Kots à Bruxelles: le calvaire des étudiants face à la hausse des prix

Victimes de loyers de plus en plus élevés, les étudiants moins aisés de l'ULB voient leur train de vie très affecté, parfois avec des cas dramatiques.

Kot à Bruxelles
Étudiant dans un kot à Bruxelles, le 18 février 2021 ©BelgaImage

On est en septembre, la rentrée universitaire bat son plein et pour un bon nombre d'étudiants, les études ne représentent pas le seul souci dans leur quotidien. Se loger dans la capitale devient de plus en plus compliqué car le prix des kots ne cesse d'augmenter. Un loyer à 450€ par mois, encore répandu il y a peu, est devenu une denrée rare, nous confie le service Logement de l'ULB qui est l'un des seuls acteurs offrant des tarifs moins élevés. Sur le marché privé, on dépasse désormais aisément les 550€. À Ixelles, où se trouvent les campus de l'ULB et de la VUB, il n'est pas rare de voir des 700-800€. Forcément, cela impacte fortement les étudiants dont les familles ne peuvent prendre en charge de tels coûts. Des conséquences parfois dramatiques et des témoignages qui montrent l'ampleur du problème.

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Des milliers d'étudiants en galère

À ULB Logement, il y a une augmentation constante du nombre d'étudiants dits «de condition modeste», comme nous le confirme Valérie Dumoulin, adjointe du vice-recteur aux affaires sociales et étudiantes, qui supervise ce service universitaire. «La période de la rentrée est très difficile pour nous parce qu'on reçoit beaucoup d'étudiants désespérés. On essaye de les aider au mieux et de travailler en collaboration avec d'autres acteurs. Mais on ne peut pas créer des kots en un claquement de doigt», nous explique-t-elle. Car de fait, l'ULB n'a que 852 lits en gestion propre, sans compter environ 5.000 autres qui sont le fruit de collaborations avec des opérateurs privés. Les premiers sont loués à partir de 260€ par mois, et les seconds à partir de 390€.

«Malgré toute la bonne volonté de mes équipes, quand il n'y a plus de chambres, il n'y en a plus», ajoute Thibault Mertens, responsable de service dans les résidences de l'ULB. «Ce phénomène arrive chaque année et en 2022, déjà en mai-juin, on n'avait déjà plus de solutions à proposer. Nous avons 850 logements pour 4.800 demandes par an. Les critères retenus dans l'attribution se veulent les plus équitables possibles mais au final, 4.000 restent donc sur le carreau».

Des étudiants en pleurs, parfois SDF

Quand l'ULB ne peut plus accueillir, il faut donc que les étudiants de cette université cherchent ailleurs. À Ixelles, les prix sont prohibitifs pour les moins aisés. Certains se dirigent vers la commune de Bruxelles mais l'autre grand pôle d'habitation, c'est Anderlecht, comme le précise Valérie Dumoulin. Là-bas, les loyers sont plus raisonnables. «Mais aucun étudiant ne veut y aller parce qu'il faut parfois une heure de transport pour se rendre au campus», constate Thibault Mertens.

Ils le constatent tous les deux: certains étudiants en viennent à devoir assumer un job à temps plein pour payer leurs kots. «Donc évidemment, leurs études ne suivent pas», se désole Thibault Mertens. «Il y en a énormément pour qui les délais d'études s'allongent, avec par exemple des masters faits en trois ans au lieu de deux pour des raisons financières. Il y a de plus en plus de situations comme ça, parfois très compliquées. Par exemple, il y a cinq ans, on n'avait à l'ULB qu'un étudiant présent dans son logement au-delà de la durée de son contrat. Cette année, on en a 37, parce qu'ils ne savent pas où aller».

