
"Sécheresse éclair": quel est ce phénomène appelé à devenir plus fréquent à l'avenir?

Alors que la pluie ne cesse de s'abattre sur l'Italie et l'Espagne, le soleil brille une fois que l'on remonte au-delà de la Loire. Depuis la mi-mai, un énorme anticyclone s'est calé sur l'Europe septentrionale et ne se montre pas décidé à partir, d'où la météo estivale qui y règne. Une bonne nouvelle diriez-vous? Peut-être pour les vacanciers et les glaciers, mais pour la végétation, le ton est tout autre. Dans la moitié nord du continent, le temps est devenu brutalement si sec que l'on parle désormais de "sécheresse éclair". Un phénomène qui ne se produit que dans des conditions si précises qu'il se produit assez rarement, du moins pour l'instant. Car avec le réchauffement climatique, la donne pourrait bien changer.
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Une bise qui fait mal
Si l'expression "sécheresse éclair" est employée, c'est à cause de la conjonction entre le régime des vents et le taux d'humidité dans l'air. Ainsi, dans le cas actuel, le vent souffle globalement à moins de 50 km/h, et l'humidité n'est que de 20 à 30%. En conséquence, le sol se dessèche très vite. Il n'a suffit que de deux semaines pour que celui-ci se retrouve complètement asséché.
[Thread] Le nord 🇪🇺 subit actuellement une sécheresse éclair, caractérisée par une forte ↗️ de l'évapotranspiration : ensoleillement, pas de 🌧️ & un vent continu desséchant. L'indice humidité des sols 40cm est passé d'excédentaire à largement déficitaire.
Explications 👇
1/5 pic.twitter.com/2kXM9hMAvd— Dr. Serge Zaka (Dr. Zarge) (@SergeZaka) June 1, 2023
Petite précision: des services météorologiques comme Météo-France restent prudents sur l'utilisation du terme qui vient de l'anglais "flash drought". Ils évitent ainsi de parler de "sécheresse éclair". Mais de fait, ce phénomène est quand même assez notoire pour être commenté. C'est ce qu'a fait François Jobard, météorologue à Météo-France, sur son compte Twitter. Il y précise que la faute revient à la bise, qui représente "le plus sec parmi les vents", d'où cette "évapotranspiration potentielle au maximum". Les pluies du début du printemps n'ont pas suffit pas à contrebalancer cet effet. Sur le graphique climatique de la ville de Nancy, en Lorraine, les conséquences de cette sécheresse sont directement visibles, avec une courbe qui dérive brutalement de sa position ante quem.
Au nord, avec le soleil de mai/juin très puissant, avec la bise, le plus sec parmi les vents, des taux d'humidité parfois <30 % en journée, les sols s'assèchent rapidement, évapotranspiration potentielle au max. Les sols assez humides avril/mai s'assèchenthttps://t.co/yQZLPnw07i pic.twitter.com/PqVFqXVWf4
— François Jobard (@Francois_Jobard) June 1, 2023
C'est grave docteur?
Heureusement, avant l'arrivée de cette "sécheresse éclair", la Belgique était bien préparée. Les pluies des mois précédents avaient permis de retrouver une "situation optimale" dans les barrages-réservoirs et de "bons débits" dans les cours d'eau, voire "supérieurs à la médiane", selon le dernier bilan des autorités wallonnes daté du 17 mai. Même les eaux souterraines étaient à un niveau normal. Jusqu'à aujourd'hui, l'indice de sécheresse de l'IRM (Institut royal météorologique) frôlait la catégorie "humide". Avec ce brusque retournement de situation, son graphique de prévisions prévoit un plongeon vers la catégorie "sec", mais la situation devrait malgré tout rester "normale", du moins jusqu'à la mi-juin.

©IRM
En France par contre, c'est une autre histoire. Le début de l'année s'est montré globalement moins pluvieux et aujourd'hui, les conséquences se font ressentir. Selon la carte de l'Hexagone réalisée par le ministère de la Transition écologique, certaines zones sont déjà placées en "alerte renforcée", notamment dans le département de l'Oise (Picardie), alors qu'une bonne partie du nord de la France est en "vigilance". Comme le précise l'agroclimatologue Serge Zaka sur Twitter, il y a "peu d'impact sur les cultures d'hiver pour le moment mais par contre, cela peut poser des problématiques de développement pour les nouveaux semis : pomme de terre, betterave, maïs, etc". La situation n'est pas aussi chaotique que dans certaines régions du Sud, comme dans le Gard et les Pyrénées-Orientales qui sont en "crise" de sécheresse, mais la situation est préoccupante vu que l'été n'a même pas commencé.
Le pire serait-il à venir?
Reste que le plus inquiétant, c'est peut-être pour le plus long terme. Ces "sécheresses éclair" sont en effet appelés à devenir de plus en plus récurrents avec le réchauffement climatique. C'est déjà en partie une réalité à en croire une étude publiée dans Science. Celle-ci note en effet que depuis les années 1950, ces phénomènes se sont accélérés et intensifiés dans les trois quarts des régions du monde. Pas de chance pour nous: l'Europe est particulièrement visée (aux côtés de l'Amazonie, du nord de l'Asie, de l'est et du nord-ouest de l'Amérique du Nord, ainsi que du sud de la Chine).
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Selon les scénarios climatiques les plus probables (SSP 2,5-4), la proportion de ces sécheresses éclair pourrait augmenter de 15-20% entre 2050 et 2100. Face à ces changements rapides, les écosystèmes pourraient avoir du mal à s'adapter. Si les plantes peuvent tenir le coup fasse à des sécheresses classiques, ces événements particulièrement brusques pourraient changer la donne. L'auteur de l'étude, Xing Yuan, hydrologue à l’université des sciences et technologies de l’information à Nankin, s'avoue en l'état dans l'incapacité de prédire si la faune et la flore pourront tenir le choc ou pas dans les régions les plus exposées.