Pollution: pourquoi l'eau de pluie n'est plus potable

Les PFAS, ces produits polluants éternels, tombent quotidiennement sur nos têtes. Avec des implications sur la santé publique mais aussi sur l’approvisionnement en eau.

pluie
Ces substances subsistent dans l’air et les gouttes d’eau depuis bientôt 80 ans. © Adobe Stock

Il n’y a plus un seul endroit au monde où la pluie n’est pas contaminée par les fameux PFAS (pour substances per- et polyfluoroalkylées). Ces polluants, que l’on dit “éternels” du fait du temps colossal qu’ils mettent à se désintégrer, se retrouvent aujourd’hui partout. L’annonce, basée sur une étude menée par des chercheurs de l’Université de ­Stockholm et de l’École polytechnique fédérale de Zurich, a marqué les esprits la semaine ­dernière. Pour autant, elle n’a pas surpris les ­spécialistes. En tout cas pas Marnik Vanclooster, président du Earth and Life Institut à l’UCLouvain et prof à la Faculté des bioingénieurs. “Ce sont des molécules conçues par la pétrochimie pour ne pas se dégrader facilement, précise-t-il. Avec plein d’applications dans de nombreux secteurs, donc c’est logique que dans cette activité indus­trielle, il y ait des émissions incontrôlées. Et quand cela ne se dégrade pas facilement, ça s’accumule. Sur les sols, dans la poussière… et ça entre dans les aérosols. Il n’y a rien de surprenant à ce que ces molécules entrent en contact avec la pluie, les aérosols étant la base de la création de la pluie.” Les PFAS ont ­commencé à être utilisées peu après la Seconde Guerre mondiale. Cela fait donc bientôt 80 ans que ces substances vivotent dans l’air et dans les gouttes d’eau. “Les problèmes posés par les PFAS ne vont pas se résoudre facilement. Tant qu’on n’élimine pas la production de ces polluants à la source, ça va continuer à s’accumuler dans l’environnement.

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Obligations de la Région wallonne

L’étude helvético-suédoise n’étonne pas non plus Philippe Carbonnelle, responsable de l’analyse chimie-organique à la Société wallonne des eaux. “C’est sûr que ce sont des substances que l’on retrouve partout. Elles ont été utilisées à grande échelle, dans le Téflon, dans des produits anti-feu, dans certains vêtements pour les rendre hydro­fuges… À la Région wallonne, c’est un paramètre que l’on suit.” Elle le suit d’autant plus attentivement qu’en juillet, l’Agence flamande de l’environnement signalait la présence de PFAS dans ses eaux souterraines peu profondes, avec jusqu’à onze PFAS différentes dans le même puits.

L’annonce de la contamination d’eau de pluie par des polluants “éternels” a de quoi interroger la qualité de l’eau que l’on utilise au quotidien. Marnik Vanclooster signale qu’en Wallonie, les différentes directives et les actions mises sur pied ont eu un effet sur la qualité de l’eau wallonne. “Quand on regarde l’évolution de la contamination des eaux souterraines par le nitrate, il y a eu une augmentation dans les années nonante. Et à partir des années 2000, quand des mesures ont été prises pour limiter la dispersion du secteur agricole, on observe une stagnation, voire une diminution du nitrate dans les eaux souterraines.” Bonne nouvelle.

Philippe Carbonnelle vante lui aussi la qualité de l’eau wallonne. “Sur base des législations, je pense que la qualité de l’eau est garantie en Wallonie, il n’y a aucune inquiétude à avoir. Elle est hyper- contrôlée pour l’ensemble de tous les paramètres repris dans les directives européennes. En fait, en Région wallonne, ce sont principalement des eaux souterraines qui nous alimentent. Par défaut, une eau souterraine est relativement bien protégée par la filtration qui se fait lorsque l’eau pénètre dans le sol.” Il ajoute que des législations ont été mises en place pour protéger les captages d’eau souterraine. “Il y a une stratégie pour diminuer la pollution à la source, on ne fait pas n’importe quoi aux abords d’un captage.” En Flandre, par exemple, le traitement de l’eau est nettement plus compliqué. “Ce sont souvent des eaux de surface. Et aux Pays-Bas, ils s’alimentent parfois avec l’eau de la Meuse. Ce sont d’autres types de traitements, plus difficiles.

