
Décrochage scolaire : l’exemple inspirant d’une école unique en son genre

Le soleil joue à éclairer les grandes pièces blanches, le parquet ancien, les œuvres d’art insolites, colorées et nombreuses. Les élèves peuvent se servir un thé ou un café à toute heure de la journée au bar bien achalandé. Les toilettes sont dignes d’un restaurant étoilé. Sur un tourniquet, placé devant une magnifique bibliothèque, des cartes postales qui servent au cours de français détournent les slogans sur la société. Une carte du monde des idées reçues s’étale dans la salle d’étude. On y lit que les Belges se divisent entre des fachos et des chômeurs mangeant des frites et des gaufres alors que l’étiquette d’argent sale, l’essence et les clopes collent aux Luxembourgeois.
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Dans la salle de classe trône À la recherche du temps perdu et une horloge tournant à l’envers. Les cours de philosophie se donnent assis sur des poufs sur lesquels il s’agit de ne pas s’endormir sous peine de gage. Une petite chambre cosy, qui n’a rien à voir avec une infirmerie, accueille les élèves épuisés. Out of the box, cet endroit unique en son genre, accueille des jeunes à la dérive dans le système scolaire. Tout est beau, propre, nettoyé chaque jour. Les repas se prennent à table avec une nappe. C’est un principe de base: la propreté appelle la qualité et la sérénité. En 2015, quand le lieu a ouvert sous l’impulsion de Diane Hennebert, une mécène hors du commun, on lui avait dit que les jeunes allaient tout détruire. Il n’en a rien été. Et jusqu’ici, de nombreux jeunes ont réussi le jury central et ont pu poursuivre leur parcours. La directrice croise les doigts pour qu’il en soit toujours ainsi. “J’adore les ados avec toutes leurs contradictions, leurs fragilités, leurs rêves. Quand vous les respectez, ils vous respectent.” Trente ados à la fois sont scolarisés à Out of the box, en plein cœur d’Etterbeek, des migrants comme des aristos, tous mélangés dans cette école privée qui fait payer chacun selon ses moyens. “Je trouve important de sortir des jeunes de certains quartiers où on les laisse toujours entre eux. C’est important de leur faire découvrir des choses qu’ils ne connaissent pas.”
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Leur différence, c’est leur trésor
Ils font de la boxe et de l’histoire, de la self-défense et des langues... On est loin du programme scolaire habituel. D’ailleurs, il n’y a pas de profs mais des professionnels d’une spécialité motivés par ce projet qui renverse les codes. Pas de contrôles chiffrés mais des entretiens tous les trois mois en présence des parents où les élèves sont évalués ainsi que les enseignants. Au printemps, chaque jeune reçoit un coaching en orientation avec une psychopédagogue. “On ne les lâche plus, ils trouvent leur voie et reviennent souvent nous voir”, sourit Diane Hennebert. Les parents sont priés de se présenter tous les quinze jours à un atelier sur des questions d’éducation avec la psychopédagogue et une psychanalyste pour mener une réflexion sur tous les problèmes qu’ils rencontrent. “Les adultes transmettent beaucoup de leurs angoisses à leurs enfants, mais le principal ennemi de l’ado, c’est l’isolement”, souligne la directrice.
Chaque année, c’est un miracle. La clé, c’est la bienveillance. “Ici, on leur affirme que leur différence, leur singularité, est leur trésor alors qu’à l’école on leur dit que c’est leur problème. Cela peut être un handicap, une origine sociale, être surdoué… Pour eux, un système normatif est impossible à supporter. Quand vous donnez de la qualité à un jeune, il se sent important. À raison. L’éducation, c’est transmettre le plaisir d’apprendre.” Le rapport à la nature est aussi essentiel. Les élèves ont accès à la plus grande exploitation bio de Belgique située près de Namur. À Bruxelles, ils font du miel et plantent des arbres fruitiers dans leur verger. Et ces jeunes reviennent à la vie. L’un d’entre eux avait été tellement harcelé à l’école qu’il avait pratiquement perdu l’usage de la parole. Ici, il a appris à s’exprimer en chantant, a été nommé roi de l’école et a retrouvé l’usage de la parole. “Je me souviens quand il a pris le micro, tout le monde pleurait d’émotion. On a eu aussi une ado qui prenait plus de 20 médicaments par jour. Quand elle arrivait le matin, elle ne se souvenait même plus de son nom. Aujourd’hui, elle est en deuxième année de physique à l’ULB.”
L’envol, en montgolfière
L’important, c’est que tout se fasse en s’amusant, avec des rencontres et des surprises. Récemment, en neurosciences, un mentaliste a été invité. Out of the box a également été connecté à une institution de personnes âgées. Jeunes et aînés ont inversé leurs rôles. Une vieille dame a fait des graffitis, un autre s’est promené toute la journée avec des écouteurs. Tout le monde a beaucoup ri. “Quand je vois ce que deviennent nos jeunes, c’est comme si on nous offrait chaque fois des colliers de diamants. Ici, ils savent qu’ils sont privilégiés et donc ils bossent beaucoup. C’est le plan B idéal. À la fin, ils reçoivent un “certificat de décrochage scolaire” parce qu’ils peuvent être fiers d’être des décrochés. Et ils terminent toujours l’année en montgolfière. Symbole de l’envol.”
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Pour Diane Hennebert, Out of the box est une véritable mission même si c’est une goutte dans un océan qu’elle juge avec inquiétude. “Quand un ado présente des signes de décrochage, on l’emmène chez un psy et on lui donne parfois des médocs. Je vois arriver des jeunes qui sont comme des loques. En réalité, c’est l’école qui décroche. C’est le système qui est malade. Nous avons le 3e système scolaire le plus cher d’Europe et le 3e plus mauvais. Malgré cela, les profs contestent le fait d’être évalués. Depuis septembre, on a déjà assisté à plusieurs manifestations d’enseignants. Quand pensera-t-on aux jeunes qui sont la priorité? Il faut les réenchanter, répondre à la question “En quoi l’école peut être plus attrayante qu’une couette, que faire pour qu’ils se lèvent le matin avec joie?”... Or, l’école reste contraignante et souvent ennuyeuse.” En janvier prochain, Out of the box lancera en collaboration avec Decaux une campagne d’affichage et de sensibilisation sur le décrochage scolaire. “Pas pour nous faire de la pub, mais pour tenter d’accélérer les réformes urgentes et nécessaires.”