Philippe Lamberts: «L'Europe a saboté son label vert avant même qu’il soit opérationnel»

Les partisans du gaz et du nucléaire ont gagné, leur énergie est reconnue comme... durable. On évoque la question avec le porte-voix des écologistes furieux.

PHILIPPE LAMBERTS
Philippe Lamberts, membre d’Écolo, est député européen. © BelgaImage

Les écolos, militants comme politiques, ont attendu longtemps la taxonomie. Derrière ce terme barbare se cache une classification des produits d’investissement verts. Sa mise en vigueur prochaine doit aider les investisseurs à identifier les projets durables en Europe. Une bonne nouvelle donc. Mais il y a un “mais”. Sous la pression des lobbys, soutenus par la France et l’Allemagne notamment, la Commission a décidé d’y inclure le gaz et le nucléaire. Un choix entériné par un vote au Parlement européen le 6 juillet dernier. Les écologistes et, grosso modo, toute la gauche européenne s’insurgent. Et préparent leur riposte, comme l’explique Philippe Lamberts, eurodéputé écologiste.

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Ce vote, c’est une défaite de l’écologie politique européenne?
Philippe Lamberts  - Absolument. L’Europe prétend toujours être à la pointe de la transition écolo­gique, mais pour le coup, elle a frelaté son propre label. Elle pouvait émettre le standard mondial en matière de classification d’investissement vert, c’est-à-dire une sorte de label bio pour les investissements privés. Mais elle a saboté son label avant même qu’il soit opérationnel.

La pression française en faveur de l’inclusion du nucléaire au sein de la taxonomie a payé...
C’est le lobby d’un seul homme, Emmanuel Macron. Soutenu par une bonne partie de la ­technostructure française qui ne jure que par le nucléaire depuis plus de cinquante ans.

Est-ce un débat idéologique?
Non. La question, c’est de savoir quelle énergie est propre et laquelle est polluante. Le nucléaire est polluant. Il n’émet pas beaucoup de CO2, mais il laisse des déchets qui durent 100.000 ans. On ne peut pas qualifier le nucléaire d’énergie verte. Nous avons voulu nous y opposer, mais il fallait 353 députés européens et on a été loin du compte. Mais certains gouvernements européens dans lesquels les Verts sont présents vont mener l’affaire en justice.

La taxonomie est-elle un bon système?
Au supermarché, on peut acheter bio ou non, mais seule la nourriture bio mérite le label. C’est la même chose. Le but n’est pas d’interdire la vente de produits financiers non verts, mais que le label soit robuste et fiable. D’ailleurs, après avoir résisté, la finance, les fonds de placement en particulier, insistait pour qu’on ne frelate pas le label. Le gaz et le nucléaire disent que si on ne les fait pas bénéficier du label vert, ils n’auront plus aucun investissement dans ces domaines. Ce n’est pas vrai. Simplement, les investissements seront payés au prix du marché. La demande de produits d’investissement verts augmente effectivement. Il est donc plus facile actuellement pour des projets verts de trouver des financements. Donc ils veulent en bénéficier.

Mais ce label est non contraignant...
Il n’est pas contraignant, mais ce sont des choses qui deviennent vite de facto des standards de marché. La dynamique de marché va se tourner vers les investissements verts et c’est pour cela que Macron pour le nucléaire et d’autres pour le gaz s’inquiètent.

Les labels de placements verts des banques belges n’ont souvent de vert que le nom...
Oui, jusque maintenant, chaque institution financière créait son propre label. Et on sait que c’est souvent bullshit. Là, c’est la première fois qu’on a un label officiel, inscrit dans la loi européenne. Pour l’instant, chacun fait ce qu’il veut et vend sa camelote en disant que c’est vert. Ces labels maison, avec des critères plus ou moins sérieux, sont voués à dispa­raître dès l’instant où vous avez un label officiel.

Greenpeace a qualifié le vote de “plus grand exercice de greenwashing de l’histoire”. Vous êtes d’accord?
Je ne veux pas faire le hit-parade du greenwashing, mais en tout cas, c’en est un de taille. Ce qui est grave ici, c’est que ce n’est pas Total qui prétend être une compagnie écolo. Ce sont les pouvoirs publics européens qui acceptent qu’on greenwashe une partie des investissements.

Quelle place a prise la Russie dans ce vote?
C’est une opportunité manquée parce qu’on va donner un coup de boost aux investissements gaziers au moment où on doit s’en affranchir. C’est ça qui est frustrant. Quand on écoute Ursula von der Leyen, elle dit elle-même que la seule façon de sortir de la dépendance à Poutine, c’est de sortir de la dépendance au fossile. Mais quand on regarde les flux financiers pour le moment, on investit moins dans notre affranchissement au fossile. Il va falloir passer par là et c’est peut-être Poutine qui va forcer l’Europe à se poser la question de son addiction au fossile, mais aussi de son gaspillage énergétique. On gaspille l’énergie comme c’est pas permis.

L’Europe prend-elle les choses en main pour s’adapter au changement climatique?
Par rapport aux périodes Barroso ou Juncker, il y a un net progrès. Mais il n’est pas assez rapide et il y a des erreurs de parcours, des fautes graves, comme la Politique agricole commune, la taxonomie ou les traités de libre-échange qu’on veut continuer à ­conclure tous azimuts alors qu’ils sont construits sur une logique pré-transition écologique.

De manière très concrète, quels investissements privilégier?
Pour boucler notre équation énergétique, on doit suivre le triptyque renouvelable-stockage-économie d’énergie. Autrement dit, il faut: réduire notre demande, consommer de l’énergie qui doit à terme être produite par le renouvelable, pallier leur variabilité dans le temps en développant des solutions de stockage et de transport.

L’Europe sera-t-elle neutre en carbone en 2050?
C’est un énorme défi. C’est notre ambition, mais il va falloir passer au braquet supérieur. On accélère le tempo mais vraiment pas assez vite. Surtout avec un vote comme celui-là.

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