocolat, c'est la faible rémunération des producteurs, notamment en Afrique de l'Ouest. "C’est lié à l’organisation générale de la filière, au sein de laquelle quatre ou cinq grands fabricants de chocolat en milieu de chaîne concentrent les achats et la façon dont se diffuse le prix dans un contexte de surproduction", explique à Libération Frédéric Amiel, coordinateur des Amis de la Terre en France. "Dans les années 90, les structures collectives de négociations des producteurs, notamment les coopératives, se sont aussi effondrées ce qui fait que sur le terrain, les cacaoculteurs sont à la merci des transporteurs qui leur imposent les prix qu’ils veulent". Selon la Banque mondiale, près de la moitié des planteurs ivoiriens vivent sous le seuil de pauvreté. Cela représente entre 5 et 6 millions de personnes. Un résultat d'autant plus frappant qu'environ 45% de la production mondiale de cacao provient de Côte d'Ivoire.
De cette pauvreté découlent les autres grandes conséquences. D'après l'enquête NORC de l'université de Chicago réalisée en 2018-2019, pas moins de 800.000 enfants travailleraient dans les plantations de cacao rien qu'en Côte d'Ivoire. Dans le monde, ils seraient 1,5 million. Beaucoup d'entre eux viennent de pays voisins encore plus pauvres, comme le Mali et le Burkina Faso.
Puis il y a la déforestation, surtout en Afrique de l'Ouest et en Asie du Sud-Est. Car pour produire le cacao (un des composés les plus importants avec le sucre et le lait), il faut des terres, en grande quantité. Selon des chiffres officiels relayés par la Fondation Soundélé Konan, la Côte d'Ivoire est passée de 16 millions d'hectares de forêts dans les années 1960 à 2 millions d'hectares 50 ans plus tard. Encore en 2020, 47.000 hectares ont été défrichés pour le cacao dans le pays, selon l'organisation environnementale américaine Mighty Earth. "Environ 80 % des forêts tropicales humides d'Afrique de l'Ouest ont été remplacées par l'agriculture, principalement pour le cacao", note également le WWF.
Puis c'est sans compter l'utilisation massive de pesticides, avec une législation bien plus laxiste en la matière qu'en Europe, d'où des conséquences environnementales notables. Les sols s'appauvrissent, incitant ainsi à déboiser de nouvelles terres alors que les anciennes doivent être revalorisées pour être de nouveau exploitables.
La fin de la déforestation causée par les Européens?
Pour enrayer ce phénomène, l'Union européenne, premier importateur de cacao ivoirien, a édicté en décembre 2022 qu'elle interdirait l'importation de produits directement liés à des parcelles déboisées après décembre 2020. Cela concerne notamment l'huile de palme, le bois, le soja, la viande bovine, le soja ou encore le fameux cacao. La mesure, qui est présentée par les pays membres de l'UE comme très positive et unique au monde en la matière.
Il n'empêche, certains doutes pèsent sur l'applicabilité de cette réforme. "C’est très illusoire, parce que cela voudrait dire qu’il y a une traçabilité parfaite et que l’Europe serait capable de déterminer si une fève de cacao ou un sac de cacao, vient d’une plantation qui a été créée il y a plusieurs années, et non pas sur une parcelle qui a été défrichée après la date qu’ils ont choisie en 2020. C’est impossible à déterminer dans le contexte actuel des pays comme la Côte d’Ivoire et le Ghana", explique à RFI François Ruf, expert en économie cacaoyère. Il en veut pour preuve la difficulté à lutter contre la disparition d'une forêt pourtant classée, celle de la Bossematié, à l'est de la Côte d'Ivoire.
Un secteur qui rivalise de plans d'action mais qui doit encore faire ses preuves
Reste ensuite le problème de la rémunération des producteurs. De cela dépendra l'amélioration des conditions de vie des travailleurs et la possibilité de tendre vers une agriculture plus biologique. De grandes multinationales ont annoncé plusieurs engagements en ce sens, comme Mars Wrigley et Mondelez. Une "prise de conscience" bienvenue "mais qui n’apporte souvent pas de garanties sur le prix", regrette auprès de l'AFP Julie Stoll, déléguée générale chez Commerce équitable France.
