Trouver une crèche, le parcours du combattant de nombreux parents

Les nouveaux parents sont confrontés à cette galère d’époque... Ces dernières années, inscrire son enfant dans une crèche relève de l’épopée. Souvent, la pénurie de places disponibles oblige à se tourner vers des structures privées, aux tarifs parfois exorbitants.

des enfants à la crèche
Certaines crèches privées facturent jusqu’à 800 euros par mois. © Adobe Stock

Le bébé de Christophe et Claire a un mois, et depuis un bout de temps déjà, le compte à rebours a débuté. En avril prochain, les deux parents auront repris le travail et il leur faudra un système de garde pour leur nourrisson. Pour le moment, leur nom est toujours sur liste d’attente. “Nous habitons Etterbeek et nous avons fait une demande pour obtenir une place dans une crèche subventionnée de notre commune, mais aussi à Schaerbeek, Auderghem et même Watermael-Boitsfort.” Pour le moment, c’est dans cette dernière structure que leur bébé a le plus de probabilité de décrocher une place. Le quartier n’est ni proche de leur lieu de vie, ni sur le chemin de leur boulot. “C’est déjà ça si on a une place, mais clairement, ce sera la course pour faire les trajets.

Nos dernières vidéos
La lecture de votre article continue ci-dessous

Pour espérer trouver une ­crèche à temps, il est conseillé aux futurs parents de lancer la procédure dès le troisième mois de grossesse, soit un peu moins d’un an avant que l’enfant soit accueilli dans l’établissement. Une vérité loin d’être une légende urbaine, confirme Damien Hachez, chargé d’études et d’action politique à la Ligue des familles. Selon le dernier baromètre des parents, publié par l’organisme en novembre, 39 % des parents n’ont pas pu trouver une place dans une structure de garde au moment qui leur convenait. D’année en année, le nombre de personnes jugeant difficile ou très difficile d’obtenir une place en milieu d’accueil augmente. Aujourd’hui, ce chiffre est de 67 %”, dit-il. Ces histoires de crèche res­semblent de plus en plus à un parcours du combattant. Du moins dans les régions denses comme Bruxelles ou le Brabant wallon. Rien qu’en Flandre, estime le professeur en travail et pédagogie sociale à l’UGent Michel Vandenbroeck, il manque au moins 7.500 places. La faute, notamment, au manque de personnel qualifié pour s’occuper des enfants. Selon la porte-parole de l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE), ­Sylvie Anzalone, ce chiffre est largement sous-estimé, car il ne prend pas en compte la “non-demande”… Ces parents qui ne tentent même pas leur chance, sûrs qu’ils ne trouveront de toute façon pas d’établissement.

À lire aussi : La règle du 3-6-9-12 et d’autres conseils pour guider les enfants face aux écrans

Côté francophone, la ministre de l’Enfance Bénédicte Linard a annoncé fin mars que 5.200 places seront créées d’ici 2026 pour diminuer la pression. Aujourd’hui, en Fédération Wallonie-Bruxelles, il existe environ 46.300 places, dont environ 70 % sont subventionnées par les pouvoirs publics. Ce nouveau Plan Cigogne, on sait que c’est un super-effort, mais on sait aussi que ce n’est pas suffisant, résume la porte-parole de l’ONE. Résultat, certains parents sont parfois contraints de ­mettre leur minot dans une crèche privée, non ­subventionnée, aux tarifs souvent bien plus chers.

Baby is business

Damien Hachez a fait l’expérience cette année: pour se faire un ordre d’idée des prix, il a passé quelques coups de fil au hasard à des crèches privées. “À Bruxelles par exemple, une des structures appelées demandait 760 euros par mois. Dans le ­Brabant wallon, ça monte jusque 850 euros.” En comparaison, une crèche subventionnée par l’ONE suit une grille tarifaire stricte en fonction de la situation et des revenus des parents, avec un prix journalier qui débute à 2,60 euros, soit 52 euros par mois si l’enfant y va cinq jours par semaine. “Toutes les études montrent que le coût des crèches publiques ne représente pas un frein, sauf pour les très faibles revenus”, commente Michel Vandenbroeck. La facture va d’ailleurs encore se réduire à partir du 1er janvier 2023, notamment pour les parents “solo”. Les structures privées, de leur côté, peuvent imposer un prix fixe… Et l’augmenter, sans ­franchement crier gare. Récemment, la Ligue des familles a été interpellée par une famille wallonne qui a vu sa facture de crèche - privée donc - bondir de 19 euros à 27 euros par jour en l’espace d’une semaine. Raison invoquée, la hausse des prix de l’énergie. “Dans ce genre de situation, les parents sont placés devant un non-choix: s’ils refusent, ils se ­retrouvent sans moyen de garde… Ils sont donc ­contraints d’accepter. Ce n’est pas soutenable”, ­commente Damien Hachez, qui plaide pour un meilleur encadrement de ces pratiques.

