Les célibataires sont de plus en plus nombreux... et moins heureux?

Les Belges sont de plus en plus nombreux à être célibataires. Certains adorent leur liberté loin du couple. D’autres subissent la solitude dans une société inadaptée à leur mode de vie.

célibat
Depuis l’an 2000, le nombre de célibataires a augmenté de 43 %. © Adobe Stock

Thomas, un Schaerbeekois de 37 ans, est célibataire et de longue date. Il a bien connu quelques relations, mais hormis une histoire de deux ans au début de sa vingtaine, ses rencontres n’ont jamais abouti sur du sérieux. Depuis qu’il a quitté sa coloc il y a trois ans pour s’acheter un appart, il vit seul. “Je voulais cette vie commune à une époque, mais aujourd’hui j’apprécie la solitude et l’autonomie. Je fais ce que je veux, je nettoie quand je veux, j’achète la déco que je veux, je suis plus libre… Je trouve ce mode de vie plus confor­table”, confie-t-il. Son cas n’a rien de particulier. Plus de 3,5 millions de Belges de plus de 18 ans sont répertoriés comme per­sonnes isolées. En l’an 2000, ils n’étaient que 2 millions. Soit une explosion de 43 % tandis que le nombre de mariages a baissé de 15 %.

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Si la tendance est réelle, il faut la contrebalancer. ­Premièrement, ce chiffre doit être mis en perspective avec la hausse globale de la population majeure sur cette période (+ 14 %). Deuxièmement, les jeunes quittent le domicile parental plus tard qu’auparavant. Troisièmement, insiste Jean-Claude Bologne, philologue et auteur de l’ouvrage Histoire du célibat et des célibataires, le concept a évolué. “Il s’agit d’un état civil, mais c’est surtout devenu la vie en solo. Cela ne signifie pas que les personnes dites célibataires n’ont pas une vie de couple exclusive”, commence-t-il. De plus, il est difficile de distinguer les situations définitives des temporaires. “On est célibataire, puis on est en couple sans vivre avec son partenaire, ensuite on se sépare et on vit seul avant de vivre ensemble, de se marier et de divorcer. On redevient célibataire à 50 ans pour encore se remettre en ménage… À une époque, on n’aurait jamais apparenté ces étapes intermédiaires à du célibat. On aurait parlé de personnes veuves, divorcées, séparées.” Il n’empêche que le mode de vie en solo a gagné en attractivité. “Au XIXe siècle, un adulte seul de plus de 30 ans était considéré comme une vieille fille ou un homme incapable d’entretenir un ménage. C’était mal vu.” En 2023, le mariage n’est plus indispen­sable pour mener une vie sexuelle et affective, pour avoir des enfants, pour être respecté socialement. D’ailleurs, certains couples suivent la tendance. “Des études montrent que parmi les acheteurs de plats préparés pour une personne au supermarché, il y a de nombreux couples qui ne veulent pas manger la même chose. Certains sont attirés par cette vie individualiste, par le plaisir de manger ce que l’on veut sans compromis, des miettes de croissant dans son lit, de la liberté.

Le célibat subi

Le célibat n’est évidemment pas le statut rêvé de tous. Jean-Claude Bologne distingue les cas choisis des subis. “La misère du célibat peut être terrible. À une époque, elle était imposée à certaines professions comme les hôtesses de l’air et les domestiques. Cette misère existe encore. Elle est liée à la pauvreté, au sans-abrisme, à la migration, à l’emprisonnement, à l’asile… On l’oublie, mais toutes les populations n’ont pas accès au couple de manière identique.” Et puis, certains peinent tout simplement à trouver chaussure à leur pied… et peuvent très mal le vivre au point de développer de l’anxiété, voire une dépression. Car les inconvénients sont aussi nombreux que les avantages. La norme reste le couple et la société ne valorise pas les activités en solitaire comme les sorties au resto ou au ciné. Obtenir un crédit dans une banque est également plus difficile, tout comme trouver un logement en location et adopter un enfant, peu importe si votre salaire vaut les revenus cumulés d’un couple. Dans les enquêtes sur le sujet, trois autres défis sont souvent cités: le sentiment de solitude, le manque de soutien dans les épreuves de la vie et… le coût de la vie. Car le célibat a un lourd impact financier. L’entreprise boursière britannique Hargreaves Lansdown a estimé qu’à niveau de vie égal, une personne isolée dépenserait en moyenne 997 euros de plus par mois que si elle vivait en couple et ­pouvait diviser le loyer et les charges, réaliser des économies d’échelle sur la nourriture et les ­vacances, sur la voiture et les assurances.

Et ce n’est pas le pire: les célibataires sont perdants au niveau fiscal. Ils versent pour un salaire moyen 52 % de leurs revenus au Trésor public, contre 37,8 % pour l’ensemble des Belges, selon l’OCDE. Le professeur de l’ULiège Marc ­Bourgeois, spécialiste de la fiscalité, le confirme: “Avant les années 70, on appliquait le cumul des revenus. Les couples payaient plus d’impôts que les autres, car ils franchissaient des tranches supérieures. La ­logique du législateur était la suivante: en vivant en couple, on fait des économies d’échelle. On n’a besoin que d’un appartement 1 chambre pour deux, on divise le coût des meubles par deux, etc.”.

Par la suite, sous la pression des partis chrétiens, la tendance s’est renversée sous prétexte que ce système décourageait le mariage. Des réformes ont alors été menées pour un “système de neutralité”. Le problème est que dans la pratique, il a fini par devenir trop ­égalitaire, au point de le rendre injuste. De fait, un célibataire sans enfant fait face à plus de frais, mais paie autant d’impôts que les couples y compris sans enfant. “Notre société encourage donc bel et bien la formation des ­couples”, résume Marc Bourgeois. Cela n’empêchera pourtant pas le nombre de ­célibataires d’atteindre en 2060, selon les ­prévisions du Bureau du Plan, 50 % de la population des Belges. Alors peut-être que ce sera à la société de s’adapter?

En meilleure santé?

De très nombreuses recherches aux quatre coins du monde ont étudié l’impact du célibat sur la santé, en le comparant avec les relations longue durée. Côté positif, les personnes isolées feraient plus de sport que les autres et auraient moins tendance au surpoids. Par ailleurs, elles auraient un cercle amical plus solide et stresseraient moins à propos de leurs finances et des tâches ménagères car elles ne risquent pas de reproches. Côté négatif, la solitude est évidemment un défi. Ainsi, les opérations chirurgicales seraient plus risquées. Selon une étude américaine, les célibataires auraient même 3 fois plus de chances de connaître de lourdes complications que les couples mariés en cas d’intervention à l’hôpital. Toutes ces études concluent toutefois sur un point: le fait d’être en couple ne garantit en rien le bonheur et la santé.

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