Quand les élèves désertent l'école : "J’entends mes élèves parler de trafics de certificats falsifiés"

Les élèves du secondaire n’ont jamais autant séché les cours. Quitte à recourir aux mots d’excuses des parents, à des certificats médicaux de complaisance, voire à des contrefaçons. État des lieux et pistes de solutions pour les rapatrier en classe.

les élèves qui ne sont pas absents en classe
Le nombre d’élèves en situation d’absentéisme scolaire a doublé en seulement trois ans. © Adobe Stock

Je débute la journée de cours avec sept élèves présents sur vingt!”, alerte Sophie, prof d’histoire-géographie dans l’enseignement général, technique et professionnel. La faute aux transports en commun? Plutôt à des pannes de réveil. “S’ils se présentent avant la fin du cours, ce n’est pas compté comme un demi-jour d’absence mais juste comme un retard. Alors ils sont de plus en plus nombreux à brosser une partie de la première heure. Tous les matins, ils arrivent au compte-gouttes, ce qui perturbe le cours chaque fois qu’un retardataire frappe à la porte.” Selon cette enseignante d’un établissement multiculturel du Brabant wallon, l’école buissonnière ferait de plus en plus d’adeptes.

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Une tendance confirmée par les chiffres. Le premier semestre 2022, plus de 23.000 élèves ont présenté au moins neuf demi-jours d’absence scolaire, rapporte L’Avenir sur base de chiffres de la ministre de l’Éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Caroline Désir. Cela veut donc dire que 2,6 % des élèves scolarisés en Communauté française sont en situation d’absentéisme scolaire. C’est 32,5 % de plus qu’en décembre 2021 et 90,5 % de plus qu’en 2019! Une désertion particulièrement alarmante dans l’enseignement secondaire. Ces chiffres records ne seraient pourtant que la partie visible de l’iceberg.

Ils épuisent leurs huit demi-jours d’absence non justifiée comme un employé le ferait avec ses jours de congé.

Ces statistiques ne concernent encore que les absences injustifiées. Rappelons que les élèves mineurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles bénéficient en principe de huit demi-jours d’absence non couverte par un certificat médical. “Ils considèrent qu’ils ont droit à ce quota, poursuit l’enseignante, et l’épuisent donc comme un employé avec ses jours de congé.” Il faudrait ensuite ajouter à ces chiffres les absences justifiées. “Combien d’élèves sont sous certificat médical? s’interroge Véronique De Thier, responsable politique de la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel (FAPEO). Et qu’en est-il des décrocheurs passifs, ceux qui sont présents en classe mais ne le sont pas vraiment? Les chiffres sont sûrement beaucoup plus conséquents que ceux annoncés.

À quel point?

Le phénomène serait surtout omniprésent dans les écoles à faible indice socio-économique. “Nous ne constatons pas de recrudescence des absences en filière générale, confirme Virginie, enseignante dans un collège réputé du Brabant wallon. On remarque une grosse perte de motivation chez nos élèves mais l’école est encore une valeur forte pour leurs parents.” On ne peut malheureusement pas en dire autant dans les filières qualifiantes et professionnelles. “Dans ces sections, j’ai au moins 10 % d’absences quotidiennes”, chiffre Sophie. Selon cette enseignante, les certificats médicaux de complaisance, forcément non comptabilisés, seraient aussi de plus en plus fréquents. “Aujourd’hui, il suffit parfois de décrire des symptômes grippaux à son médecin par téléphone pour recevoir un certificat…” Du côté des praticiens, on pointe aussi la pression de plus en plus forte exercée par les parents. “Il n’est pas rare qu’ils me demandent un certificat couvrant toute la journée alors que je reçois leur enfant à 14h30 pour un problème bénin qui ne l’empêchait pas d’aller à l’école durant la matinée”, réagit une ORL. Notons que le phénomène des faux certificats médicaux serait lui aussi en pleine expansion. “J’entends mes élèves parler de trafics de certificats falsifiés et de leur faible prix de revente, continue l’enseignante. Et l’école a déjà sanctionné plusieurs élèves pour ces fraudes.” Des trafics qui font régulièrement l’actualité, notamment en région liégeoise. Sur le réseau social Snapchat, on contacte l’un des profils spécifiquement dédiés à ces faux certificats. Preuve à l’appui, il nous propose un document falsifié qui usurpe l’identité d’un vrai médecin. Prix: 7 euros pour couvrir une semaine d’absence.