Dans leurs bureaux, le désespoir de ces jeunes est déchirant. «On a parfois des files énormes devant nos bureaux avec des étudiants qui ne savent pas où loger. Il y en a énormément qui arrêtent leurs études parce qu'ils ne peuvent pas se loger. On a beaucoup de témoignages qui montrent cette angoisse et on est totalement démunis face à ces étudiants qui arrivent en pleurs». Il cite aussi le cas d'étudiants extra-européens, notamment africains, qui arrivent en Belgique sans connaissance du marché immobilier de la capitale et sans réel soutien financier, le garant (qui doit être obligatoirement cité pour étudier chez nous) étant parfois fictif. Ils croient pouvoir louer un kot pas cher à l'ULB mais découvrent une fois sur place qu'il n'y en a plus. Ne pouvant pas avoir d'aides sociales (puisqu'en théorie soutenus par un garant), il leur reste une solution: «la débrouille», explique Valérie Dumoulin. «Une fois, j'ai vu un étudiant dormir par terre à la gare», témoigne Thibault Mertens qui précise que ce n'est pas un cas isolé. «C'est assez dramatique comme situation et malheureusement, c'est de plus en plus fréquent».

Plusieurs facteurs qui poussent les prix vers le haut

Face à ce désespoir, une question: pourquoi les prix sont-ils devenus si élevés? Bien sûr, il y a la flambée des prix de l'immobilier, de l'énergie, etc. Mais dans le cas spécifique des kots, l'augmentation de la demande joue un rôle aggravant. «Le nombre d'étudiants à l'ULB ne cesse d'augmenter, avec près de 38.000 aujourd'hui contre 28.000 il y a quelques années. Vu le nombre de logements, le prix augmente en conséquence. Avec le Covid, on aurait pu croire que la demande allait baisser. Or c'est le contraire qui s'est produit. Il y a juste eu plus de turn-over dans les kots».

Panneau de l'ULB

Des étudiants devant un panneau de l'ULB, à Bruxelles ©BelgaImage

Thibault Mertens constate aussi que des propriétaires privés et des actionnaires se rendent compte de cette situation. Logiquement, quand ils voient que le voisin loue son logement sans problème à 700€ par mois, ils sont incités à faire pareil. «D'un côté ils ont raison, de l'autre cela pénalise énormément d'étudiants», dit-il.

L'ULB Logement constate aussi l'émergence de grands promoteurs immobiliers dans le secteur, alors que les propriétaires privés ont tendance à représenter une part moindre du marché. «Dans pratiquement toutes ces résidences de kots, la plupart des promoteurs font des studios, avec une cuisinette et un sanitaire privés. Forcément, c'est plus cher et aujourd'hui, ce serait l'offre majoritaire sur le marché», explique Valérie Dumoulin. Du point de vue de ces gros acteurs immobiliers, cela répond à une demande de confort de la part des étudiants, d'où également l'émergence de «kots de haut standing». L'adjointe au vice-recteur dit «ne pas avoir d'études tangibles qui permettraient de le dire», une enquête sur les besoins et les envies des étudiants étant prévue mais pas encore réalisée. Par contre, ce qui est réel, c'est que cela a un côté pratique: avec un studio, il n'y a qu'une personne responsable et donc moins de soucis de gestion. Il ne faut pas trouver qui a commis tel ou tel dégât, comme dans les colocations, ce qui peut relever du casse-tête.

«Cela dit, tout se loue. Il y a plein d'étudiants dont les parents ont les moyens et qui peuvent mettre 700€ par mois pour un kot», ajoute Thibault Mertens. Les prix à Bruxelles sont par exemple encore raisonnables pour des étudiants français qui auraient dû payer à Paris des loyers encore plus exorbitants. Or ceux-ci représentaient 12,4 % des étudiants à la rentrée 2020 de l'ULB, en hausse de 25% sur cinq ans. En cause: les difficultés à percer dans un enseignement supérieur français où les concours sont légion. Les loyers bruxellois sont également faibles comparés à d'autres grandes villes européennes ou asiatiques, et il reste possible pour les étudiants Erasmus de loger dans la capitale belge grâce aux bourses. Pour certains «kots de haut standing», les étudiants européens «représentent leur principal fonds de commerce», constate Valérie Dumoulin. «Est-ce que cela tire le marché vers le haut? Indéniablement oui. Est-ce que c'est la faute de ces étudiants? Non, ils n'y peuvent rien», précise Thibault Mertens.