En Belgique, la réflexion est poussée encore plus loin avec l'impulsion du plan Beyond Chocolate, lancé par les autorités. Le but: faire en sorte que tout chocolat vendu en Belgique soit conforme à une norme de certification pertinente, ou soit fabriqué à base de cacao couvert par un programme de durabilité d'entreprise. En 2030, les producteurs de cacao qui approvisionnent le marché belge devront gagner au moins un revenu vital.
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Les objectifs sont ambitieux et commencent à produire des premiers résultats. Entre 2018 et 2021, le chocolat produit en Belgique et certifié (ou couvert par un programme de durabilité d'entreprise) est passé de 42% à 65%. Une première étape vers l'objectif des 100% d'ici 2025. Mais pour l'instant, il reste encore beaucoup à faire. Selon le dernier rapport Beyond Chocolate publié en 2022, seuls 57% de l’approvisionnement en cacao provient de fermes répertoriées et cartographiées. Pour le reste, c'est le flou total, et donc la porte ouverte aux abus. Pour WWF, cela "concerne la 'chaîne d'approvisionnement indirecte' dans laquelle le cacao, souvent cultivé illégalement dans des parcs naturels, est vendu à divers intermédiaires avant d'arriver au négociant international". "Jusqu'à présent, les entreprises de Beyond Chocolate ont principalement investi pour lutter contre la déforestation dans leur chaîne d'approvisionnement directe, en achetant le cacao directement au producteur. Le WWF encourage toutes les entreprises à mettre en œuvre les recommandations du cadre international de responsabilité 'Accountability Framework' afin d'améliorer la transparence et la visibilité de la chaîne d'approvisionnement".
Autre bémol: "il convient de noter que seulement un nombre limité d’agriculteurs bénéficient aujourd’hui des approches novatrices visant à aller au-delà du 'business as usual'", note le rapport de Beyond Chocolate. "La plupart des partenaires ont encore du mal à se faire une idée précise du niveau de revenu des planteurs dans leur chaîne d’approvisionnement. Les données publiquement disponibles montrent que les agriculteurs d’Afrique de l’Ouest sont encore loin de gagner décemment leur vie". "C'est bien que les entreprises investissent dans la durabilité, mais elles ne s'occupent pas des résultats sur le terrain", juge de son côté Bart Van Besien, expert cacao chez Oxfam Belgique. "Or, les producteurs restent cantonnés dans la pauvreté et doivent prendre beaucoup de risques. Et les initiatives prises n'arrivent pas jusqu'à eux. En Afrique de l'Ouest, plutôt que de promouvoir la durabilité pour les producteurs, les initiatives de durabilité ont surtout renforcé la position des industriels et les intermédiaires", explique-t-il à L'Écho.
Quel chocolat acheter?
D'ici à ce que ces objectifs deviennent réalité, il faudra donc attendre encore un bon moment. Pour s'assurer que son chocolat est le plus vertueux possible, le premier réflexe reste pour l'instant de s'assurer de la traçabilité du produit. En supermarché, l'origine géographique est parfois notée, mais la présence d'un label n'est pas toujours signe que le producteur est bien payé. Comme le note en France UFC-Que Choisir, le logo Fairtrade Max Havelaar a trois déclinaisons aux significations différentes. Lorsqu'il est sur fond noir simple, le produit vient d'une filière ségréguée. S'il est sur fond blanc, seule une partie des ingrédients est labellisée.
"Malheureusement il n’y a pas de labels qui regroupent tous les critères : certains se focalisent sur les aspects sociaux, comme les labels fairtrades, d’autres qui misent sur les aspects écologiques, comme Rainforest Alliance ou le label Bio", explique à la RTBF Béatrice Wedeux, chargée de plaidoyer sur les forêts au WWF. "On est toujours dans une impasse pour recommander un label au consommateur. Ça contribue à de meilleures pratiques, mais ce n’est pas égal à dire que c’est un chocolat durable”.
Pour être plus certain de ce que l'on achète, le quotidien Libération redirige, tout comme la RTBF, vers les artisans chocolatiers pratiquant le "bean to bar", autrement dit ceux qui suivent toute la chaîne de production de leurs chocolats, du terroir jusqu'en magasin. En travaillant directement avec des coopératives structurées, notamment en Afrique de l'Ouest, ils s'assurent qu'il n'y a pas de problème dans les pays où est cultivé le cacao. En Belgique, le mouvement est notamment représenté par Pierre Marcolini, qui fait figure de précurseur dans le milieu. Mais évidemment, cela fait monter le prix.