
Réchauffement climatique : faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver le climat?

Les pays du monde entier doivent faire "beaucoup plus, maintenant, sur tous les fronts" en matière de lutte contre le changement climatique, selon un premier bilan de la mise en œuvre de l'accord de Paris de 2015, publié la semaine dernière par l'ONU à l’approche de la COP28. Pour arriver aux objectifs de l’accord de Paris, faut-il arrêter d’avoir des enfants ?
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Stop à la procréation ?
Le statisticien Paul Murtaugh et le climatologue Michael Schlax avaient estimé en 2009 que la naissance d’un seul enfant dans un pays à fortes émissions générait autour de 10.000 tonnes de CO2 supplémentaires dans l’atmosphère.
« Tout comme la surconsommation, la procréation est un acte par lequel vous produisez sciemment plus d’émissions de carbone qu’il n’est éthique de le faire. Suivant ce raisonnement, si nous condamnons la surconsommation, alors nous devrions être cohérents et tiquer également lorsqu’il est question de procréation », écrivent Martin Sticker (Université de Bristol) et Felix Pinkert (Université de Wien), deux philosophes spécialisés dans l’éthique dans The Conversation.
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Stigmatisation
Si l’idée qu’avoir des enfants équivaut à une surconsommation gagne du terrain chez les militants, certains scientifiques et spécialistes en éthique, proposer des limites à la taille des familles reste problématique. A commencer par la stigmatisation : « Poser une limite à la taille des familles pourrait impliquer que certains groupes, qui ont, ou sont perçus comme ayant, plus d’enfants que la moyenne, sont à blâmer pour le dérèglement climatique. Ces groupes sont généralement des minorités ethniques et des personnes défavorisées sur le plan socio-économique », expliquent les deux professeurs. Le fardeau pourrait également retomber sur les épaules des femmes en particulier : « Certes, ces inquiétudes ne concernent pas directement les obligations morales réelles qui nous incombent en matière de réduction des émissions. Mais elles mettent en évidence la nature délicate du débat sur les limites éthiques de la procréation ».
La responsabilité des parents ?
Ensuite, peut-on considérer que les parents sont réellement responsables des émissions générées par leurs enfants ? Les parents pourraient avoir une certaine responsabilité dans les émissions générées par leurs enfants mineurs, ainsi qu’une part de responsabilité lorsque ceux-ci deviennent adultes, mais pas lorsque les émissions sont superflues, ni quand elles sont générées par leurs petits-enfants et les générations suivantes.
« Ainsi décomposée, l’empreinte carbone de la naissance d’un enfant est beaucoup moins importante et ne se distingue plus des autres choix de consommation. Selon une estimation qui suit cette logique, chaque parent est responsable d’environ 45 tonnes d’émissions de CO2 supplémentaires. Cela équivaut à prendre un vol transatlantique aller-retour tous les quatre ans de sa vie », ajoutent Martin Sticker et Felix Pinkert.
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Des effets trop lents
Pour respecter les objectifs de l’accord de Paris, l'humanité doit "réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 43 % d'ici à 2030 et de 60 % d'ici à 2035 par rapport aux niveaux de 2019", et atteindre la neutralité carbone en 2050.
La limitation de la procréation serait donc une fausse solution, car les effets seraient tout simplement trop lents : « Les réductions d’émissions qui en résulteront ne prendront effet que sur une période beaucoup plus longue. Ce n’est tout simplement pas là qu’il faut chercher les réductions d’émissions que nous devons réaliser maintenant ».
Action collective
Selon les deux philosophes, les émissions par habitant doivent drastiquement et rapidement diminuer « mais cela ne dépend pas uniquement du pouvoir des consommateurs individuels ou des futurs parents ».
La responsabilité ne doit pas seulement venir des individus, mais aussi des sociétés, des institutions et des entreprises. Comme le rappelle d’ailleurs le dernier rapport de l’ONU, l'atteinte de la neutralité carbone nécessitera le développement des énergies renouvelables ainsi que la sortie de toutes les énergies fossiles sans captage de CO2.
« Les arguments philosophiques suivant lesquels nous devrions avoir moins d’enfants remettent en question notre compréhension de ce que la moralité peut exiger à l’ère du dérèglement climatique. Ils remettent également en question le fait que les choix les plus significatifs que nous puissions faire en tant qu’individus soient de simples choix de consommation (par exemple, devenir végétarien). Mais le débat philosophique sur l’obligation d’avoir moins d’enfants est complexe et reste ouvert », concluent les deux philosophes.