
Elle filme son quotidien pour montrer le poids de la charge mentale au sein du couple

Dans la bande dessinée Fallait demander (2017), l’autrice Emma décrit une situation qu’elle juge classique : son arrivée chez une amie, alors que celle-ci s’occupe d’une main des devoirs des enfants, tout en gérant de l’autre la préparation du repas. Jusqu’au moment où la catastrophe qui menaçait finit par arriver : la casserole mécontente d’être trop longtemps oubliée sur le feu, décide de déborder. Jusqu’alors bien calé dans le canapé du salon, le compagnon s’inquiète de la perte du repas, et lui fait savoir que si elle avait besoin d’aide «fallait [lui] demander».
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Voilà le concept de la charge mentale : en plus d’assurer sa part (voire plus) des tâches ménagères, la femme (parce que c’est le plus souvent elle) porte la charge de l’organisation et de la planification des tâches dans le foyer. Rappeler que le frigo est vide et qu’il faut faire les courses, ne pas oublier le rendez-vous médical des enfants… Penser à toutes les tâches, mêmes les plus infimes, pour éviter que la boutique familiale ne s’écroule.
@bubble.show Pendant deux semaines, j’essaie de montrer à mon copain ce qu’est la #chargementale ♬ The Winner Is - DeVotchKa & Mychael Danna
Filmer l'invisible
Estimant en faire plus à la maison, Manon, une jeune Française, a décidé de le montrer à Thomas, son compagnon. Ensemble depuis plus de deux ans, le couple a emménagé sous le même toit en mai 2021. Rapidement, la répartition des tâches ménagères s’est avérée inégalitaire. Comme Thomas l’a expliqué au HuffPost,«ce qui nous embêtait le plus, ce n’était pas le fait de ne pas le faire, mais le fait de ne pas y penser. Quand elle me disait: Il y a une machine à étendre, je le faisais, mais je n’y pensais pas. C’était un réflexe que je n’avais pas».
La jeune femme a alors décidé de mener une «mission charge mentale»; pendant deux semaines, elle a filmé toutes les tâches ménagères qu’elle a réalisées, et les a comparées avec celles de Thomas. Avec des petits tests à la clé : ne pas laver la baignoire pendant deux semaines, et voir si son compagnon va s’en charger (spoiler alert : ce ne sera pas le cas). Une autre fois, Manon rentre tard du travail ; son partenaire n’a pas fait le repas, alors qu’il était chez eux depuis 14h.
À l’issue de cette expérience, le couple essaye de trouver des solutions pour équilibrer leur répartition des tâches. «On m’a conseillé des applications, des jeux, des listes à faire pour répartir les corvées. On va tester et voir ce qui nous convient le mieux», a expliqué Manon. «C’est bien de vouloir trouver un système organisationnel pour alléger la charge mentale, mais bien souvent, c’est la femme qui s’en occupe. C’est elle qui doit remplir les listes, c’est elle qui rappelle à son conjoint de compléter la sienne... Donc, au final, ça ajoute de la charge mentale. Et nous, on veut éviter ça».
@bubble.show C’est la vidéo la plus intéressante, et bien sûr moi j’ai oublié de vous la publier… Non mais je vous jure… Du coup : voilà les résultats de la semaine : 12h13 passées sur les tâches pour moi et 8h30 pour mon conjoint 🙌🏼 La méthode du tableau ne sera pas gardée car trop energivore 👍🏼 #chargementale #mission #tachemenagere #pourtoi #femme #couple ♬ lofi and minimalist BGM(325514) - Kazuhi
Le modèle «traditionnel» a la vie dure
Le concept de charge mentale est apparu dans la littérature scientifique des années 80. Si le partage (ou plutôt le non partage) sexué des tâches domestiques a la vie dure, le poids de la charge mentale tend à mieux se répartir dans certains ménages. «On a assisté ces dernières années à une grosse remise en question de la représentation de la mère, expliquait en 2017 la sociologue Laura Merla (UCLouvain) au Soir. Chez les jeunes générations de la classe moyenne notamment, on constate que de plus en plus d’hommes revendiquent de passer du temps avec leurs enfants et réduisent leur temps de travail via le congé parental notamment».
Reste qu’en règle générale, la répartition du travail entre hommes et femmes suit encore le «modèle traditionnel des rôles», indiquait en 2015 le SPF Économie, dans une étude sur l'emploi du temps des Belges. Sur une semaine, les hommes consacraient en moyenne six heures de plus au travail rémunéré que les femmes. Ces dernières passaient huit heures de plus dans les tâches ménagères que les hommes, et une heure et trente minutes de plus aux soins des enfants.
Si l'écart entre hommes et femmes concernant le temps voué aux tâches domestiques s'était réduit en quinze ans, c’est uniquement parce que les femmes y consacraient moins de temps. La durée des périodes que les hommes destinaient aux tâches ménagères n'avait par contre pas changé entre 1999 et 2015.
Et ceci ne vaut que pour le temps passé à «faire». Celui nécessaire pour planifier et organiser la vie de famille, difficilement quantifiable, reste invisible. Son poids, lui, n’est pourtant pas négligeable.