

Élise a 53 ans, travaille à temps plein et élève seule deux enfants. Le tribunal a condamné son ex à payer 100 euros par enfant et la moitié des frais extraordi-naires. Il n’a jamais rien déboursé. Élise a voulu faire appel au Secal, le service des créances alimentaires. Mais ses revenus dépassent de 13 euros les 1.800 euros, soit le plafond autorisé pour recourir à ce service public qui avance les sommes dues avant de chercher à les récupérer. “Il (le père) n’intervient pas par vexation. Il a dit au tribunal que je n’aurai pas un centime pour les enfants.” Depuis que le papa a une compagne, il ne voit plus ses enfants, qu’il avait en garde alternée. “Ils sont aux études et j’ai tous les frais à ma charge, soupire Élise. Si j’étais au chômage, j’aurais droit à une avance. Ce que je vis, c’est comme une double peine. C’est financier et psychologique.”
Sofia vit une situation similaire. Elle parle de sa “montagne de problèmes” avec les larmes aux yeux. Monsieur a organisé son insolvabilité, elle travaille dans l’administration. Elle estime être devenue une travailleuse pauvre: ses revenus dépassent les limites fixées par les lois pour bénéficier d’aides. “Le Secal fait du tri alors que ça devrait être un droit de l’enfant. En plus, après cinq années sans payer, la dette s’efface. En attendant, mon fils ne pourra pas partir avec son club de foot à Barcelone, c’est le seul à ne pas pouvoir parce que ça coûte 650 euros.” Sofia est solidaire des dettes accumulées par son ex. Cela lui ferme toutes les portes. Elle a été victime de violence et on lui a conseillé d’engager un détective privé. Mais elle n’en a pas les moyens. “Il fait le mort et ça marche. J’en veux à la justice parce qu’elle ne peut s’appliquer dans la vraie vie.”
Je veux éviter à d’autres de tomber dans l’enfer que j’ai vécu.
Prénommons-la Julie. Elle a 42 ans et deux enfants de 13 et 14 ans. Elle se bat depuis dix ans pour que le père contribue financièrement pour les enfants. Elle vient d’avoir une réponse positive du Secal. Elle se bat aujourd’hui pour que ce fonds supprime ce plafond excluant une série de parents qui travaillent. “On ne divorce pas de ses enfants, dit-elle. Je veux éviter à d’autres de tomber dans l’enfer que j’ai vécu. Je dois assumer les états d’âme de mes enfants avec un papa qui les a abandonnés. Je suis mère et père à la fois. C’est trop facile pour ces pères qui nous laissent tout sur les épaules.” Elle explique que son ex s’est déclaré insolvable pour ne pas payer pour ses propres enfants. Il l’aurait aussi battue, elle l’a quitté pour ça. Il a été condamné à payer 188 euros par enfant, mais ne s’est jamais exécuté.
“La pension alimentaire, ce n’est pas mendier. Ce n’est pas la charité. C’est pour mes enfants, dit-elle, désespérée. Parce qu’on travaille, on est privées de toute aide. La solution, c’est quoi? D’aller au CPAS? Moi, ça me tient debout d’avoir encore un travail.” L’ex de Julie n’a plus vu ses enfants depuis quatre ans. “Il ne s’inquiète même pas qu’ils aient un toit pour dormir ou à manger. Je ne sais pas combien de temps je vais encore tenir. Mon urgence, ce sont mes dettes et mon loyer. Pas de cinéma ou de vie sociale pour mes enfants.” Pour elle aussi il s’agit d’une “double peine”: “On obtient un jugement et puis il n’est pas appliqué”.
Ces mamans, avec des dizaines d’autres, ont lancé une pétition pour faire sauter le plafond du Secal. Toutes bricolent entre leur job, des dettes, un parent très souvent complètement absent. Et beaucoup de douleur. La pension alimentaire est un droit inscrit dans la Constitution. “Malgré cela, beaucoup ne sont pas honorées. Et ce sont principalement les femmes qui en souffrent: plus de 90 % des dossiers introduits au Secal le sont par des femmes pour la pension alimentaire de leurs enfants”, explique Vie Féminine. En 2018, 3.762 dossiers ont été introduits au Secal pour un montant total de près de 30 millions d’euros. Mais le Secal rencontrerait de nombreuses difficultés dues à un manque de moyens humains et financiers. Les demandes seraient traitées avec retard. Les bénéficiaires auraient du mal à entrer en contact avec les gestionnaires de dossier et la récupération des arriérés pour les bénéficiaires dont les revenus ne per-mettent pas de recourir au service d’avances serait également inefficace. C’est une grosse faille, sachant qu’aujourd’hui les avances ne sont récupérées par l’État que dans 30 % des cas.
Au-delà de sa mauvaise santé financière, Vie Féminine pointe du doigt le manque de personnel (entre autres facteurs) du Secal s’agissant du taux de non-recouvrement des pensions alimentaires avancées par le Secal. Et puis, surtout, ce système de plafond stigmatiserait les femmes. “Elles doivent prouver qu’elles sont dans le besoin alors qu’elles ne font que chercher à faire appliquer le droit civil de leurs enfants. Et ce plafond est fixé arbitrairement sans tenir compte du coût de la vie, des frais de logement, des frais et difficultés accentués dans les situations de monoparentalité (garde, aides ménagères, difficultés de conciliation entre la vie de famille et la vie professionnelle, etc.).”