une mère cherche une crèche pour son bébé

L’ONE a mis en place un processus pour aider les parents dont la crèche a fait faillite à en retrouver une autre. © Adobe Stock

Chez nos voisins, en France, la moitié des places créées le sont désormais dans des crèches privées, gérées par de grands groupes. Babilou, Grandir, La Maison bleue… Tous affichent des chiffres d’affaires à plus de 200 millions d’euros, dont une bonne partie provient de subventions publiques. “Quand il y a des failles dans le système public, un système privé à but lucratif s’installe”, observe le professeur Michel Vandenbroeck. En Belgique, dit-il, le ­système public reste conséquent, ce qui complique la privatisation du secteur et limite jusqu’à maintenant fortement le nombre de crèches commer­ciales dans le pays. N’empêche, le leader français Babilou, créé en 2003, s’est peu à peu installé à Bruxelles et en Flandre depuis neuf ans. Si le groupe est contraint de suivre la législation belge et le Code de qualité de l’ONE, son objectif est davantage financier que social, estime le professeur de l’UGent. “Le groupe attend un retour sur investissement. D’après ce que j’entends, les actionnaires veulent que les crèches fassent 6 % de bénéfices, ce qui est énorme pour ce genre de structure. Cela veut dire qu’il y a un certain pourcentage de ce que paient les parents, ou l’État via les subventions en France, qui n’est pas investi dans la qualité de la crèche mais qui retourne aux actionnaires.

Ouvrir une crèche est loin d’être un investissement ultra-rentable, en tout cas en Belgique.

Cette course au profit des grands groupes passe bien souvent par des charges de personnel et de fonctionnement réduites au maximum. À la clé, des conséquences parfois dommageables, qui ­rappellent le scandale Orpea, du nom de ces structures d’accueil, pour les personnes âgées cette fois. “En France, il y a de nombreux problèmes dans les crèches privées. Plusieurs cas de graves maltraitances ont été rapportés, ce qui est la conséquence notamment d’un trop grand nombre d’enfants dans la structure et de personnel sous- qualifié. Sauf qu’une fois que le système privé devient trop important dans le secteur, c’est très difficile de retourner en arrière car il s’agit de milliers de places aux mains de quelques compagnies. L’État n’arrive plus à gérer.

Des bébés pas si rentables

Les crèches privées non plus, d’ailleurs, n’arrivent plus à gérer dans certains cas. De l’avis de toutes les personnes interrogées dans cet article, ouvrir une crèche est loin d’être un investissement ultra- rentable, en tout cas en Belgique. Au-delà de la concurrence avec les structures publiques, souvent bien moins chères, ces établissements sont soumis à de nombreuses règles pour assurer la sécurité et la qualité de l’accueil. De manière générale, dit Damien Hachez, ce n’est pas un milieu qui roule sur l’or. “On ne peut pas transiger sur le chauffage ou la qualité de l’alimentation par exemple, donc rapidement les finances peuvent être mises à mal.” Du côté du cabinet de la ministre Linard, même constat: “Il est très difficile de faire fonctionner une crèche sur un modèle purement commercial en garantissant un ­certain niveau d’exigences en matière de qualité”. La preuve avec la société NeoKids Belgium, qui a fait aveu de faillite mi-novembre suite à de grosses ­difficultés financières. L’entreprise administre une quinzaine de crèches, la plupart à Bruxelles, qui ­risquent toutes de fermer leurs portes faute de repreneur. De quoi rajouter de la tension à un ­marché déjà complètement surbooké.

Pour tenter d’éloigner le risque de faillites, peu régulières mais toujours embarrassantes pour les parents qui se retrouvent sans moyens de garde, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a décidé d’octroyer une aide énergie de 200 euros par place à toutes les structures, y compris celles non subventionnées. Quant aux parents désormais en recherche d’un nouveau milieu d’accueil, l’ONE a mis en place un processus d’aide pour les accompagner à retrouver une place pour leur enfant. Si la situation est compliquée, le chantier en cours pour l’améliorer dans un avenir relativement proche grâce à la création de places semble bien lancé, estime le chargé d’études à la Ligue des familles Damien Hachez. “Maintenant, il faut le mener à bien!

Débat
Sur le même sujet
Plus d'actualité