
Le mariage gay à l'église est-il possible?

Jordan et Lucas sont tous deux catholiques pratiquants. Ils s’aiment. Ils ont voulu donner une dimension symbolique à leur union en passant par l’église. Lucas est artiste et Jordan est consultant en marketing. La démarche de ces deux Liégeois reste rare et, pour cette raison, ils veulent en témoigner. En province de Liège, il n’y a eu que deux célébrations de couples homosexuels avant eux en dix ans. Le nombre d’unions homosexuelles passées par l’église se comptent vraisemblablement sur les doigts de deux mains alors qu’au civil depuis 2003, plus d’un millier de mariages entre personnes de même genre sont actés.
La lecture de votre article continue ci-dessous
«C’est un peu triste. On est un peu mis à l’écart de sa foi, de son Église. La vie fait qu’on est différent et l’Église fait encore trop pour qu’on le soit davantage. C’est dommage qu’on soit encore aujourd’hui obligé de militer simplement pour dire qu’un tel mariage est juste normal. On n’a pas pu signer le registre religieux parce que c’est interdit par le Vatican. Pourtant, nulle part dans la Bible, l’homosexualité n’est punie, assène avec conviction Jordan. C’est la lecture faite par les hommes qui a condamné l’homosexualité.» Pourtant, le Vatican a déclaré récemment que les prêtres de l’Église catholique ne peuvent pas bénir les unions entre personnes de même sexe et que ces bénédictions, si elles ont lieu, ne sont pas «licites». L’argument? Le mariage entre un homme et une femme est un sacrement et les bénédictions étant liées au sacrement de mariage ne peuvent être étendues aux couples de même sexe.
Germain Dufour, qui a célébré cette union, balaie cette idée avec du bon sens. «On bénit bien les voitures ou les animaux, alors pourquoi refuser de bénir deux personnes du même sexe qui s’aiment? Ce sont des enfants de Dieu comme chacun d’entre nous», dit-il. Germain Dufour remet les pendules à l’heure en précisant qu’il s’agit d’une bénédiction et non pas d’un sacrement de mariage. Mais oui, cela reste délicat. «La position de l’Église est double. Il y a une position traditionnelle excluante. À côté, une pastorale s’est développée tenant compte de la science et de la foi. La science nous démontre que ces personnes ne sont pas responsables de leur orientation sexuelle alors que longtemps dans l’Église catholique romaine on a considéré l’homosexualité comme une déviance. Pendant très longtemps, des curés se sont arrangés pour marier de manière hétérosexuelle des personnes homosexuelles, ce qui menait à des drames dans les familles, particulièrement pour les enfants nés de ces unions qui ne tenaient pas», explique-t-il.
Pour Jordan et Lucas, passer par l’église était vraiment important. Jordan compare le mariage civil à “un ticket qu’on prend dans une boucherie”. «En plus, depuis le Covid, il n’y a même plus de carnet de mariage.» Pour Lucas, «passer seulement par la commune était réducteur. Un mariage civil dure 15 minutes et va très vite. Et puis, ma famille a toujours été à l’église. C’était important d’officialiser notre union devant Dieu, même si c’est un peu archaïque. Mais il n’y a que cinq prêtres qui acceptent d’unir des homosexuels. On voudrait que ce soit plus fréquent». Leur expérience à la commune s’est révélée décevante. Ils ont reçu une invitation pour leur mariage avec la mention de Monsieur et Madame. «Et puis, on a reçu un très beau cadeau, à l’effigie de Tchantchès et Nanesse. Mais seuls un homme et une femme symbolisent-ils l’amour?», s’attriste Jordan.
Une cérémonie avec une grande force spirituelle était essentielle pour eux deux. Jordan et Lucas ont ainsi voulu ouvrir leur cérémonie au maximum, notamment avec un texte du Coran et le discours de Martin Luther King “I have a dream”. «Tout notre mariage était basé sur la tolérance. Germain Dufour nous a parlé du texte du centurion. L’histoire d’un grand païen qui a eu une foi en Jésus tellement forte qu’elle a guéri son “serviteur” et de la lecture ouverte qu’on pouvait en avoir de Jésus face à l’homosexualité. Il nous a fait réfléchir pendant la célébration. Quand un couple s’aime, peu importe son orientation sexuelle. Ce qui nous inquiète, c’est que le père Dufour est assez âgé et les jeunes prêtres sont, eux, beaucoup plus réticents par rapport aux homosexuels.»
Plus qu’une simple bénédiction
L’abbé et écrivain Gabriel Ringlet a souvent été confronté à des demandes d’union de personnes homosexuelles. Il a répondu positivement et a même célébré une bénédiction avec plus de 300 personnes et une autre avec Monseigneur Gaillot, évêque d’Évreux déchargé de ses fonctions en 1995, en raison de ses prises de position en faveur des divorcés remariés, du mariage des prêtres ou de l’ordination de femmes. «Le Vatican interdit au sens juridique du terme le mariage homosexuel. Mais cela a beaucoup évolué. Ce qui se fait pour les personnes de même sexe est comme une célébration de mariage avec la liturgie et l’échange des alliances. C’est plus qu’une simple bénédiction, c’est une célébration. L’important, ce n’est pas le sacrement mais toute la part symbolique qui permet de vivre quelque chose de très fort. Beaucoup de nos contemporains n’attachent plus d’importance à la dimension du sacrement.»
Toutefois, le sacrement dont l’étymologie veut dire «signe» est la volonté publique de poser un signe reconnu et officiel. «L’Église est en pleine évolution, on le voit aussi concernant les divorcés. Le pape François a été bloqué, mais très finement, il a décidé qu’il appartenait aux évêques de choisir. En Belgique, il y a aujourd’hui une plus grande ouverture par rapport aux divorcés. Cela pourrait aussi se passer du côté des unions homosexuelles. Cela me paraît normal que l’Église s’ouvre quand deux personnes s’engagent et qu’elles sont de tradition chrétienne même si l’Église fonctionne encore de manière très juridique avec le sentiment que si elle accepte de s’ouvrir, son édifice va s’effondrer», rapporte Gabriel Ringlet.
«C’est vrai, on n’a pas reçu le sacrement de mariage, mais on s’en fout, estime Jordan. Germain Dufour a une grande ouverture. La vraie foi chrétienne, c’est bien d’accueillir tout le monde. On s’est sentis accueillis dans son église mais pas dans l’Église dans laquelle on se sent encore toujours un peu comme des pestiférés.» Un pas après l’autre.