«Se loger à Bruxelles est vraiment en train de devenir un luxe»

Reste que le problème reste entier. Le marché est saturé, tous les logements étant loués malgré des prix parfois mirobolants. À côté de cela, les kots de l'ULB sont trop peu nombreux pour tirer les prix du marché vers le bas, et l'université n'a pas moyen de faire pression sur les partenaires au vu de la dynamique immobilière. Puis tout cela, c'est sans compter qu'en édictant un loyer à 260€ à l'ULB, «c'est à pure perte» pour les finances de l'université, ajoute Thibault Mertens, qui parle de montants «énormes» que perdrait l'ULB de cette façon. Il cite le modèle plus tenable de la VUB, où les loyers sont plus élevés tout en restant raisonnables, calculés en fonction du coût de leur entretien, mais cela demande d'adopter une organisation spécifique. «Le problème, c'est que nous, à chaque étudiant qu'on accueille, on perd un peu plus».

Ses services sont donc impuissants face à l'envolée du coût pour les logements. «On a environ une augmentation de 8% sur les loyers et une multiplication des provisions pour charges par trois. Les prix deviennent vraiment énormes, avec certains qui atteignent 700-800€, sans forcer. Il ne faut pas se leurrer: il y a des pauvres de plus en plus pauvres, et des riches qui ont de plus en plus de moyens. Se loger à Bruxelles est vraiment en train de devenir un luxe. Je vois des kots à 600€ qui sont parfois des taudis», déclare-t-il.

En quête de solutions

Ce qu'il constate en réaction à cet état de fait, c'est l'augmentation du nombre de colocations aménagées dans des espaces non prévus pour plusieurs personnes. «Mais parfois, ça se passe très mal entre eux, alors qu'ils doivent être solidaires de toutes les dettes. C'est une forme de précarité, avec des frais de remise en état».

Alors que faire? Valérie Dumoulin cite le développement de l'AISE, un service qui négocie avec des propriétaires privés pour prendre en charge la gestion locative et donc faire baisser les prix. «À côté de cela, ce serait bien si dans le règlement régional d'urbanisme, on obligeait les promoteurs à prévoir un pourcentage des chambres à un prix social. La ville de Bruxelles le recommande mais ce n'est pas une obligation», rappelle-t-elle.

«Je pense qu'il faudrait avoir quelque chose d'un peu plus cadré avec les autorités», ajoute Thibault Mertens dans le même sens. «À certains endroits, on n'est pas loin d'histoires de marchands de sommeil. Celui qui possède un logement à Ixelles, c'est le roi du pétrole». Par contre, selon lui, ce problème se règlera moins par les politiques que par une concertation entre tous les acteurs du secteur.

«Ce système n'est pas tenable dans le temps»

En attendant, Thibault Mertens constate qu'«il n'y a pas de solution miracle». «Ce n'est pas de la mauvaise volonté de notre part, comme certains le croient, mais c'est juste que le marché est saturé. On aura beau mettre des bas prix, tous les gens autour continueront à augmenter les leurs, surtout que le prix de l'immobilier, de l'énergie, des travaux de rénovation, etc. montent aussi. C'est un tout et au final, ce sont les étudiants qui payent».

Pour lui, «ce système n'est pas tenable dans le temps». «Je suis inquiet pour l'avenir des étudiants. Je me demande comment on va pouvoir continuer à offrir un enseignement de qualité ouvert à tous dans ces conditions-là. Si un parent doit payer des kots à 650€ à deux enfants, comment faire dans le contexte actuel? Et pourtant, il faut rappeler qu'avoir un diplôme, ça compte pour réussir sa vie professionnelle. Le défi, ce sera donc de garder un accès aux études libre à tous», conclut-il.

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