Nouveaux bons d'Etat : une aubaine ou une arnaque ?

Marre des intérêts planchers des comptes épargne? Le fédéral vous propose une alternative. Mais ce que vous gagnez d'un côté comme épargnant, vous le perdez de l'autre comme citoyen.

bons d'état
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Le prochain bon d’État sera en concurrence directe avec le compte d’épargne”. Cette déclaration du ministre des Finances ­Vincent Van Peteghem a éveillé la curiosité des épargnants et des petits investisseurs sur ce placement à partir de 100 euros. Mais n’étant pas tous des experts en investissement, reprenons d’abord les bases. Lorsque vous achetez un bon d’État, vous prêtez de l’argent à la Belgique qui s’engage à vous le rendre à échéance, avec des intérêts. Mais attention. D’une part, l’État pourrait ne jamais payer les intérêts, ni rembourser le capital investi en cas de faillite... D’autre part, l’argent investi est bloqué. Vous ne pouvez pas le récupérer pour acheter d’urgence une nouvelle machine à laver. Vous pouvez certes vendre votre bon sur le marché secondaire, mais la démarche n’est pas instantanée. Et vous n’avez jamais la garantie de trouver un candidat intéressé. Dans l’absolu, cette option est donc plus risquée que le carnet de dépôt. Mais dans le contexte actuel, le danger semble minime bien qu’il existe.

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Le contexte étant posé, en quoi le nouveau bon d’État vanté par le ministre est-il particulier? D’abord, sa maturité n’est que d’une année. Le titre sera émis le 4 septembre 2023 - la période de souscription court du 24 août au 1er septembre. Vous récupérez donc votre mise majorée des intérêts ­seulement un an plus tard. D’ordinaire, la durée de vie est plutôt de 3, 5 ou 10 ans. Ensuite, le gouvernement a baissé le précompte mobilier de 30 % habituellement à 15 %. Vous payez ainsi moins d’impôts. Enfin, le taux aura un coupon brut de 3,30% et un rendement net de 2,81%. À titre de comparaison, les grandes banques offrent un taux de maximum 1 % sur les comptes épargne pour les dépôts de 12 mois. Bref, ces bons d’État ressemblent à une aubaine pour ceux qui peuvent se passer d’une partie de leurs économies pendant une petite année.

Se tirer une balle dans le budget

Pourtant, les experts se montrent sceptiques quant à cette possibilité. Pour l’économiste d’ING Philippe Ledent, c’est avant tout une question de principe: “Fondamentalement, un investisseur devrait faire ses choix sur base du couple rendement-risque. Or ici, l’élément fiscalité guide la décision. Cela montre une faiblesse du système belge. Tous les investissements ne sont pas régis par la même fiscalité, ce qui nuit aux choix raisonnés. Je préférerais une fiscalité commune pour tous les produits afin que l’investisseur place son argent dans ce qui lui correspond le mieux”. Cette orientation politique est par ailleurs surprenante, car le gouvernement se pénalise lui-même, alors que cela n’était pas nécessaire car les acheteurs aux conditions précédentes étaient en nombre suffisant. Philippe Ledent distingue deux types d’acheteurs: le marché des ­particuliers via les bons d’État et le marché des ­professionnels via les obligations achetées par des investisseurs institutionnels, des banques, des fonds de pension ou des fonds d’investissement. “Ces dix dernières années, car les taux ont atteint 0 %, le marché des particuliers a quasi disparu. L’État a continué à émettre des bons d’État, mais personne n’en achetait. La Belgique est devenue un marché de professionnels dans son immense majorité.” Depuis, les taux sont remontés et l’intérêt des particuliers renaît doucement sans effort particulier. De plus, ce n’est pas comme si l’État belge avait les moyens de faire des cadeaux. Avec un déficit public annuel de 4 % du PIB, il dépense plus que ce qu’il ne reçoit de revenus via, principalement, les impôts. Il doit emprunter environ, selon les estimations de l’économiste d’ING, 25 milliards d’euros par an. Chaque année, il doit aussi payer les intérêts des obligations qui arrivent à terme. Sauf qu’il ne possède pas cet argent. Le ­gouvernement emprunte donc encore 25 milliards.

Plaire aux électeurs

L’économiste en chef de la CBC Bernard ­Keppenne résume: “Premièrement, l’État s’engage à payer des intérêts importants et augmente volontairement ses dépenses. Deuxièmement, en raison du précompte diminué, il se prive de rentrées fiscales. Au niveau financier et économique, c’est absurde”. Encourager les investissements dans les bons d’État peut avoir du sens dans certains contextes. Par exemple si un pays est à sec et ne peut pas emprunter via d’autres canaux, mais ce n’est pas le cas de la Belgique. Ou si les particuliers sont disposés à accepter des taux inférieurs aux professionnels. Ainsi, l’État réduirait les intérêts à verser. Mais ce n’est pas le cas non plus. Bernard ­Keppenne émet une autre motivation: faire pression sur les banques pour qu’elles augmentent les taux sur les comptes épargne. “C’est une vision politique à l’approche d’une année électorale. Les élus en place souhaitent manifestement capter l’épargne dormante pour en profiter un peu, mais surtout montrer aux citoyens qu’ils agissent pour qu’ils gagnent des intérêts sur leurs dépôts.” Pourtant, si les banques n’augmentent pas les taux soudainement, il y a une raison. Quand une banque a des dépôts, elle doit les couvrir. Or si les intérêts augmentent, la masse de dépôts également et les banques sont pénalisées. “La progressivité de la remontée est une poli­tique prudentielle cohérente”, résume l’économiste de la CBC.

Récompenser les possédants

Cette stratégie politique est donc électorale. Au bout du compte, les épargnants sont gagnants au détriment des banques. Du moins à titre individuel, pour ceux qui achèteront les bons d’État. Pas forcément collectivement. Si le gouvernement diminue la fiscalité, c’est-à-dire ses recettes et augmente les intérêts, c’est-à-dire ses dépenses, ça signifie qu’il se prive d’argent pour d’autres projets, d’autres investissements sociétaux à tous les niveaux (Justice, Santé, Défense, etc.). Pour compenser, le risque est que l’État finisse par augmenter les impôts. Cette orientation politique, termine Philippe Ledent, vise ­clairement un public favorisé. “Elle s’adresse aux investisseurs, aux épargnants, à ceux qui ont de l’argent. Le gouvernement récompense les personnes qui ont du capital. Or via les impôts, notamment sur le travail, ce sont surtout les autres qui en paieront le prix.”

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