
Faut-il lever l'anonymat des donneurs de sperme ?

Un rendez-vous à l’hôpital, l’isolement dans une cabine, un magazine et un petit pot. En apparence, il n’y a pas grand-chose de plus simple qu’un don de sperme. Pourtant, au quotidien, il est difficile pour les spécialistes de convaincre la population de passer le pas. En pénurie chronique depuis longtemps, pour ne pas dire toujours, le sperme est pourtant de plus en plus demandé. Résultat: les prix augmentent. Là où le tarif normal se situe autour des 300 euros, il n’échappe pas à l’inflation et grimpe actuellement à 500 euros dans la plupart des hôpitaux belges. “Depuis que je travaille, il y a toujours eu une pénurie, confie la Dr Candice Autin, gynécologue obstétricienne et responsable au centre PMA du CHU Saint-Pierre de Bruxelles. La situation est connue mais n’excite pas grand monde.” Effectivement, avez-vous beaucoup de connaissances qui ont donné ou qui donnent leur sperme? Probablement pas. Candice Autin y voit l’ombre du tabou. “C’est dérangeant pour une partie de la population parce que le sperme s’obtient par masturbation. Quand on avait voulu, il y a une vingtaine d’années, faire des campagnes au sein de l’hôpital: “Vous en avez des millions, pensez à en donner quelques-uns”, cela avait été jugé inconvenant. Il n’y a donc pas de campagne comme pour le don de sang.”
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Actuellement, la législation belge assimile les centres de fertilité à des banques d’organes. Et cela a des implications concrètes. “Depuis 2009, on dépend de la même loi qu’une banque de sang ou de moelle. Or cette législation est très stricte et l’un des points interdit d’en faire de la publicité. Donc on ne peut pas nous faire de la pub, ni dans les couloirs, ni sur Internet… Pour qu’il y ait une campagne, il faudrait que les pouvoirs publics l’organisent. Cela fait des années que l’on se plaint d’avoir été mis dans cette même législation qui n’est pas adaptée à notre pratique.” Les derniers chiffres commencent à dater, mais, en 2019, la Belgique a dénombré 9.140 injections de sperme issu de donneurs. C’est peu, alors qu’on l’a dit, la demande grandit sans cesse. Là où elle concernait principalement des couples où l’homme souffrait d’infertilité ou de maladie génétique il y a trente ans, 90 % se destinent aujourd’hui à des femmes seules ou à des couples lesbiens. “Dans notre centre, 95 % de nos dons viennent du Danemark, on ne pourrait pas répondre à la demande avec les dons belges. Les centres sur les campus universitaires ont probablement plus de donneurs belges, parce que les étudiants sont un peu plus sensibilisés et qu’ils sont sur place. Pour venir donner chez nous, le donneur doit prendre une demi-journée de congé. Rien n’est fait pour lui faciliter la vie.”
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Quelques appelés, peu d’élus
Alexandre a étalé ses dons de sperme sur quatre années. “Ça aide des gens et moi j’avais une contribution financière de 75 euros par don, ce qui était vraiment pas mal.” Globalement, les hôpitaux paient effectivement un défraiement entre 50 et 75 euros. Certains hôpitaux, comme le MontLégia de Liège, vont jusqu’à offrir 100 euros. Concrètement, il y a une série d’étapes à passer. “Quand les gens se proposent comme donneurs, on va vérifier plusieurs critères, commence Candice Autin. D’abord l’âge, puisqu’il faut avoir entre 18 et 45 ans. Il faut forcément faire un examen de sperme qui doit être parfaitement normal et ne pas se dégrader quand on le congèle. On fait aussi un screening pour les maladies infectieuses, puis comme pour le don de sang, le donneur remplit un formulaire pour vérifier les antécédents familiaux, les voyages ou les pratiques sexuelles.”

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Le moment un peu marrant, c’est quand tu croises un type à la sortie, lui aussi avec son petit pot.
