
Égalité homme-femme : "Ça changera quand monsieur ne prendra pas systématiquement le volant pour conduire"

De jeunes féministes ont trouvé une parade radicale aux inégalités domestiques: elles ne font plus d’enfant et pratiquent le “living appart together” si elles ne sont pas célibataires. La solution est efficace puisque les écarts de revenus dans les couples hétéros sont de 42 % entre hommes et femmes tandis que chez les célibataires ce n’est que 9 %.
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Au-delà, notre enquête n’a sondé que les couples vivant ensemble. De nombreux couples ont réglé le problème en déléguant un maximum de tâches, notamment via les titres-services et les ALE ou alors en faisant appel aux grands-parents. Dans ce cas, on notera que cette solution, qui n’est accessible qu’à certains, se fait très souvent sur le dos d’autres femmes, aides ménagères et grands-mères.
Les séparations, si elles sont assorties de gardes alternées, comme solution idéale pour rééquilibrer les tâches de manière équitable? “Pour les femmes, c’est un énorme avantage d’être libres une semaine sur deux. Ça leur donne l’occasion de repenser à leur carrière, signale Claire Gavroy, sociologue et chercheuse senior à l’ULiège. Mais les grands-parents aident généralement beaucoup plus les “pauvres” hommes qui se retrouvent seuls avec des enfants que les femmes. Par ailleurs, les hommes se remettent plus souvent en couple que les femmes, avec une préférence pour celle qui ne fera pas carrière et donc les soutiendra.” Au total, 85 % des familles monoparentales ont en réalité à leur tête une femme.
Le déséquilibre est flagrant. “Les femmes hésitent beaucoup plus à se remettre en couple afin de ne plus subir toutes les tâches domestiques. Si elles franchissent le pas, elles posent alors souvent des conditions très strictes.” Une étude qui a ciblé les ingénieurs est emblématique à ce propos: près de 80 % des ingénieures épousent un ingénieur tandis qu’autant d’ingénieurs épousent une femme qui aura un emploi d’appoint. “Ce n’est pas méchant. C’est totalement inconscient.”
Congé paternel obligatoire
La solution viendra plutôt d’un changement des mentalités pour le directeur de la Ligue des familles, Christophe Cocu. “C’est un enjeu global pour le moral et la santé des familles car la charge mentale est liée au burn out parental, lui-même lié au fait de se sentir responsable de tout et cela touche beaucoup plus les femmes.”
Pour y arriver, aux hommes à faire leur part pour que ce soit égalitaire. “Ça changera dès la cour de récré quand les garçons apprendront à ne pas occuper tout l’espace pour jouer au foot en obligeant les filles à rester sagement sur les côtés. Et enfin quand monsieur ne prendra pas systématiquement le volant pour conduire sa famille alors que madame sait aussi conduire.”
Plus concrètement, la Ligue des familles plaide pour l’allongement du congé de paternité. “Parce que quand un papa n’est là que les dix premiers jours de la vie de son enfant, rapidement, cet enfant devient la seule responsabilité de la mère. Ce n’est inné pour aucun des deux. Mais la mère apprend en passant beaucoup plus de temps avec l’enfant. Pour atteindre une égalité sur le marché du travail, les hommes devraient être obligés d’être absents trois mois quand ils deviennent papas afin que cela ne pénalise plus les carrières des femmes.”
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Un décret lessive
Les tâches domestiques sont en réalité une question politique depuis les années 70 mais seulement pour les féministes. “On devrait pourtant considérer les tâches ménagères comme du travail qui sert au maintien de la société. Si on arrêtait de faire tout ce qu’on doit faire chez soi, la société s’écroulerait. Les tâches ménagères devraient être un enjeu politique pour tous”, plaide Annalisa Casini, psychologue du travail à l’UCLouvain.
Non qu’il faudrait édicter un décret lessive, “mais dans les faits, il existe une surcharge de travail pour les femmes qui font moins carrière et se retrouvent dans une plus grande dépendance économique par rapport aux hommes”. Isabella Lenarduzzi, fondatrice et directrice générale de JUMP “Empowering Women, Advancing the Economy”, renchérit en termes de politisation de la question: “On sait que deux tiers des pauvres sont des femmes. Concrètement, il faut tout mesurer, tout. Ce qu’on ne mesure pas n’existe pas”.
Elle plaide pour une révolution culturelle des a priori sur les qualités soi-disant intrinsèques des hommes et des femmes. Le travail domestique doit ainsi être rendu visible rien que parce qu’il représente en réalité 30 % du PIB. “On doit rendre de la valeur à ce travail. Cela ne veut pas dire qu’il faut le rémunérer car cela aurait pour effet de renvoyer les femmes dans les foyers.”
À plus petite échelle, la solution serait que chaque homme et chaque femme se rendent compte qu’ils descendent de millénaires d’injustices. Un diable qui se cache dans les plus petits détails de leur quotidien. Qui a pensé au petit mot de soutien, au cadeau pour l’institutrice, à la gerbe de fleurs pour le décès d’un proche?
“Hommes et femmes doivent mettre sur la table leurs réalités les plus infimes. Il existe des applis qui permettent de mesurer tout ça. Mais on n’a pas besoin de ça. Un débat avec de l’empathie suffit”, rassure Isabella Lenarduzzi. Alors, oui, la bataille de l’égalité se gagnera devant le bac à linge et la cuvette des W.-C. Avec de la gratitude réciproque.
Ou ce sera la manière forte. Un jugement dans un cas de divorce a été récemment prononcé au Portugal pour sanctionner et obliger à payer un conjoint qui n’avait délibérément rien fait dans le ménage pendant de longues années.
Article initialement publié en avril 2021.