
Comment investir pour un monde meilleur

Placer votre argent a plus d’impact que vous le pensez. Les investissements, en effet, servent à développer l’activité économique d’une entreprise ou d’un État. Ils consomment des ressources et créent de la valeur sous forme d’emplois, de produits ou de services. Miser sur des entreprises de production d’armes à feu ou actives dans le pétrole a donc des conséquences globales sur la sécurité mondiale ou le réchauffement climatique, par exemple. Face à ce constat, il y a plusieurs écoles. Matthieu Remy, CEO de l’entreprise d’investissement Easyvest, considère que prendre des parts dans des entreprises comme Total ou Shell permet justement de placer des représentants soucieux du changement dans les conseils d’administration, et d’accélérer la transition verte desdites entreprises. Cette idée se défend. D’autres acteurs estiment que le mieux est d’éviter de financer les groupes aux activités nuisibles pour la planète, la vie humaine ou les droits fondamentaux. Bien que sa composition soit encore inconnue, le premier fonds “super-durable” de NewB devrait s’ancrer dans cette optique.
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Ni tabac, ni armes, ni dictatures
Peu importe la manière, la majorité des Belges considèrent en tout cas l’impact de leurs investissements. Dans l’Observatoire de la CBC, “Les Belges, leur épargne et les investissements durables”, publié mi-novembre, 71 % des Belges affirment que placer durablement peut être le moteur d’un changement positif tant au niveau environnemental que sociétal et économique. Cette proportion est en croissance puisqu’elle était de 59 % en 2019.
La tendance est donc réelle, mais l’Observatoire pointe une difficulté majeure: 16 % des sondés seulement estiment être assez bien, voire bien informés, sur ce type d’actifs. Chacun a un peu sa définition de la “durabilité”. La dimension environnementale revient le plus souvent dans les réponses (48 %). D’autres évoquent l’aspect social (39 %) ou économique (22 %). La CBC, explique le stratégiste senior Michel Ernst, a sa propre nomenclature. Il énumère trois types de fonds. Premièrement, les “Best in class” reprennent les meilleurs produits qui respectent l’environnement ou des thèmes sociaux comme les conditions de travail. Deuxièmement, les fonds thématiques. Il cite en exemple le KBC Water dont les composants préservent l’eau douce potable disponible sur la Terre. Troisièmement, les “Impact Investing” regroupent les entreprises qui ont un impact positif direct sur la société ou l’environnement. “On a aussi des critères d’exclusion. Tous nos fonds respectent les droits de l’homme, on n’investit pas directement dans le tabac ou les armes, ni dans des obligations de régimes controversés”, précise-t-il.
Vitrines vertes et listes noires
À chaque banque, son analyse et son degré de tolérance. Dans une optique de généralisation, la Commission européenne a adopté un paquet de mesures pour la finance verte dans le cadre des objectifs de neutralité carbone d’ici à 2050. Ce plan comprend une taxinomie dont le but est d’augmenter la transparence pour les entreprises et les investisseurs. Bref, on devrait bientôt avoir une définition plus ou moins claire de ce qui est durable ou non. Toutefois, le débat n’est pas simple, notamment autour du gaz et de l’énergie nucléaire. Un rapport sur la taxinomie verte européenne est attendu pour le 31 décembre de cette année, mais des retards sont à craindre compte tenu des désaccords de fond entre les États membres. En parallèle, une réglementation sur la transparence des produits durables est entrée en vigueur cette année. Dès qu’un actif se dit durable, il doit être classé comme “Article 8”, c’est-à-dire qu’il prend compte des critères environnementaux et de bonne gouvernance, ou “Article 9”, c’est-à-dire qu’il doit avoir un objectif durable concret. Le fonds de NewB devrait ainsi être un Article 9. Dans l’une ou l’autre catégorie, les investisseurs peuvent avoir accès à la composition des fonds. “Il y a aussi un projet d’écolabel européen, mais rien n’est encore gravé dans le marbre. Dans la finance, c’est particulièrement complexe, car les fonds évoluent. Actuellement, l’obligation est de dévoiler la composition deux fois par an. Certains le font tous les mois, et c’est mieux. De plus, d’autres produits comme la branche 23 ne sont pas soumis à cette règle”, précise Charlaine Provost, chargée de projets chez Financité.
Cette évolution législative est nécessaire, mais pas suffisante. Financité a récemment publié une étude portant sur un millier de fonds autoproclamés “socialement responsables”, mais seule la moitié a pu être analysée car la composition des autres est opaque. Sur cette moitié, 90 % comprennent au moins un actif dans la liste noire des droits fondamentaux, 29 % dans des actifs de la liste noire des armes de guerre, 72 % dans la liste noire climaticide et 50 % dans la liste noire nucléaire. “Certaines banques dites durables se retrouvent dans les mauvais élèves, par exemple parce qu’elles travaillent avec des obligations d’État américaines. Or, les États-Unis appliquent encore la peine de mort, ce qui va à l’encontre des droits humains, conclut Charlaine Provost. Ce n’est donc pas parce que la banque s’autoproclame durable qu’il faut y aller les yeux fermés.”