La Région wallonne a des obligations: si l’eau devait être impropre à la consommation, les problèmes devraient être résolus dans les six heures, sinon elle serait déclarée non potable. “Mais la plupart des non-conformités proviennent à l’heure actuelle d’installations intérieures. Le fait que l’eau stagne dans vos robinets, par exemple, peut libérer des métaux qui génèrent des non-conformités. Mais qui dit non-conformité ne veut pas encore dire non potable.” Les taux de conformité selon la SWDE sont actuellement supérieurs à 99,9 %. Donc pas de quoi s’inquiéter. Dans d’autres régions du monde, la situation est évidemment différente. Sur le continent africain, le problème ce ne sont pas vraiment les PFAS. Il est déjà tellement difficile de les mesurer chez nous que la SWDE ou la Région wallonne doivent faire appel à des laboratoires sous-traitants.

Doser les PFAS demande des équipements hyper-coûteux et des techniciens hyper-formés. Alors dans certains pays du Sud, où le dosage des pesticides est déjà parfois un peu négligé, ces polluants ne sont pas la priorité. “L’Occident se préoccupe de ces questions, il y a des politiques ­environnementales qui sont rodées et acceptées par la population, signale Marnik Vanclooster. Mais ce n’est pas le cas dans d’autres régions du monde. On a des projets pour analyser la qualité de l’eau en Afrique et toutes les études qui commencent à mesurer détectent des polluants. Le problème est mal connu dans le Sud simplement parce qu’il y est très difficile de mettre en évidence les dosages de produits polluants.”

La fausse bonne idée

Lorsque nous l’avons contacté, Philippe ­Carbonnelle a rapidement mis en exergue une pratique à éviter et qui, semble-t-il, n’est pas ­marginale: la récupération de la pluie comme eau à boire via des citernes. “La récupération d’eau de pluie pour la boire est une fausse bonne idée. Elle récolte toutes les crasses du toit, de la gouttière, les bactéries, les pesticides… C’est une eau impropre à la boisson.” Si l’on veut vraiment la récupérer pour se sustenter, il faut assurer un traitement draconien et une surveillance accrue de l’installation. “Ce que la plupart des gens ne feront pas, d’autant que cela coûte très cher.” Il ajoute encore l’exemple de ces clients certains de faire une bonne affaire grâce à l’eau qu’ils récupèrent de leur source naturelle ou de leur puits. “Ils nous apportent parfois des analyses de leur eau. Pour un distributeur d’eau comme nous, c’est non conforme, parce qu’il y a des bactéries. Ils nous répondent qu’ils la boivent depuis dix ans et qu’ils n’ont rien. Mais parfois on s’immunise. C’est un peu le même principe que la tourista. Si vous avez des invités, ils tomberont peut-être malades. L’eau de pluie, c’est pour les toilettes, l’arrosage ou, à la rigueur, la lessive.

eau de pluie récupérée dans une citerne

© Adobe Stock

Comme le nucléaire

Quels effets ont les PFAS sur notre santé et sur notre environnement? Selon Marnik Vanclooster, il est encore difficile aujourd’hui d’avoir une réponse précise. Même si l’on se doute que leurs effets sont loin d’être bénéfiques. “Plein d’études ont été faites mais les résultats restent très incertains sur l’influence concrète de ces polluants sur la santé et le vivant. Il y en a une, c’est certain, mais dans quelle mesure? Ce n’est pas encore assez documenté, contrairement aux pesticides par exemple.

La problématique des PFAS est cependant bien connue des autorités publiques, et notamment des sphères européennes. Une directive est d’ailleurs censée encadrer leur utilisation. Mais elles sont tellement présentes et persistent tellement longtemps que le chemin est long. “Il y a déjà des initiatives prises par les entreprises pour éviter d’y recourir, mais il est évident que l’Europe doit encore renforcer la réglementation en la matière. Je suppose que l’autorisation de ces molécules sera bientôt réévaluée sur le marché européen. Comme on peut le voir pour les pesticides, où des méthodologies ont été mises en place pour réévaluer leur impact sur l’environnement, sur la santé ou sur les animaux.”

Vient enfin la question de la dépollution. Le traitement des eaux en Wallonie permet un respect quasi constant des normes de potabilité. Mais à l’échelle planétaire, il est évidemment impossible de traiter toutes les masses d’eau. “Le traitement des eaux et des sols pollués reste très ­compliqué. Il y a beaucoup de techniques pour les dépolluer, mais elles ont leurs limites, en termes de performances mais aussi de prix. Cela coûte très cher.” Autrement dit, si l’on veut revenir à un niveau de qualité d’eau préindustriel, il faudra se baser sur la dégradation naturelle. Et pour les PFAS, cela prendra beaucoup de temps. “La première chose à faire est de mieux cartographier la pollution des eaux souterraines dans l’espace et dans le temps, et en fonction de ça, éventuellement pomper des eaux moins polluées et laisser le temps aux substances de se dégrader dans les eaux polluées. C’est un peu comme la problématique des déchets nucléaires.

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