
Pollution de l'air: pourquoi c'est effrayant

9 millions de décès prématurés dans le monde. C’est le chiffre-choc que brandit l’Organisation mondiale de la santé concernant les conséquences de la pollution de l’air qui entraîne des accidents vasculaires cérébraux, des maladies respiratoires chroniques obstructives et des infections aiguës des voies respiratoires. En Belgique, le bilan des décès prématurés dus à la pollution de l’air ambiant est estimé à près de 9.000 par an. Cette surmortalité est en grande partie due à l’inhalation de particules d’un diamètre de 2,5 microns ou moins. La pollution de l’air est aussi reconnue cancérogène pour l’homme, augmentant le risque de développer un cancer du poumon.
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On peut s’arrêter de fumer, pas s’arrêter de respirer. “Au cours des dernières années, un nombre croissant de preuves suggère que la pollution de l’air ambiant provoque des effets néfastes à des niveaux d’exposition beaucoup plus faibles que prévu, s’alarme Alfred Bernard, toxicologue de l’UCLouvain. Les études épidémiologiques les plus récentes ont permis de déterminer avec plus de précision les niveaux d’exposition à partir desquels les particules fines, l’ozone et le dioxyde d’azote entraînent une surmortalité.” Pour se protéger de l’ozone, on peut rester à l’intérieur et puis ce polluant secondaire disparaît avec le coucher du soleil. En revanche, pour se protéger du dioxyde d’azote et des particules fines, on ne peut pratiquement rien faire. “Il s’agit de pollutions persistantes qui ne disparaissent qu’avec la pluie ou le vent. Particules fines et dioxyde d’azote s’infiltrent aussi dans les bâtiments et tout comme l’ozone, ces polluants ne sont pas arrêtés par les voies respiratoires supérieures et descendent donc dans le poumon profond”, explique Alfred Bernard.
Les améliorations en Belgique, en particulier concernant les particules fines, sont pourtant significatives. “Il y a dix ans, nous dépassions encore les seuils européens, rappelle Philippe Maetz, expert à l’Agence wallonne de l’air et du climat (AWAC). Et on n’a plus de dépassement en dioxyde d’azote des seuils européens non plus, en tout cas en Wallonie.” Les deux causes principales de la pollution de l’air viennent du trafic pour deux tiers d’entre elles, et du chauffage domestique pour un tiers. Depuis 2020, grâce aux périodes de confinement, on a observé une diminution importante des émissions. Ainsi, s’il y a eu encore des dépassements en Flandre en 2021, ce n’est pas le cas en Wallonie ni à Bruxelles. “Il reste encore quelques points très problématiques proches des grands axes de trafic. La Région wallonne va d’ailleurs installer des nouvelles stations de mesure dans ces endroits”, signale Philippe Maetz qui pointe l’ozone comme un problème persistant. Saisonnier, il s’élève l’été quand il fait chaud et ensoleillé avec des dépassements problématiques certains jours. La concentration moyenne de l’ozone dans l’air ambiant, qui se forme sous l’effet du soleil, a été multipliée par trois depuis la fin du XIXe siècle. On trouve en moyenne, toute l’année, environ 40 microgrammes d’ozone par mètre cube. En cas de pic d’ozone, les concentrations augmentent et peuvent dépasser les 200 microgrammes par mètre cube.
Le fin fond des Ardennes
Le souci? Les normes fixées par l’UE sont nettement moins contraignantes que celles recommandées par l’OMS (Organisation mondiale de la santé). L’OMS a refait ses calculs pour constater que les effets délétères pour la santé de l’air pollué avaient été sous-estimés. De nouveaux seuils ont été fixés en septembre 2021. Et nous en sommes bien éloignés encore. Et pour cause. “Il faudrait vivre dans les bois au fin fond des Ardennes pour trouver cet air pur, ironise Alfred Bernard. La pollution de l’air est nocive même à des seuils très faibles. Elle touche tous les organes à tous les âges. On constate même des impacts du dioxyde d’azote sur les poumons du fœtus mais aussi sur le cerveau.” Si l’OMS parle de 5 microgrammes par mètre cube en moyenne annuelle à ne pas dépasser au niveau des particules fines, l’Europe tolère largement 25 microgrammes par mètre cube. “Toutes les stations sont dès lors en dépassement. Toute la Wallonie est au-dessus des 5 microgrammes par mètre cube. En moyenne, on est à entre 10 et 15 microgrammes par mètre cube annuel, calcule Philippe Maetz. On est loin des normes OMS. Or, c’est ce qu’il faudrait pour préserver la santé même si les pays de l’Europe de l’Ouest ont souvent des concentrations encore plus élevées que nous.”
Les progrès belges
Depuis 2018, la zone de basse émission instaurée à Bruxelles a banni les véhicules les plus polluants. “Cette année, on a éliminé les véhicules Euro 4 diesel. On s’attend à un gain en particules fines car elles représentent 30 % des rejets en région bruxelloise. En 2025, les véhicules Euro 5 diesel seront interdits. On avance vers un parc automobile plus propre. Le gain ne sera toutefois complet qu’en 2030 quand tous les véhicules diesel seront bannis. Mais je ne pense pas qu’on atteindra pour autant les normes OMS. Pour cela, il faudrait des actions plus larges au niveau européen”, explique Olivier Brasseur en charge du Laboratoire Qualité de l’air à Bruxelles Environnement. En attendant, les logements sont de mieux en mieux isolés. Le parc de chaudières est de plus en plus alimenté au gaz qui émet peu de particules fines contrairement au bois. “Éliminer le mazout serait une bonne chose. Le must serait de passer à des chauffages avec des pompes à chaleur”, signale enfin Olivier Brasseur.
La Flandre est plus touchée que la Wallonie à cause de sa forte densité et industrialisation. Et il y a aussi un enjeu social. Les populations plus aisées vivent dans des environnements souvent plus verts et les plus précaires dans les régions plus polluées. Une récente enquête à Bruxelles montre ainsi qu’on “respire” mieux à Woluwe qu’à Molenbeek, par exemple. “Il sera très difficile d’arriver un jour aux normes de l’OMS. Il est possible d’améliorer l’air intérieur avec des filtres. Mais ce n’est pas non plus la panacée. L’OMS a proposé des valeurs intermédiaires parce que les seuils qui devraient être atteints pour préserver la santé sont impossibles à respecter. L’impact est évidemment beaucoup plus marqué en Asie qu’en Belgique où on est privilégié même si ça a quand même des impacts sur les poumons des enfants”, conclut Alfred Bernard.