De 2017 à 2021, les plaintes pour certificats de complaisance adressées à l’Ordre par les responsables d’école ont été multipliées par 4,5. “Ce n’est à mon avis que la partie visible de l’iceberg”, commente Christian Melot, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins. Quid des faux certificats médicaux scolaires ? “Il y a de plus en plus de concertation entre les écoles et les médecins traitants afin de vérifier si ceux-ci ont bien rédigé le certificat. Si ce n’est pas le cas, on sensibilise l’élève à la gravité de cette fraude avec dépôt de plainte à l’Ordre et parfois au Parquet.” Mais l’Ordre ne constate pas d’augmentation du phénomène et les sanctions restent rares.

Absentéisme, phénomène

L’absentéisme scolaire semble en tout cas de plus en plus inextricable. Des chercheurs en pédagogie que nous avons contactés avouent même leur impuissance. “Je pense n’avoir rien à dire de très pertinent à propos de ce phénomène important, balaie l’un d’entre eux. Je préfère m’abstenir plutôt que de dire des banalités… ou des absurdités.” Pourquoi tant d’élèves font-ils l’école buissonnière? Caroline Désir ­évoque notamment la complexification des ­relations école-famille depuis la pandémie. Des enseignants nous le confirment. Les parents seraient aujourd’hui plus enclins à justifier les absences de leurs enfants, à recourir aux certificats de complaisance, à contester les sanctions et même les résultats scolaires via des recours en interne ou face à l’État belge. “Le rapport à l’école a en effet changé, et heureusement, lâche Véronique De Thier. On n’est plus au XIXe siècle. Mais rejeter la faute sur les parents est un peu facile. Et si certains font plus facilement des mots d’excuses pour leurs enfants, c’est aussi parce qu’ils prennent en compte l’état de stress dans lequel leurs ados sont plongés. Je remarque par ailleurs que l’absentéisme scolaire est stable dans les maternelles et les primaires mais explose en secondaire. Ce n’est donc pas un problème familles-écoles mais bien élèves-écoles.” Pour la FAPEO, le premier responsable de l’absentéisme et du décrochage scolaire est le système éducatif “qui relègue, trie et oriente trop souvent les élèves vers des filières qu’ils n’ont pas choisies.” Et qui n’a pas mesuré l’état de santé mentale catastrophique des jeunes à la sortie du Covid?

Les profs décrochent aussi

Le phénomène est bien entendu multifactoriel: décrochage scolaire, problèmes de harcèlement, dépendance aux écrans, surprotection parentale ou au contraire parents fantômes… Sans oublier la précarité. De nombreux élèves, issus des minorités notamment, doivent par exemple combiner études secondaires et jobs d’étudiant. Reste que l’explosion des absences est unanimement attribuée à la crise sanitaire et à la mauvaise gestion du retour en classe. “Tous les spécialistes avaient tiré la sonnette d’alarme et avaient recommandé aux écoles de prendre le temps de redémarrer progressivement pour que les jeunes se réapproprient l’espace, pour redonner du sens à l’apprentissage, constate la FAPEO. Au lieu de ça, on les a forcés à prendre le TGV en marche et de nombreux élèves qui n’avaient pas décroché avant la crise sanitaire craquent maintenant sous la charge de travail et des échecs à répétition. Il est temps de se préoccuper des jeunes, de les écouter et de leur redonner le plaisir d’apprendre.” Et puis, peut-on réellement blâmer les élèves ou leurs parents alors que l’absentéisme des profs et des éducateurs explose lui aussi? Selon le dernier baromètre du Segec (Secrétariat général de l’enseignement catholique) réalisé en janvier de l’année dernière, 14 % des enseignants et 18 % des éducateurs manquaient déjà à l’appel. Du jamais-vu.

