
Crise climatique et environnementale: 7 des 8 points de bascule déjà dépassés
L'humanité joue-t-elle avec le feu vis-à-vis du réchauffement climatique et de la destruction de l'environnement? La réponse est clairement oui, à en croire une étude publiée ce 31 mai 2023 dans la revue Nature et à laquelle ont pris part pas moins d'une quarantaine de scientifiques. Intitulée "Des frontières sûres et justes pour le système terrestre", elle a pour but de déterminer quelles "limites du système terrestre" (LST) il ne faut pas transgresser afin de "maintenir la résilience et la stabilité du système terrestre, et minimiser l'exposition à des dommages importants pour les humains dus au changement du système terrestre" (mortalité en hausse, famines, migrations climatiques, etc.). Au final, les chercheurs en ont identifié huit. La mauvaise nouvelle, c'est que sept d'entre elles ont déjà été dépassées à l'échelle mondiale. Pour éviter que le dernier point de bascule connaisse le même sort, ils appellent aujourd'hui à des "transformations systémiques dans les secteurs de l’énergie, de l’alimentation et de l’urbanisme".
Une seule LST encore dans la "zone de sécurité"
Pour représenter cet état de fait, l'étude a représenté ces huit LST sur un graphique circulaire, avec une "zone de sécurité" (au centre) et une "zone de danger" (excentrée). Les limites identifiées sont les suivantes: le climat, l'intégrité des écosystèmes naturels, la fonctionnalité des écosystèmes dans les zones d’activités humaines, l’eau potable de surface, les sources d’eau souterraines, les niveaux d’azote et de phosphore dans l’environnement, et les polluants atmosphériques. Les scientifiques ont ensuite placé des curseurs pour montrer la situation actuelle vis-à-vis de chacune de ces LST.
Bilan: sept curseurs sur huit se situent dans la "zone de danger", au-delà de la limite désignée. La seule LST qui n'a pas été franchie, c'est celle des polluants atmosphériques. Bien que ceux-ci dépassent la norme établie dans certaines régions du monde, ce n'est pas encore le cas au niveau mondial.
#JustPublished🌏! | The boundaries for "a just world, on a safe planet" have been quantified for the first time by a coalition of 40 researchers including @fadeclerck.
📄 Read the @SafeJustPlanet study in @Nature 👇https://t.co/3oiAITDM7U pic.twitter.com/HsfOso3MaL
— Alliance of Bioversity International and CIAT (@BiovIntCIAT_eng) June 1, 2023
Des seuils parfois outrepassés de loin
Concernant les limites déjà franchies, les chercheurs constatent déjà les dégâts. Pour le climat, l'étude a établi qu'il fallait limiter le réchauffement à 1°C par rapport à l’ère préindustrielle pour éviter que l'humanité et plus largement l'environnement planétaire se subissent de lourdes conséquences. Une mission ratée puisque le thermomètre affiche déjà 1,2°C supplémentaires et que la barre des 1,5°C devrait être franchie (sauf en cas de réduction drastique des gaz à effet de serre d'ici 2030).
La situation la plus préoccupante concerne les niveaux d’azote et de phosphore dans l’environnement. À cause de l'agriculture intensive, les relevés actuels sont déjà largement au-dessus des seuils de sécurité établis par les scientifiques. Les conséquences sont déjà bien visibles: prolifération des algues, effondrement de la pêche, pollution des eaux de surface et souterraines, etc.
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Au niveau de la biosphère, les limites étaient les suivantes: préserver au moins 50-60% d’écosystèmes intacts sur la planète ainsi que 50-52% d’écosystèmes fonctionnels dans les zones habitées. Dans bien des régions du monde, ces seuils ne sont pas respectés. À l'échelle planétaire, seuls 45% des écosystèmes naturels subsistent. Les pesticides s'accumulent désormais dans l'environnement, la qualité de l'eau baisse, des maladies apparaissent plus facilement, les récoltes sont moins bonnes, la déforestation et l'agriculture intensive s'étendent toujours plus, etc.
Enfin, du côté des ressources en eau, l'étude établit que le débit naturel des cours d'eau ne devrait pas être modifié à plus de 20%, afin que les besoins environnementaux ne soient pas menacés. Aujourd'hui, ce pourcentage est déjà de 34%. Quant aux eaux souterraines, il faudrait dans l'absolu ne pas en prélever davantage que la reconstitution naturelle des stocks. Dans la pratique, 47 % des bassins dans le monde s’épuisent à un rythme alarmant, ce qui "met en péril la production agricole et peut entraîner un affaissement irréversible des sols", constatent les chercheurs.
Des régions du monde plus touchées que d'autres
Pour terminer, l'étude a représenté sur une carte du monde les zones de la planète où les LST ont été dépassées. Le pire a été constaté en Asie du Sud-Est, notamment dans les pays riverains du Golfe de Thaïlande, où certaines zones cumulent sept LST franchies. Ailleurs sur le continent asiatique, les bassins du Gange, de l'Indus et du Fleuve Jaune sont eux aussi très affectés, ainsi qu'à moindre mesure une bonne partie du Moyen-Orient. En Europe, plus on va vers l'est et pire c'est, le bonnet d'âne revenant à certaines régions de Russie et de Turquie. La vallée du Pô fait également figure de mauvais élève. À l'inverse, de nombreuses régions de Scandinavie ne dépassent aucune LST. En Belgique, 2-3 limites ont été franchies.
Au vu de ces conclusions, l'auteur principal de l'étude, Johan Rockström, juge que ces "résultats sont assez préoccupants". Il constate que "plusieurs frontières, à l’échelle mondiale et locale, sont déjà transgressées, ce qui signifie qu’à moins d’une transformation rapide, il est très probable que des points de bascule irréversibles et des impacts étendus sur le bien-être humain soient inévitables".