Le prix du lait a explosé : qui ­profite de cette différence si ce ne sont ni les consommateurs, ni les agriculteurs ?

Son prix au supermarché explose alors que les agriculteurs voient leur part chuter. Les laiteries, entre producteurs et distributeurs, seraient les vraies gagnantes. De leur côté, les consommateurs sont pris au piège.

lait de vache
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Marianne Streel, agricultrice, se dit préoccupée par l’évolution du prix du lait. Vice-présidente de la Fédération wallonne des agriculteurs (FWA), elle porte toujours son attention sur le même carton, de la même ­marque, dans le même magasin. “En juillet de l’an dernier, il était vendu 1,10 €. Aujourd’hui, il est affiché à 1,59 €.” Soit une ­augmentation de 31 % en un an. Son observation se rapproche de l’analyse globale de Test Achats. En un an, la valeur moyenne du demi-écrémé a explosé de 29,30 %. Une hausse bien supérieure à l’inflation et à l’indexation des salaires. Tous les consommateurs s’en sont rendu compte. Cette croissance des tarifs était évidemment attendue en raison de l’inflation, de l’explosion du coût des matières premières dont les céréales pour nourrir le bétail et de l’indexation des salaires dans les exploitations agricoles. Pourtant, cet argument ne suffit pas à expliquer un tel phénomène. En effet, au début de la chaîne de production, les agriculteurs ne profitent pas de cette hausse de prix. Au contraire. En un an, explique l’agricultrice, la part qui revient aux producteurs a chuté d’environ 30 %. Ce n’est pas qu’un cas unique. André Ledur, conseiller au Service d’études de la FWA, a analysé toutes les situations individuelles pour en déterminer une tendance objective. “Aujourd’hui, un ­producteur de lait reçoit en moyenne 41 euros par 100 litres. En novembre 2022, il recevait 60 euros. En mai 2022, 53 euros. Le niveau actuel est très bas.

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Des prix de production en baisse, mais des prix au supermarché qui stagnent, voire poursuivent leur augmentation. Le tableau laisse perplexe, car il est incompréhensible tant pour les consommateurs que les producteurs. Cela étonne aussi Test Achats qui a fait son analyse. Selon l’association, le cours du lait est bien sur une pente descendante depuis un an, mais sur les 41 produits étudiés, seul 1 carton de demi-écrémé a vu sa valeur baisser, 4 sont restés au même tarif et 36 sont devenus plus chers. La question dès lors est la suivante: qui ­profite de ce décalage de prix si ce ne sont ni les consommateurs, ni les agriculteurs?

La laiterie au centre du jeu

Pour le savoir, il faut comprendre le fonctionnement du marché, assure André Ledur. L’agriculteur qui possède des vaches s’occupe de les élever et de les traire. Il vend ensuite la matière première à des laiteries, c’est-à-dire les industriels qui récupèrent le lait pour en faire du lait en boîte, du beurre, du fromage, des yaourts ou des biscuits. Ces derniers revendent ensuite les produits finis aux distributeurs, essentiellement les supermarchés. Les ­consommateurs arrivent au bout de la chaîne.

Comment les négociations se déroulent-elles à chaque étape? Entre le producteur et la laiterie, “les tarifs ne sont pas connus au moment de la livraison. L’agriculteur fournit sa production et au début du mois suivant, il reçoit un décompte. Les cours dé­pendent des cotations internationales des marchés. Le lait contient de la matière grasse et des protéines. Ces composants sont mesurés et valorisés. En suivant les marchés, le producteur peut de ce fait estimer les prix, mais il ne les négocie jamais”. Au cours de l’année écoulée, les cotations ont chuté en raison de l’instabilité géopolitique et de la hausse de la production au niveau mondial qui a repris après une année plus calme. En Belgique par exemple, la collecte a augmenté de 3,5 % en une année. “S’il y a plus de lait sur le marché et une demande stagnante ou en baisse, les prix baissent”, résume l’expert.

Où sont les marges?

Cela explique pourquoi les agriculteurs gagnent moins sur la vente, mais pas encore pourquoi les consommateurs paient davantage pour en ­acheter. Cela s’explique de l’autre côté de la relation commerciale. Pour le comprendre, il faut se ­rendre à un autre niveau de la chaîne. La ­laiterie revend ses produits finis aux distributeurs via des contrats. Ces derniers sont négociés pour une période plus ou moins longue. C’est du cas par cas. La plupart des accords en vigueur aujourd’hui ont été signés à une époque où la matière première était vendue plus cher, notamment à la fin de l’année dernière. Bien qu’elle soit désormais délivrée pour 30  % de moins, les distributeurs ne peuvent pas réduire leur prix d’achat, quand bien même les laiteries l’achèteraient à moindre coût aux producteurs.

Bref, elles augmentent leurs marges. Cette situation favorable est évidemment temporaire puisqu’elle se résorbera lorsque les contrats en cours arriveront à échéance. Il ne faut pas tirer de ­conclusions excessives, insiste-t-on dans le secteur, y compris du côté des producteurs agricoles et des distributeurs, car il arrive aux intermé­diaires laitiers d’être les perdants de ce système lorsque, à l’inverse d’aujourd’hui, les prix ­explosent soudainement sur les marchés.

Les laiteries doivent alors payer du lait plus cher aux producteurs tout en le revendant à perte aux distributeurs. “Les laiteries ont un rôle de tampon. Cela explique le décalage entre les prix aux producteurs et les prix aux consommateurs”, résume André Ledur, qui ajoute: “Il est difficile de dire si entre les moments moins favorables et les plus favorables, la trésorerie s’équilibre ou si une laiterie se retrouve gagnante”.

Du côté de la Confédération belge de l’industrie laitière, le malaise est palpable. Face à nous, l’administratrice déléguée Lien Callewaert se contente d’une réponse brève: “Les marges pour l’industrie alimentaire sont basses. Pour les laiteries, elles sont encore plus basses”. Mais quand on lui demande si elle peut nous fournir des ­chiffres, elle botte en touche: “Je ne sais pas vous dire si ça va mieux aujourd’hui”. Aucune laiterie contactée n’a accepté de nous fournir des informations chiffrées.

Les consommateurs, des dindons de la farce?

Pour les producteurs, les options sont limitées, car il est difficile d’adapter la production, explique Marianne Streel. On ne peut pas diminuer la fréquence de traite du jour au lendemain. La chose qu’il est possible de faire, c’est d’opter pour les circuits courts, car il y a une plus grande liberté de prix. Ou de choisir des laiteries qui paient un peu mieux… Mais on n’a pas toujours le choix.

Quant aux consommateurs... Comparer les produits et les supermarchés reste la clé. Le professeur émérite de l’UCLouvain Bruno Henry de Frahan, spécialiste du commerce agricole, conclut: “Le lait est un produit d’appel. Les consommateurs viennent dans un commerce pour le lait dont ils connaissent l’étiquetage et achètent d’autres produits. La grande distribution essaie par conséquent de le vendre le moins cher possible, compte tenu du contexte, en visant, en général, des marges bénéficiaires de seulement 2 %, sans chercher les surprofits. Si elle en a l’occasion ­prochainement, elle fera donc baisser les prix”.

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