Les lieux "enfants non admis" se multiplient : pour ou contre cette tendance ?

Hôtels, restos, campings, compagnies aériennes - ils interdisent les enfants. Encore marginale, la pratique s’impose ici et là. Certains grincent des dents. D’autres ne demandent qu’à obtenir la liste de ces différents lieux.

restaurants interdits aux enfants
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L'histoire débute le long de la côte belge, à Nieuport. C’est là qu’en août 2018, Noël Brossé, gérant de la brasserie Sir Charles a décidé d’interdire l’entrée de son établissement aux enfants. Une affiche “Adults only” a été posée fièrement sur la devanture. Tollé général, mais de courte durée. Et une fois la tempête passée, Noël Brossé a vite fini par se féliciter de sa décision. D’abord, il confie ne plus se faire insulter, alors qu’avant, “c’était deux à trois fois par jour”, lorsqu’il demandait “gentiment” aux parents d’éviter que leurs enfants sautent sur les chaises avec leurs chaussures sales ou jouent avec les coussins jusqu’à les éventrer. “Ça m’est arrivé à quatre reprises d’être agressé parce que j’ai demandé à ces enfants d’être un peu respectueux. En plus, les enfants sont si bruyants qu’ils font fuir ma clientèle. Je vise un public plus âgé, qui me rapporte beaucoup plus que ces enfants”, expliquait-il à l’époque. Les plats enfants sont en effet moins rentables pour les enseignes…

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La pratique s’est étendue à travers tout le pays, et même au-delà des frontières. À Ixelles, le restaurant grec Feta & Oregano assume être passé au “sans-enfant”. “J’ai un espace de 20 m², donc les tables sont très rapprochées. Au début je ne l’ai pas spécifié mais je me suis rendu compte que ça causait des problèmes. Et j’ai eu des clients qui partaient à cause de ça. On n’a rien contre les enfants, moi-même j’ai trois enfants. D’ailleurs, en été, on les accepte sur la terrasse. Mais ici, c’est vraiment par rapport à la surface. J’ai mis en place cette politique pour un souci de sonorité et de confort pour le client.” Dans un autre restaurant bruxellois qui opère la même politique, des clients avouent savourer le calme de l’établissement. “Je peux comprendre que la mesure puisse choquer, d’autant que c’est rare qu’il y ait vraiment des problèmes, précise une dame devant son assiette végétarienne. Mais quand des enfants sont intenables, c’est compliqué de passer un bon moment. Et bon, on paie pour ça.”

 

Les retours n’ont pas tardé pour le patron de Feta & Oregano. “J’ai été surpris, mais des gens ont commencé à venir grâce à ça. J’ai aussi eu des retours moins enthousiastes, des gens qui m’ont dit qu’ils me feraient une publicité négative. Tant mieux, qu’ils en parlent autour d’eux, comme ça personne n’a de surprise à l’arrivée.” Sur sa vitrine, le patron spécifie qu’il faut seize ans pour entrer. “On l’a notifié et les gens le respectent. Après si un couple arrive avec un enfant de douze ans, je ne vais pas les mettre dehors.

Légal ou pas ?

La pratique ne se limite pas aux restaurants. Certains hôtels et compagnies aériennes ont également décidé de franchir le pas “adults only”. En filigrane, la rengaine bien connue, “les enfants sont moins bien élevés qu’avant, et donc moins sages.” Si cela reste à l’appréciation de chacun, ils ne sont en tout cas plus les rois du monde, et particulièrement dans l’espace public. Suffisant pour les exclure d’endroits où l’on n’imaginait pas le moindre filtre il y a encore quelques années? Nous avons contacté Test-Achats, qui lutte pour la défense des consommateurs, et la Ligue des familles. Étonnamment, aucune de ces deux organisations n’a souhaité réagir, n’ayant pas encore travaillé sur la question. “Mais elle semble effectivement intéressante.”

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La polémique autour du Sir Charles a résonné jusqu’en France. Peut-être même plus que chez nous, de nombreux médias se posant la question de la légalité d’une interdiction d’entrée basée sur l’âge. Et la réponse a été claire et limpide: c’est illégal. En Belgique, on se situerait dans une zone grise, entre légitimité du refus et discrimination “jeuniste”. Le nombre d’établissements disponibles permet aux parents de toujours trouver une alternative, et de ne pas dépasser le stade de la grogne. C’est probablement la raison pour laquelle la pratique demeure dans cette fameuse zone grise. Dans l’inconscient collectif, elle reste marginale et n’a rien d’une question sociétale, quand bien même le nombre d’établissements la mettant en œuvre augmente chaque année. Aucun n’a d’ailleurs été sanctionné jusqu’ici en Belgique.

Vivre-ensemble

Si Test-Achats et la Ligue des familles ont un train de retard, l’ASBL belge Couples et familles s’est penchée sur les enjeux de la démarche en 2019. Avec une longue analyse menée par sa chargée de mission Sigrid Vannuffel. “Pour Couples et Familles, tomber dans le cliché du parent démissionnaire ou laxiste serait trop réducteur. Certains parents se laissent totalement dépasser par l’énergie, voire l’hyperactivité, de leurs enfants. Il n’est pas nécessairement question de négligence parentale.

 

Mais elle reconnaît qu’il n’est pas naturel pour un enfant de rester assis deux heures à une table, perdu dans des discussions d’adultes. “Les parents doivent pouvoir trouver un équilibre entre leurs envies et celles de leurs enfants. Certains restaurants se sont adaptés aux besoins des plus jeunes: menu enfant, possibilité d’ajouter une chaise haute à la tablée, mise à disposition de jeux et de crayons de couleur. Sans doute est-il préférable pour les parents d’enfants en bas âge de se diriger vers ces établissements.

Nuancée, l’analyse de l’association pose surtout la question de la définition du vivre-ensemble: “Respecter la tranquillité de chacun fait partie du vivre ensemble, mais n’y a-t-il tout de même pas une place à réserver à la tolérance? Lorsqu’on se rend au restaurant ou qu’on réserve des vacances à l’hôtel, on cherche bien souvent à se créer un petit espace privé au sein d’un lieu fréquenté. Pas étonnant, dès lors, qu’un cri ou qu’un rire nous arrache à l’illusion d’intimité que l’on s’est construite. Cela peut d’ailleurs arriver aussi dans les établissements “adults only”, où les groupes d’amis, qui ne manquent pas d’entrain, sont souvent présents en nombre.

Avec cette interrogation, passionnante, et qui ne demande qu’à s’inscrire dans les grands débats de notre époque: avoir la paix est-il un droit absolu? Le droit des enfants à s’amuser ou à exprimer leurs émotions est-il inférieur à notre désir de tranquillité? Les enfants font partie intégrante de notre quotidien, de la société. Accepter leurs manières de s’exprimer - leurs différences, en quelque sorte -, c’est aussi apprendre à “vivre ensemble.”

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