Et si on taxait les ultra-riches pour diminuer les injustices climatiques (et réduire la pauvreté) ?

Selon une étude du Laboratoire sur les inégalités mondiales (World Inequality Lab), le 1 % le plus riche de la population génère à lui seul plus de gaz à effet de serre que la moitié la plus pauvre de la planète.

Et si on taxait les ultra-riches pour diminuer les injustices climatiques (et réduire la pauvreté) ?
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Tout le monde pollue, mais certains polluent beaucoup plus que les autres. C’est ce que montre en substance le rapport publié cette semaine par le Laboratoire sur les inégalités mondiales (World Inequality Lab). Cet institut de recherche rattaché à l’Ecole d’économie de Paris et à l’université de Californie à Berkeley a mené une vaste étude sur les inégalités climatiques, en prenant en compte au niveau mondial la consommation de biens et services, ainsi que les investissements.

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Concrètement, les 10% les plus riches de la planète contribuent à près de la moitié (48%) des émissions de gaz à effet de serre. La moitié la plus pauvre ne participe, elle, qu’à 12% de ces émissions. Quant aux 1% les plus riches, ils sont responsables de près de 17% des émissions annuelles.

Les plus pauvres subissent l'essentiel des coûts liés au réchauffement climatique

Si les inégalités historiques entre pays restent importantes, (l’empreinte carbone moyenne d’un Américain reste dix fois supérieure environ à celle d’un Indien), le rapport souligne que les inégalités se creusent aussi au sein des pays, en fonction des différentes classes de revenus. L’empreinte carbone des 10 % les plus riches d’Amérique du Nord (la plus élevée du monde, avec 69 tonnes d’équivalent CO2 par personne et par an), est presque six fois plus importante que celle des 50% les plus pauvres dans cette région (10 tonnes de CO2). En Europe, l’écart est aussi significatif : 29,4 tonnes pour les 10% les plus riches, 5 tonnes pour les 50% les plus pauvres.

Il faudrait réduire l’empreinte carbone à 1,9 tonne par personne en 2050 pour garder l’espoir de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C à la fin du siècle, note le rapport.

Or, si l’essentiel des émissions de gaz à effet de serre est généré par les plus aisés, les plus pauvres, moins responsables, restent les plus touchés par le dérèglement climatique ; la moitié la plus pauvre de la population mondiale subit ainsi 75 % des pertes de revenus liées aux impacts du changement climatique, selon le World Inequality Lab.

 

Une pierre deux coups

«Notre rapport montre qu’il y a une triple crise des inégalités climatiques – inégalités des émissions, des pertes entraînées par le réchauffement et des capacités d’agir –, et que la richesse mondiale contribue trop peu à résoudre la crise climatique», résumait pour Le Monde l’économiste Lucas Chancel, codirecteur du World Inequality Lab (avec son confrère Thomas Piketty, entre autres). «L’idée n’est pas de blâmer les riches ou d’absoudre les pauvres. Il s’agit de mieux comprendre quels groupes seront les gagnants et les perdants de la transition énergétique, afin de l’accélérer».

Dans leur rapport, les auteurs plaident pour revoir la fiscalité mondiale, notamment en taxant les plus riches, afin de faire d’une pierre deux coups : accélérer la lutte contre le changement climatique et réduire la pauvreté.

 

Deux versions d’une taxation des « ultra-riches » sont évoquées. La plus «light» ne concernerait que les 0,001 % les plus riches, avec une taxation du patrimoine au taux de 1,5 % (un taux qui augmenterait pour les plus gros patrimoines). De quoi récolter 295 milliards de dollars par an, ont calculé les économistes du World Inequality Lab.

Le deuxième régime proposé consisterait à taxer le patrimoine à partir d’une valeur nette de 5 millions de dollars (au lieu de 100 millions de dollars, donc). Les 0,1 % plus riches de la population mondiale seraient alors concernés. Ce qui rapporterait un joli pactole : 1100 milliards de dollars. Conjugués à une taxe sur le transport aérien (qui récolterait de132 à 392 milliards de dollars), ces nouveaux prélèvements permettraient, au niveau mondial, d’approcher les besoins de financement des pays en développement (1800 milliards, en 2030).

Libérer un budget carbone pour les plus pauvres

Selon les auteurs du rapport, l’idée selon laquelle la lutte contre le réchauffement dans les pays riches n’aurait pas de poids (vu l’essor des classes moyennes dans les pays en développement) est fausse. «C’est une manière de se déresponsabiliser et de se déculpabiliser», commentait Lucas Chancel dans Le Monde. Selon le rapport, lutter contre la pauvreté en permettant à toute la population mondiale de vivre avec au moins 3,20 dollars (2,95 euros) par jour entraînerait une hausse des émissions de 5 % seulement.

En étant un peu plus ambitieux (5,50 dollars par jour, de quoi améliorer le quotidien de 3 milliards de personnes), les émissions grimperaient de 18%. Pour rappel, cela correspond au même ordre de grandeur que les émissions du 1 % le plus riche ou qu’un tiers des émissions des 10 % les plus riches. Pour le World Inequality Lab, «réduire l’empreinte carbone du sommet permettrait ainsi de libérer un budget carbone pour sortir les gens de la pauvreté».

 

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