Si ces conditions sont remplies, l’homme peut donner son sperme. Et la législation permet la conception de six familles à partir d’un même donneur. “On tient un registre et dès que six femmes ont été enceintes de ce donneur, on ne peut plus l’utiliser. Sauf pour un frère ou une sœur quelques années plus tard.” Malheureusement, beaucoup “échouent” avant de pouvoir entrer dans la cabine. “On a de moins en moins de candidats qui passent toutes les étapes. C’est beaucoup de travail pour très peu de candidats retenus.” De son côté, Alexandre confie n’avoir jamais associé le don de sperme à un quelconque tabou, mais reconnaît avoir eu l’impression que sa démarche était insolite. “J’ai peu de potes qui envisagent de le faire. Ils trouvent plutôt ça drôle. Et c’est vrai que c’est encore particulier. T’es dans une cabine, tu t’assieds, t’as des vieux magazines dans un tiroir. Bon, j’imagine qu’aujourd’hui les gens prennent leur smartphone. Le moment un peu marrant, c’est quand tu croises un type à la sortie avec son petit pot.” En couple et papa, Alexandre n’abandonne pas l’idée d’encore donner son sperme. “Je sais que je devrai en parler avec ma copine même si, au fond, c’est ma décision.” Le 16 mai dernier se tenaient une série d’auditions à la Chambre à l’initiative de la députée N-VA Valerie Van Peel. Elle considère la notion d’anonymat du don dépassée. “En garantissant l’anonymat du donneur, on pensait réduire les éventuelles conséquences négatives - juridiques, sociales, psychologiques - pour les intéressés. Mais il ressort clairement des témoignages des enfants issus d’un don qu’ils en subissent des désagréments. Que doivent-ils répondre lorsqu’on les interroge sur les antécédents médicaux?” Des questions sensibles qui reviennent régulièrement dans le débat public. Certains pays ont abandonné l’anonymat, comme la Suisse, l’Angleterre ou les Pays-Bas.
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Des rejetons à gauche, à droite
Pour Candice Autin, il faut d’abord avoir en tête que le don de sperme tel qu’il était pratiqué il y a trente ou quarante ans n’avait rien à voir avec ce qu’on fait actuellement. “Ce n’était que des couples hétérosexuels, avec une médecine très paternaliste. L’infertilité masculine était encore plus taboue qu’aujourd’hui. Personne n’était au courant dans la famille et on recourait au don de sperme dans un secret absolu.” On voit aujourd’hui des adultes apprendre tardivement être nés d’un don de sperme et être parfois en colère.
“On leur a caché quelque chose qui leur appartenait. Ils se sentent trahis et sont très revendicatifs envers l’accès à leur origine.” Elle reçoit ainsi régulièrement des jeunes adultes nés dans les années 80, qui ont appris leur origine sur le tard et veulent avoir accès au dossier de leurs parents. “Jamais d’enfant de couples de femmes avec la même demande puisque dès le départ, ils connaissent leur histoire...” Pour la gynécologue, l’important, c’est le secret. “Si vous ne dites pas à votre enfant qu’il est issu d’un don de sperme, peu importe qu’on ait levé l’anonymat. Il n’aura de toute façon accès à rien.”
Avec les progrès de la génétique et la prolifération de firmes offrant la possibilité de reformer votre arbre généalogique, il semble évident que l’anonymat réel est appelé à disparaître. Qu’en pensent les donneurs? “En Angleterre ou aux Pays-Bas, leur profil a changé. Ceux qui voulaient rester anonymes ont arrêté de donner et d’autres hommes ont repris le flambeau.” Alexandre l’avoue, sans anonymat, il n’aurait pas donné. “Je trouve ça bizarre de mélanger le concret, avoir un enfant et le rencontrer physiquement, et l’abstrait du don, dont tu ne sais pas ce qu’il va devenir. Je préfère ne pas savoir ce qui en a résulté. Je ne considère pas que j’ai des enfants à droite et à gauche. Après, si quelqu’un me retrouve, je serai curieux de le rencontrer, mais il n’est pas question de prendre une place dans sa vie.”