
La transition écologique manque d'experts : "Le problème est crucial"

À Mons, la situation n’est pas catastrophique. Mais l’échevine de la Transition écologique Catherine Marneffe admet les difficultés à recruter “des architectes ou des experts en techniques spéciales”. La pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans le domaine de l’environnement touche de très nombreuses communes. Au point que Marek Hudon, prof à Solvay et à la Sorbonne et directeur du Centre d’études économiques et sociales de l’environnement s’interroge sur notre capacité à atteindre les objectifs climatiques à échéance. C’est-à-dire la neutralité carbone en 2050 et la réduction de 35 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.
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Un rapport en particulier a mis le doute dans tout le secteur. Les experts de la European Investment Bank ont sondé anonymement 744 municipalités de l’UE, dont 31 belges. La conclusion est claire: 69 % d’entre elles manquent d’experts possédant des compétences en matière d’évaluation climatique, ce qui pose un grave problème pour la mise en œuvre de programmes d’investissement locaux. Sur le terrain, Catherine Marneffe en subit les conséquences. “Peu de candidats se présentent ou alors ils n’ont pas le profil, les compétences. On vient d’embaucher une jeune dont le travail est de réaliser le bilan des émissions de CO2. On a eu de la chance, pour une fois...” La commune mène à bien de nombreux projets. L’échevine évoque entre autres celui de la rénovation des écoles. Toutes devraient être équipées de panneaux photovoltaïques d’ici la fin de la législature. “On y arrive grâce à la bonne volonté des équipes, car en raison du manque de personnel spécialisé, la charge de travail se reporte sur ceux déjà en place. Parfois, ça devient difficile de répondre à des appels à projets.”
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Des jeunes et des compétences
Le défi ne touche pas seulement le secteur public. Une grosse part du travail doit être faite sur la rénovation énergétique des bâtiments. Certes, elle peut être encadrée par une politique d’octroi des permis de bâtir ou de rénovation, mais elle est souvent d’initiative privée. Actuellement, le taux de rénovation du bâti tourne autour de 1 % par an. Pour atteindre les objectifs, il est indispensable de passer à 2 ou 3 % par an. “Les échéances des politiques européennes de transition, c’est pratiquement demain. Il faut donc changer la vitesse de rénovation de façon drastique. Pour cela, on a besoin de main-d’œuvre. Or on en manque. Les objectifs ne seront jamais atteints sans la réduction des émissions des bâtiments. Le problème est crucial. Déjà aujourd’hui, des techniques de rénovation pourraient être améliorées”, commente Marek Hudon. Et c’est valable pour tous les secteurs, du logement à la mobilité en passant par la végétalisation des espaces.
Ce ne sont pourtant pas les travailleurs qui manquent. Le taux d’emploi des 18-64 ans n’est que de 71,5 %. La transition pourrait donc être une aubaine pour l’emploi (lire encadré). “Encore faut-il que les personnes disponibles aient les compétences nécessaires pour remplir le cahier des charges des jobs à pourvoir. C’est le principal enjeu mais je ne suis pas très inquiet, rétorque Éric Monami, conseiller à la Fédération des énergies renouvelables Edora. Il faut former les personnes inactives ou les jeunes, mais aussi les personnes actuellement embauchées dans des secteurs générateurs d’émissions de CO2. Heureusement, je constate que les jeunes cherchent du sens au travail, et les métiers de la transition sont porteurs de sens.”

© Kanar
Tout le monde n’est pas aussi optimiste. Au total, près de la moitié des emplois existants en Belgique sont concernés par la transition d’une manière ou d’une autre. Selon les experts à l’origine d’une large étude du SPF Environnement, face à cette problématique, il faudra d’une part augmenter le rythme des formations au cours de la carrière et, d’autre part, se tourner vers l’immigration pour lutter contre une pénurie d’emplois qualifiés.
Une autre difficulté majeure se pose: pour l’heure, entreprises et industries se contentent pour la plupart de s’aligner sur les directives européennes et les politiques nationales. Celles-ci s’avèrent pourtant insuffisantes et, à un moment donné, une accélération des ouvrages sera nécessaire. Au point de connaître un embouteillage des besoins de main-d’œuvre déjà limités au moment où tout le monde sera contraint et forcé d’agir? “Si une accélération soudaine se produit, effectivement, il va y avoir un risque d’embouteillage, répond Marek Hudon. Si tout le monde appelle les experts en isolation en même temps par exemple, la transition deviendra inégalitaire. D’un point de vue économique, si la demande augmente et que l’offre est limitée, les prix augmenteront fortement. Dans ce scénario, la transition serait un désastre social au point que pour le grand public elle pourrait devenir inacceptable. Pour lutter contre cela, il faut de la progressivité et prévoir des mécanismes de compensation pour permettre à tout le monde de mener à bien les adaptations.”
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Les limites de l’argent
Mais il y a d’autres bâtons dans les roues de cette transition à marche forcée. “À la ville de Liège, les difficultés sont surtout financières. Même si on trouve de la main-d’œuvre, ce qu’on parvient à faire pour le moment, encore faut-il pouvoir l’embaucher”, explique l’échevin de la Transition écologique Gilles Foret. “On a connu ces derniers temps de mauvaises surprises en raison de l’indisponibilité de matériaux de construction et de la hausse des prix. Certains budgets votés sont devenus insuffisants. Les modifier est parfois impossible. Alors on perd un an”, ajoute Catherine Marneffe. Sans parler de la lenteur des procédures. “En raison des différents niveaux de pouvoir, des différents fonds, des appels à projets... des choses simples prennent parfois du temps. Une simplification serait la bienvenue. Dans les directives, mais également dans l’état d’esprit des acteurs, dans les mentalités”, termine le Liégeois. Ces dernières problématiques ne sont pas des cas particuliers. Selon l’étude de l’EIB, environ 80 % des municipalités estiment que le manque de financement, la durée des processus réglementaires et l’incertitude à l’égard de la réglementation constituent des obstacles.
Autant dire que si la transition est bel et bien en cours, le plus dur du processus reste à venir. “Certains choix sont vraiment incompréhensibles, conclut Marek Hudon. Par exemple, le fait que le projet de réforme fiscale prenne aussi peu en compte la transition. Pas pour taxer plus les citoyens et les entreprises, mais pour taxer mieux. Mais ce n’est pas perdu d’avance. La prise de conscience a eu lieu. Maintenant, il faut de la cohérence dans le monde économique et politique.”