
"Le mur des 80 km", quelle est cette règle très spéciale imposée jusqu'ici aux artisans belges ?

Jusqu’à présent, une directive européenne régissait le petit monde des fromages, salaisons ou encore des miels artisanaux : un producteur ne pouvait pas vendre des produits d’origine animale dans des points de vente situés à plus de 80 kilomètres d’où ils étaient produits. D’où le fameux mur des 80 kilomètres.
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Une règle dont le fromager namurois, Octave Laloux, à la tête des cinq fromageries bruxelloises « Saint Octave » proposant aux clients des produits locaux et en provenance directe des artisans, a fait les frais. Le problème ? Une pipe de sanglier, produite à Oignies-en-Thiérache, dans la commune de Viroinval. Localité située à 92 kilomètres de Bruxelles, soit 12 kilomètres trop loin selon la régulation européenne. Ce qui empêche donc la boucherie Janvier mais aussi Octave Laloux de vendre ces saucisses sèches.
“L’Afsca nous a demandé de retirer ces produits parce que les petits artisans qui ne disposent pas d’un agrément spécifique pour les activités relevant du B2B ne peuvent vendre leurs produits à d’autres établissements situés à plus de 80 kilomètres de chez eux, explique Octave Laloux dans les colonnes de l’Avenir. On a donc décidé de sensibiliser le monde politique sur ce sujet”.
Une question de conditions
C’est que les petits producteurs portent souvent une sorte de double casquette. Prenons le cas de la Boucherie Janvier, elle vend la majorité de sa production directement aux consommateurs, ce qu’on appelle en jargon marketing du « BtoC », comprendre du Business to Consumer, soit de l’entreprise vers le consommateur. Mais, elle écoule également une petite partie de sa production en approvisionnant d’autres magasins, comme la fromagerie Octave par exemple. C’est ce qu’on appelle du « BtoB », soit du Business to Business, de l’entreprise à l’entreprise.
Et cette double casquette entraine avec elle, deux conditions à remplir selon l’Afsca pour être permise. Premièrement les ventes dites en BtoB devaient rester une petite partie des activités, soit maximum 30% du chiffre d’affaires. Et ces dernières devaient également rester « locales ». En effet l’autre opérateur ne pouvait pas se situer dans un rayon supérieur à 80km autour du lieu de production. Une règle qui reste pénalisante pour de nombreux artisans-producteurs.
De 80 à 200 km
Comme le dit si bien Octave Laloux, « il fallait sensibiliser le monde politique sur ce sujet ». Dont acte, le vice-Premier ministre, David Clarinval (MR) vient d’annoncer du changement à l’horizon : le rayon est désormais étendu à 200 km pour les artisans installés dans certaines communes rurales.
“Boucheries, fromageries, marchands de miel… Tous ces petits artisans qui vendent des produits d’origine animale étaient demandeurs d’un changement, explique David Clarinval, vice-Premier ministre en charge des Indépendants (MR) à nos confrères de l’Avenir. Ces artisans produisent essentiellement en circuit court et souvent des produits bio. L’idéal, pour eux, c’est de pouvoir aussi toucher une clientèle plus urbaine, qui se rend dans des magasins spécialisés. Le problème, c’est que cette limite de 80 km les empêchait de toucher, par exemple, Bruxelles. Un petit fromager de Herve, de Virton ou Doische ne pouvait vendre une partie de sa production dans la capitale sans demander un agrément “BtoB” à l’Afsca. Or, ce dernier est plus cher et requiert des contraintes administratives très lourdes. ”
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Un contournement à la française
Si le besoin de changement a bien été acté, il n’en demeure que la marche à suivre pour le rendre tangible était loin d’être aisée. C’est que cette fameuse règle de proximité n’est pas fixée par la Belgique, mais bien par l’Europe. Il a donc fallu s’en référer à la Commission européenne pour parvenir à une modification.
"Dans un premier temps, nous avons demandé à la Commission européenne pour que ces artisans puissent vendre sur l’ensemble du territoire belge. Cela a été refusé", explique David Clarinval. Le ministre s’est alors inspiré de ce qui se faisait du côté de l’Hexagone pour parvenir à un contournement légal de cette restriction.
"On s’est alors calqué sur la dérogation aux règlements européens qui existe en France. Les artisans pourront vendre dans un rayon de 200 kilomètres si leur activité est située dans une commune d’une zone soumise à des contraintes naturelles ou à des contraintes spécifiques. Il s’agit d’une classification, mise en place par les Régions, qui reconnaît le caractère plus rural d’une commune", raconte-t-il dans les lignes de l’Avenir.
Un recensement unique en Belgique
Actuellement, seule la Wallonie s’est pliée à l’exercice et a recensé ces zones particulières. On retrouve donc l’entièreté des communes de la province du Luxembourg, une partie (la plus rurale) des communes de l’Est de la Belgique et de la province de Liège, de même que bon nombre des localités du Sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse.
Coup de chance pour Octave et la boucherie Janvier, Viroinval est dans la liste. Les salaisons du boucher pourront dont être à nouveau vendues à Bruxelles, en toute légalité cette fois !