Pour l’instant, ce sont les écoles qui luttent seules contre le décrochage scolaire.

Face aux questions parlementaires de plus en plus pressantes, la ministre a rappelé qu’un plan global de lutte contre la détresse psychologique des élèves et le décrochage scolaire est en préparation. “Enfin, pour l’instant, ce sont les écoles qui y travaillent seules, déplore la prof d’histoire-géo. C’est à nous de trouver les solutions à l’absentéisme, le décrochage, le redoublement, la perte de sens, etc. Bénévolement et sans financement. Vous savez avec quel support mes collègues le font? Des post-it! C’est très paternaliste et culpabilisant. Si on en est arrivé là, c’est forcément de la faute des profs…” Déjà validée par le gouvernement, une enveloppe de 19 millions d’euros devrait permettre de déployer rapidement ce plan.

Hausse des exclusions

Plus de 7.000 élèves belges sont renvoyés de leur école chaque année.

une élève sèche les cours

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L'année dernière, 3.516 élèves ont été définitivement renvoyés des écoles flamandes, rapporte la VRT. C’est deux fois plus que l’année précédente. Parmi eux, notons que 100 élèves de primaires ont été exclus, dont la moitié en première, deuxième et troisième années. Interpellant. Côté francophone? Les derniers chiffres sortis dans La Libre datent de 2015 et concernaient déjà 3.500 virés du côté de la Fédération Wallonie-Bruxelles. À l’échelle belge, plus de 7.000 élèves sont donc renvoyés chaque année. “La banalisation de l’exclusion scolaire définitive qui, loin d’être une ultime sanction, exceptionnelle et réservée aux seuls faits graves, est régulièrement appliquée pour sanctionner des comportements jugés difficiles ou inconvenants dans les écoles”, alertait déjà Bernard De Vos, l’ex-délégué général aux droits de l’enfant, il y a quelques années. Un phénomène qui ne semble pas s’améliorer, au contraire, et montre lui aussi que de nombreuses écoles et enseignants sont au bout du rouleau.

Quelles solutions ?

Pour lutter contre l’absentéisme, certains politiques proposent aussi de… baisser l’âge de l’obligation scolaire à 16 ans, comme le MR Pierre-Yves Jeholet, ministre-président du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. “Pourquoi obliger des jeunes à rester à l’école s’ils n’en ont pas envie ?”, lâche-t-il dans les colonnes de La DH. “Ce n’est certainement pas une bonne idée”, s’étrangle la FAPEO. Mêmes remontrances envers les projets coercitifs de la ministre socialiste de l’Éducation qui compte renforcer le contrôle des absences et systématiser les courriers recommandés aux parents et leur convocation par les directions d’école. “Que peut réellement faire le parent d’un ado de 15 ans qui reçoit un courrier un peu menaçant?” Avec le tronc commun, l’accompagnement personnalisé ou le parcours d’éducation culturelle et artistique, le Pacte d’excellence doit permettre de limiter le décrochage de manière plus systémique. “Nous remarquons d’ailleurs que de nombreux élèves en détresse se tournent vers les filières artistiques pour s’en sortir et retrouver du sens. Il faut développer ces sections mais aussi rendre l’école plus inclusive, donner la parole aux élèves, les faire participer activement, renforcer la démocratie scolaire, le sentiment d’appartenance. N’attendons pas les millions promis pour commencer à mettre en place des initiatives en ce sens.” Il y a en effet urgence. Rappelons que le Pacte d’excellence ambitionne de réduire le taux d’échec et de décrochage scolaire de 50 % d’ici 2030…

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